Macron prend la présidence de l’Union européenne

La nouvelle année était à peine commencée que la première polémique battait déjà son plein en France. Alors qu’à l’occasion du Jour de l’An un immense drapeau de l’Union européenne flottait sous l’Arc de Triomphe, la moitié de la classe politique française a poussé des cris d’orfraie.
De Marine Le Pen à Valérie Pécresse, en passant par Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, tous ont tenu à rappeler que, contrairement à la tour Eiffel qui arborait elle aussi les couleurs de l’Union, l’Arc de Triomphe n’était pas n’importe quel monument. Cette arche gigantesque ayant été inaugurée en 1836 pour honorer les soldats tombés pour la patrie, jamais un autre drapeau n’y avait flotté sans être accompagné du tricolore.
Vingt-quatre heures après avoir été déployée, la bannière fut aussitôt retirée. Est-ce un signe de ce qui attend la présidence française de l’Union à trois mois des élections présidentielles en France ? Toujours est-il que c’est par cette première controverse que le président Emmanuel Macron a inauguré cette semaine cette présidence tournante qui, après celle de la Slovénie et avant celle de la Suède, durera six mois et ne revient que tous les 13 ans. Une présidence qui, cette année, empiétera largement sur une campagne électorale déjà en cours et qui ne fera que s’intensifier d’ici le premier tour, le 10 avril prochain.
C’est pourquoi, d’ailleurs, nombre d’observateurs ont souligné que la France aurait dû reporter cette présidence de six mois afin qu’elle n’interfère pas dans la campagne. En cas de défaite, à deux mois de l’échéance de son mandat, Emmanuel Macron se trouverait alors dans la situation de devoir passer le relais à son successeur dont les priorités pourraient être radicalement différentes.
« Une campagne de communication »
Mais l’occasion était probablement trop belle de voir défiler sous les lambris de l’Élysée les responsables des 27 à l’occasion de pas moins de 400 événements diplomatiques. « Il va sans dire que pour Macron, cette présidence sera surtout l’occasion d’une campagne de communication, écrit dans Le Figaro l’économiste David Cayla. Il affichera, n’en doutons pas, un volontarisme à toute épreuve qui sera d’autant plus convaincant qu’aucun des dossiers poussés par la France ne parviendra jusqu’à sa conclusion d’ici le mois d’avril. »
Le président a en effet annoncé un vaste programme de réformes destiné à rendre « l’Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin ». Cela va de la réforme de l’espace Schengen, mis à mal par les attentats terroristes et la crise des migrants, à la mise en place d’un salaire minimum européen, en passant par un renforcement de la défense européenne, la régulation des géants du numérique et l’imposition d’une taxe carbone aux frontières de l’Union. Afin d’éviter l’« instrumentalisation des migrants » récemment envoyés en Pologne par la Biélorussie, le président dit vouloir une Europe « capable de maîtriser ses frontières », ce qui pourrait impliquer la possibilité de renvoyer des migrants vers les pays d’entrée dans l’Union, des contrôles mobiles ponctuels ainsi qu’« un mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise ».
Aucun des dossiers poussés par la France ne parviendra jusqu’à sa conclusion d’ici
le mois d’avril.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Rien de tout cela ne pourra se faire sans l’accord d’au moins 15 États sur 27 représentant au moins 65 % de la population. Sachant qu’il faut au minimum deux ans à une réforme pour traverser les méandres de la bureaucratie européenne, chacun sait qu’Emmanuel Macron n’a aucune chance de voir se réaliser ce programme dans les trois mois qui le séparent de l’élection présidentielle. Et c’est sans compter les aléas de la pandémie de COVID-19 qui pourrait bouleverser le calendrier.
Force est de constater que, sur la plupart de ces sujets, les pays européens ont le plus souvent des intérêts divergents. Ainsi sur l’immigration, alors qu’une majorité de Français se dit favorable à un moratoire, le nouveau gouvernement allemand d’Olaf Scholz se dit prêt à naturaliser chaque année 400 000 migrants qualifiés.
Un salaire minimum européen ?
Sur la défense, les désaccords sont aussi nombreux. Pendant que plusieurs projets européens traînent en longueur, dont le Système de combat aérien du futur destiné à créer un avion de combat européen, les intérêts de la France et de l’Allemagne ont rarement été aussi divergents. Alors qu’Emmanuel Macron soutenait en 2019 que l’OTAN était en état de « mort cérébrale », à Berlin, le nouveau gouvernement de coalition se veut résolument atlantiste. De passage à Paris le 10 décembre dernier, la nouvelle ministre des Affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock, a réitéré que « pour nous, il est assez clair que l’OTAN reste un pilier indispensable pour la sécurité en Europe ». Elle compte même « renforcer l’alliance transatlantique dans le domaine politique et dans tous les autres domaines ».
Les 27 ne sont pas non plus au bout de leur peine en ce qui concerne la création d’un « salaire minimum européen », l’Autriche, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède n’ayant toujours pas de salaire minimum national. Les pays scandinaves se disent tout particulièrement soucieux de préserver leur système de négociation collective par branches. L’an dernier, le salaire minimum mensuel oscillait en Europe entre 312 euros en Bulgarie et 2 142 euros au Luxembourg.
Difficile conciliation
À Paris, plusieurs se demandent comment le président pourra concilier cette intense activité européenne et les exigences d’une campagne présidentielle qui s’annonce mouvementée. En attendant, la présidence de l’Union offre au président un prétexte en or pour se déclarer candidat le plus tard possible ainsi que l’avaient fait plusieurs de ses prédécesseurs avant lui. On ne s’attend pas à une déclaration de candidature avant le discours inaugural que doit prononcer Emmanuel Macron devant le parlement de Strasbourg le 19 janvier prochain.
À l’Élysée, on est convaincu que l’activisme européen du président est l’occasion idéale d’incarner son ambition pour la France. Les sceptiques croient au contraire qu’il ne pourra qu’éloigner le président du terrain de la campagne et des préoccupations des Français. C’est l’ancien éditorialiste du magazine Le Point Claude Imbert qui disait à la blague : « Quand j’entends le mot Europe, je sors mon oreiller ».