L’émissaire de l’UE en Russie sur fond de colère généralisée

La brutale répression des manifestations pro-Navalny aurait donné lieu à plus de 10 000 arrestations émaillées de violences policières, selon des dizaines de médias et ONG.
Photo: Kirill Kudryavtsev Agence France-Presse La brutale répression des manifestations pro-Navalny aurait donné lieu à plus de 10 000 arrestations émaillées de violences policières, selon des dizaines de médias et ONG.

Société civile et médias russes se sont élevés jeudi face à l’ampleur de la répression visant les partisans de l’opposant Alexeï Navalny, un dossier qui est au cœur d’une visite en Russie du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

En Russie depuis jeudi soir, M. Borrell doit rencontrer vendredi le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. La rencontre s’annonce difficile, Moscou ayant qualifié les critiques occidentales d’« ingérence ».

Alexeï Navalny a été condamné mardi à deux ans et huit mois de prison pour avoir enfreint les termes d’un contrôle judiciaire datant de 2014. Il affirme que le président Vladimir Poutine cherche à le faire taire, après qu’il a survécu à un empoisonnement l’été dernier.

Il sera en outre jugé vendredi dans une autre affaire, pour diffamation cette fois. La plupart de ses proches collaborateurs ont été arrêtés ou poursuivis.

 

Alexeï Navalny a appelé jeudi ses partisans à « surmonter leur peur » et à libérer la Russie « des voleurs ». « Ne vous laissez pas avoir par cette illusion de force », a-t-il écrit dans un message publié sur Instagram.

Un de ses alliés, Leonid Volkov, a toutefois écarté la possibilité de nouvelles manifestations immédiates, car « le nombre [de participants] baisserait » et cela entraînerait « une déception » comme après de récentes manifestations au Bélarus ou dans la ville russe de Khabarovsk. « Nous essayerons toujours [d’organiser des rassemblements], mais pas chaque semaine. Nous les préparerons bien et nous ferons quelque chose de grand au printemps et à l’été », a soutenu M. Volkov lors d’une émission diffusée sur YouTube.

Des dizaines de médias et d’ONG ont dénoncé la brutale répression des manifestations pro-Navalny des 23 et 31 janvier ainsi que du 2 février. Celles-ci ont donné lieu à plus de 10 000 arrestations — un record ces dernières années — émaillées de violences policières.

« Nous appelons les autorités russes à faire cesser les violences policières, les atteintes massives aux droits fondamentaux », ont écrit 25 personnalités d’organisations de défense des droits de la personne.

Conséquence de l’ampleur des arrestations, les centres de détention moscovites sont surpeuplés de personnes accusées ou condamnées pour avoir manifesté sans autorisation, une infraction passible de 15 jours de prison.

Faute de place, des dizaines d’entre elles ont été incarcérées dans un centre de rétention pour migrants à une soixantaine de kilomètres de la capitale, à Sakharovo. Des proches y font la queue, parfois plusieurs jours, pour leur remettre des colis. Au préalable, les détenus ont passé des heures dans des fourgons sans eau ni toilettes, selon l’ONG spécialisée OVD-Info.

« Pas de répression »

La Russie, déjà visée par de multiples sanctions occidentales, reste sourde aux critiques. « Il n’y a pas de répression, juste des mesures policières visant ceux qui enfreignent la loi », a affirmé Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.

Le message porté par le chef de la diplomatie européenne n’a donc guère de chance d’être entendu. Il espère néanmoins rencontrer M. Navalny.

Certains États de l’Union européenne (UE) évoquent la possibilité de nouvelles sanctions, notamment l’Allemagne. Le projet de gazoduc sous-marin russo-allemand Nord Stream 2 est un levier de pression. La France demande son abandon, auquel Berlin rechigne. Pourtant, « l’arrêt de Nord Stream est un problème pour Poutine. Il le craint », selon l’analyste russe Alexeï Malachenko.

Il n’y a pas de répression, juste des mesures policières visant ceux qui enfreignent la loi.

Cela étant, la visite en Russie de Josep Borrell met fin au gel des contacts diplomatiques au niveau européen depuis 2017. D’autres dossiers que celui de M. Navalny seront évoqués, les différends ne manquant pas sur l’Ukraine, la Syrie ou encore la Libye. « La relation avec la Russie est complexe. Il y a de nombreuses questions de sécurité à évoquer », a fait savoir M. Borrell.

Lors d’une vidéoconférence diffusée jeudi, le président français, Emmanuel Macron, a pour sa part affirmé qu’il est indispensable de continuer le dialogue avec Vladimir Poutine pour « la paix et la stabilité européenne » malgré l’emprisonnement de M. Navalny, qu’il a qualifié d’« énorme erreur ».

De son côté, le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a évoqué jeudi au téléphone avec son homologue russe Sergueï Lavrov « l’empoisonnement » de l’opposant et a réclamé la libération de deux Américains détenus en Russie.

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