Le Donbass, une monnaie d’échange pour mettre fin à la guerre?

Épicentre de la convoitise russe, le Donbass pourrait-il servir de monnaie d’échange pour mettre fin à la guerre en Ukraine ? Bien que la région à majorité russophone résiste férocement à la deuxième invasion russe de son territoire, son avenir politique demeure incertain. Pendant ce temps, l’aide humanitaire peine à atteindre des villages situés près de la ligne de front où vivent encore des centaines d’Ukrainiens.
« Aucune autre voiture ne se rend dans les villages de Novotoshkivs’ke, Zolote-4 et Katerynivka, glisse Daryna Safryhina, 28 ans. Ce n’est que nous. » Pris sous le feu des bombes entre les positions de l’armée ukrainienne et celles des séparatistes prorusses, ces villages situés sur la ligne de front dans la région de Louhansk dépendent entièrement de quatre jeunes.
« On fait ce qu’on peut, explique la jeune femme. On leur amène du pain, de l’eau, et aussi des médicaments, des piles, des lampes de poche… » Des provisions qui arrivent dans la région grâce à des bénévoles qui traversent le pays d’ouest en est pour ravitailler le Donbass.
Le village de Nyzhnie dépend, lui, d’une seule personne, indique Daryna Safryhina. « Un homme va en voiture acheter du pain qu’il rapporte dans son magasin. » Un chemin où l’on peut croiser la mort à chaque instant.
« C’est épeurant », rend compte la jeune bénévole, qui dit être portée par sa foi en Dieu. L’aide humanitaire est acheminée dans les villes, mais ne se rend pas toujours dans les petites agglomérations. « Le seul espoir pour certains villages, c’est si une personne a une voiture et n’a pas peur de faire la route. »
Des trajets que Daryna Safryhina promet de continuer à effectuer, malgré les bombes. « Mais si le pire survenait [et que des séparatistes prorusses faisaient des avancées], je vais partir. On dit qu’ils sont pires que les soldats russes, qu’ils n’ont aucune morale, qu’ils violent les femmes et tuent les pro-Ukrainiens. »
Légère avancée
Mardi, le ministère russe de la Défense a rapporté la prise d’une dizaine de villages du Donbass par des séparatistes prorusses. Une légère avancée, érigée en gain, qui traduit le peu de succès remporté jusque-là par les troupes prorusses et russes dans la région.
« La ligne de démarcation n’a presque pas bougé [en près d’un mois de combats], malgré le nombre important d’attaques, analyse Nickolay Kapitonenko, professeur à l’Institut de relations internationalesde l’Université Taras Shevchenko de Kiev. Ce qui semblait être la tâche la plus facile pour les Russes [dans cette invasion], d’atteindre les frontières administratives des régions de Louhansk et Donetsk, semble finalement assez difficile. »
Depuis l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie et l’occupation de Donetsk et Louhansk par des séparatistes prorusses en 2014, l’armée ukrainienne est déployée en grand nombre dans la région. « Notre défense semble tenir le coup », souligne Nickolay Kapitonenko. La stratégie initiale russe, qui semblait être d’encercler l’armée ukrainienne dans le Donbass pour couper les voies de ravitaillement avec le reste du pays, s’est ainsi heurtée à un mur.
Les troupes étrangères seraient toutefois en train de se rapprocher de Sievierodonetsk, le centre administratif de la région de Louhansk. « Ça a été très difficile dernièrement, rapporte Daryna Safryhina. Certains secteurs de la ville sont vraiment détruits, et d’autres ne sont plus accessibles aux pompiers et à l’aide humanitaire. »
Table de négociations
Cette résistance coriace sur le terrain pourrait toutefois buter sur les concessions que le gouvernement ukrainien pourrait faire à l’envahisseur russe. Pour la première fois depuis l’invasion survenue le 24 février, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est dit ouvert mardi à discuter avec la Russie de l’avenir politique de la Crimée et du Donbass.
« La question de la Crimée et du Donbass est très difficile pour tout le monde », a déclaré l’homme fort de Kiev, ajoutant être néanmoins ouvert à « essayer d’aborder tout ce qui contrarie et mécontente la Russie ». Le pays de Vladimir Poutine devra toutefois offrir des « garanties de sécurité » et arrêter les combats avant que des négociations sur ces deux régions puissent survenir, a ajouté le président ukrainien.
« Nous devons tout faire pour que le Donbass et la Crimée nous reviennent. […] Une question de temps ? Oui. Mais l’arrêt de la guerre maintenant, c’est ça, la question », a-t-il déclaré en précisant que les concessions faites à la Russie pourraient être soumises à un référendum.
Volodymyr Zelensky en a profité pour réaffirmer que l’Ukraine ne se rendra pas, mais qu’il ne veut pas pour autant « que l’Histoire fasse de nous des héros et une nation qui n’existe pas ».
Pas tout de suite
Mais avant d’aborder de front l’avenir politique de la Crimée et du Donbass, bien d’autres aspects inhérents au conflit doivent être réglés, croit Andreï Kortounov, directeur général du groupe de réflexion Russian International Affairs Council, à Moscou. « La principale tâche est d’arrêter l’effusion de sang. Jusqu’à ce que ce soit fait, c’est très difficile d’avoir une discussion sérieuse sur tout autre sujet », écrit-il au Devoir.
Chaque partie croit encore sa victoire possible et mise sur le temps pour sceller l’ascendant sur son adversaire, analysent d’un commun accord l’expert russe Andreï Kortounov et le professeur ukrainien Nickolay Kapitonenko. « La capacité d’arrêter cette confrontation dépend de la volonté des parties d’abandonner leurs demandes maximalistes et d’essayer de trouver un compromis », pointe Andreï Kortounov.
Là où il y a possibilité de trouver un terrain d’entente rapidement, c’est au niveau de la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, croient les deux experts. Un rattachement de l’Ukraine à l’Alliance atlantique est hors de portée, rappelle Nickolay Kapitonenko. « Et c’est un enjeu qui a été hissé aux yeux du public russe comme étant crucial pour la sécurité de la Russie et qui a justifié l’invasion. C’est donc une victoire que Poutine pourrait vendre à l’opinion publique russe. »
Andreï Kortounov croit aussi que l’Ukraine pourrait accepter un statut de neutralité en échange d’une accélération de son processus d’adhésion à l’Union européenne. Avec en retour un retrait des troupes russes et un abandon des demandes de Moscou pour un changement de régime à Kiev, le terrain serait plus propice pour trouver une solution à d’autres enjeux. « Plus il y a de marches franchies vers une désescalade, plus il est difficile de les remonter », souligne l’expert russe.
Les négociations sur l’avenir politique du Donbass et de la Crimée seront longues et difficiles, prévoit Nickolay Kapitonenko, qui propose qu’une marche à suivre soit établie pour régler l’avenir de ces deux régions dans quelques années, par référendum ou par une autre avenue. « Mais peu importe l’entente que le président Zelensky scellera avec la Russie, elle divisera profondément la société ukrainienne, mentionne-t-il. Toute concession va être perçue comme étant inacceptable par une grande partie des Ukrainiens. Et ce sera assurément un problème. »