En Hongrie, la jeunesse LGBTQ+ clouée au pilori

L’homosexualité a été dépénalisée en Hongrie il y a une soixantaine d’années; l’union civile entre conjoints de même sexe y a été reconnue dès 1996. Puis un tournant national-conservateur a été opéré par le Fidesz à partir de 2010. Et le 8 juillet dernier, le pays a asséné un grand coup à la communauté LGBTQ+ avec l’entrée en vigueur d’une loi qui associe pédophilie et homosexualité.
Photo: Anna Szilagyi Associated Press L’homosexualité a été dépénalisée en Hongrie il y a une soixantaine d’années; l’union civile entre conjoints de même sexe y a été reconnue dès 1996. Puis un tournant national-conservateur a été opéré par le Fidesz à partir de 2010. Et le 8 juillet dernier, le pays a asséné un grand coup à la communauté LGBTQ+ avec l’entrée en vigueur d’une loi qui associe pédophilie et homosexualité.

Autocensure, confusion, attaques homophobes en hausse… Les effets de la loi hongroise interdisant la « promotion de l’homosexualité » se font sentir, trois mois après son adoption. Un texte législatif qui, au dire du gouvernement Orbán, a pour but de « protéger les enfants ».

Elles songent toutes les trois à partir. À s’installer là « où l’on sera acceptées, peu importe l’orientation sexuelle ». En somme, quitter le pays de Viktor Orbán. Samedi 18 septembre, Orsi, Laura et Mira se retrouvent sur la place Kossuth, à Pécs. Une foule bigarrée prend forme dans cette ville moyenne du sud de la Hongrie : c’est la première fois qu’une marche de la Fierté est organisée à l’extérieur de la capitale. Et pour ces trois adolescentes qui appartiennent à la communauté LGBTQ+, pas question de rater l’occasion d’y assister.

« C’est libérateur de venir à un tel événement hors de Budapest. Mais je crois tout de même qu’il y a beaucoup d’endroits sur cette planète, avant la Hongrie, où je serai davantage tolérée », lâche Orsi, 17 ans, déguisée en licorne multicolore.

« J’ai beau aimer la Hongrie, salangue, sa culture… C’est difficile d’endurer un tel climat », ajoute Laura, 16 ans. Sa petite sœur de deux ans sa cadette, Mira (ses parents ne sont pas au fait de sa sortie du placard), est catégorique : elle quittera « dès que possible » son pays. Lors des élections précédentes, leur père a d’ailleurs voté pour le Fidesz. Soit le parti nationaliste dirigé par le premier ministre Orbán, qui a fait adopter, en juin dernier, une loi interdisant  « la mise à disposition de contenus faisant la promotion de la sexualité en elle-même, le changement de genre ou l’homosexualité » à tout mineur.

Lier homosexualité et pédophilie

Censée renforcer « la protection des enfants », la loi, qui associe pédophilie et homosexualité, est entrée en vigueur le 8 juillet dernier. D’ores et déjà l’une des plus sévères du Vieux Continent, elle ne fait que s’ajouter au lot de mesures anti-LGBT imposées par le camp Orbán ces dernières années : bannissement des études de genre dans les universités, exclusion de l’adoption pour les couples de même sexe, interdiction du changement de sexe à l’état civil…

Tout un contraste avec la réputation avant-gardiste que la Hongrie a un temps eue en Europe centrale et orientale, jusqu’au tournant national-conservateur opéré par le Fidesz dès 2010. L’homosexualité a été dépénalisée en Hongrie il y a une soixantaine d’années ; l’union civile entre conjoints de même sexe y a été reconnue dès 1996.

Désormais, tout produit traitant de « la non-conformité du genre » ne pourra pas être commercialisé « à moins de 200 mètres de toute entrée d’une école, […] d’une église ou autre lieu de culte ». Exit aussi, entre autres, les cours d’éducation sexuelle qui aborderont « le changement de sexe ou l’homosexualité ».

Autant dire que l’indignation n’a pas tardé à éclater quand le texte a été soumis au Parlement. La veille, une manifestation de soutien à la communauté LGBTQ+ avait même réuni près de 10 000 personnes à Budapest. À Bruxelles, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a de son côté qualifié la loi hongroise de « honte ». « Je n’arrive toujours pas à m’expliquer le lien qu’ils aient pu faire. Qui sommes-nous ? Des enfants LGBT pédophiles !? » s’offusque encore Orsi.

Dans l’électorat du Fidesz, on balaie ces inquiétudes. À l’instar d’Éva, croisée dans un souterrain de métro en cette fin septembre : « Les gens disent n’importe quoi. Ce n’est pas du tout homophobe, il s’agit seulement de protéger nos enfants ! » s’emballe la retraitée, tout en pestant contre les ONG et leur « propagande ». « Si un tel pédophile s’occupait de mes petits-enfants… » Le vacarme d’un train l’empêche de finir sa phrase.

Je n’arrive toujours pas à m’expliquer le lien qu’ils aient pu faire [entre homosexualité et pédophilie]. Qui sommes-nous ? Des enfants LGBT pédophiles !?

 

Confusion et autocensure

Mais comment appliquer une loi pareille, dont les contours jugés trop flous sèment déjà la confusion dans les domaines culturels ou médiatiques ? « Tout cela répond à un objectif politique, soit galvaniser la base [ultraconservatrice du Fidesz] », analyse Klára Ungár, rare homosexuelle de la scène politique hongroise. En tant qu’ancienne cofondatrice du parti au pouvoir, elle a d’ailleurs côtoyé de près Viktor Orbán avant de s’en distancier, en 1993, au moment de la mue conservatrice de l’homme fort du pays.

À quelques mois des élections législatives prévues au printemps 2022, Mme Ungár voit en cette loi l’incarnation de la « méthode Orbán » : désigner un bouc émissaire afin de nourrir une rhétorique populiste bien rodée. « Il s’agit de désigner un nouvel ennemi à ses électeurs et de continuer cette guerre sans fin qu’Orbán mène depuis plus de dix ans », souligne-t-elle.

Tout cela répond à un objectif politique, soit galvaniser la base [ultraconservatrice du Fidesz]. […] Il s’agit de désigner un nouvel ennemi à ses électeurs, et de continuer cette guerre sans fin qu’ Orbán mène depuis plus de dix ans.

 

Après les réfugiés en 2015, l’Union européenne et le milliardaire d’origine hongroise George Soros, voilà donc que la communauté LGBTQ+ se retrouverait à son tour clouée au pilori. Que la loi soit motivée ou pas par l’idéologie, trois mois après son adoption, ses effets se font toutefois bel et bien sentir, pour le pire. « Elle crée un environnement d’angoisse pour les personnes LGBTQ+, traitées comme des citoyens de seconde classe et devant désormais prouver qu’elles ne sont pas des agresseuses d’enfants », déplore Áron Demeter, porte-parole d’Amnesty International Hongrie, dans son bureau de Budapest.

Sont également mis à mal certains programmes d’ONG dont la mission consiste à sensibiliser les jeunes Hongrois à la réalité des minorités sexuelles. « Par conséquent, il y a de très bonnes chances que le harcèlement à l’encontre des LGBT dans les écoles augmente, puisque les organisations ne pourront plus y faire de la prévention », redoute Áron Demeter. « Les tentatives de suicide, je le crains, risquent d’augmenter au sein de cette communauté déjà vulnérable. »

Beaucoup de gens, pris de peur, tentent de se conformer à la loi d’une manière démesurée

Des appréhensions que partage Ákos Modolo, qui milite au sein de Szimpozion, une association de défense des droits LGBTQ+ qui organise des ateliers de sensibilisation auprès d’élèves du secondaire. « Avec cette loi, beaucoup plus de personnes issues de la communauté LGBTQ+ craignent de tenir la main de leur partenaire en public ou de porter des bracelets arc-en-ciel », rapporte-t-il. Et pour cause, les attaques et injures homophobes se sont multipliées dans la foulée de la controverse, selon l’ONG hongroise Háttér.

L’incertitude n’épargne pas le corps enseignant. Pourra-t-on présenter à ses élèves une œuvre dans laquelle deux personnes de même sexe s’embrassent ? Où mettre la limite ? Et quelles conséquences en cas de désobéissance ? Un flou qui persiste à ce jour. « Cette loi est très vague, et incite donc à l’autocensure », poursuit Ákos Modolo. « Beaucoup des enseignants à qui nous avons parlé récemment craignent de nous inviter dans leur classe, de peur de perdre leur emploi ou d’être poursuivis par des parents. »

Une large majorité de la société hongroise a beau faire montre d’ouverture à l’égard de la communauté LGBT, d’après certains sondages, « beaucoup de gens, pris de peur, tentent de se conformer à la loi d’une manière démesurée », déplore-t-il.

Et ces excès de zèle, Eszter, qui préfère taire son nom, en a d’ailleurs fait les frais dernièrement. Peu après l’adoption de la loi, elle s’est vu interdire l’accès au local où se déroulaient les rencontres mensuelles de son association informelle regroupant des jeunes LGBTQ+ de Kecskemét, une ville de 100 000 habitants. « L’administrateur aurait trouvé nos activités dangereuses pour les enfants… » soupire-t-elle. Les décorations arc-en-ciel qui peuplaient les murs n’ont pas échappé à cette « purge » : mises à la porte, elles aussi.

À voir en vidéo