Une libération d’otages aux accents de victoire islamiste

Sophie Pétronin (avec le voile blanc) a été  accueillie par  sa famille et  le président  Emmanuel  Macron à son  retour en sol français  le 9 octobre  dernier.
Gonzalo Fuentes Pool Agence France-Presse Sophie Pétronin (avec le voile blanc) a été accueillie par sa famille et le président Emmanuel Macron à son retour en sol français le 9 octobre dernier.

Le malaise était palpable. À l’aéroport de Villacoublay, habituellement, les libérations d’otages suscitent des éclats de joie. Le président en profite pour féliciter les militaires. Les otages font part de leur satisfaction d’avoir retrouvé leur liberté. Cette fois, à l’exception du fils de Sophie Pétronin, pas le moindre mot. Ni de l’ex-otage de 74 ans, qui sortait pourtant de quatre ans de détention. Ni du président Emmanuel Macron, qui est resté muet, le visage impassible.

Une atmosphère qui contrastait radicalement avec celle que révélèrent quelques jours plus tard les photos prises près de la frontière algérienne et diffusées cette semaine par l’agence mauritanienne Al-Akhbar. Plusieurs dizaines de djihadistes, parmi les 200 libérés en échange de Sophie Pétronin et trois autres otages, furent accueillis par un véritable banquet offert par le chef touareg Iyad Ag Ghali. Ghali est le terroriste le plus recherché du Sahel et dirige le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), membre du front djihadiste lié à al-Qaïda qui sévit au Mali.

Une « retraite spirituelle » ?

En réalité, le malaise est double.

 

D’abord, Sophie Pétronin s’est convertie à l’islam durant sa détention et porte maintenant le voile. Mais, ce n’est pas cela qui est en cause. C’est plutôt le fait qu’elle dit de ses geôliers : « Ils ont pris soin de moi. » À 74 ans, celle qui souhaite retourner au Mali poursuivre son œuvre humanitaire qualifie sa détention de « retraite spirituelle » et refuse de parler de djihadistes. Ce qui lui a valu, dans Le Monde, une réplique du chef d’État-Major des armées, le général François Lecointre, pour qui l’armée française affronte au Mali « une internationale terroriste dont l’objectif est clairement d’instaurer des régimes et des califats djihadistes et extrémistes sur des territoires entiers ».

Mais l’irritation ne serait pas à son comble si les rebelles djihadistes et la junte au pouvoir à Bamako n’apparaissaient pas comme les véritables vainqueurs de cette libération. À 4 contre 200, le compte n’y est évidemment pas. Or, parmi les 200 prisonniers libérés en échange des otages figurent quelques-uns des auteurs des attentats les plus meurtriers commis ces dernières années au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Le journal malien L’Indépendant a identifié Taher Abu Saad, vétéran algérien expert en explosifs, Aliou Mahamane Touré, ancien chef de la police islamique à Gao, et le commandant Katiba Macina. Le Mali a « payé cher » ces libérations, a d’ailleurs déclaré sur RFI le président burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré. Parmi les djihadistes libérés, on compterait aussi Mimi Ould Baba, le cerveau présumé de l’attaque de 2016 à Ouagadougou, qui avait fait 49 morts.

Une humiliation

 

Surnommé le « renard du désert », le leader de la rébellion islamiste lié à al-Qaïda Iyad Ag Ghali sort de cette opération avec un prestige renforcé. Des poèmes vantent déjà son courage et sa détermination sur Internet. La libération d’un aussi grand nombre de prisonniers ne peut qu’accroître sa popularité, écrit le correspondant de Libération à Bamako Olivier Dubois. Formé dans les armées de Kadhafi, Ghali est devenu un homme incontournable dans la région.

Dans l’armée française, ces libérations sont ressenties comme une véritable humiliation. Alors que les 5000 militaires de l’opération Barkhane suffisent à peine à la tâche sur un territoire gigantesque qui touche au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les 200 prisonniers libérés viendront grossir les troupes djihadistes. Selon le quotidien Libération au moins 29 des djihadistes libérés avaient été arrêtés par les Français avant d’être remis aux autorités maliennes. « Peut-on encore considérer que la junte au pouvoir au Mali est un partenaire de confiance dans la lutte contre le terrorisme ? » a demandé Christian Cambon, président de la commission Défense du Sénat.

L’ouverture de négociations ?

En réalité, la France n’aurait été impliquée qu’à la toute fin dans ces négociations menées directement par la nouvelle junte au pouvoir à Bamako. « La décision de libérer des djihadistes en particulier appartient aux seules autorités maliennes », a d’ailleurs déclaré cette semaine la ministre des Armées, Florence Parly. Si certaines sources affirment que la France n’aurait pas eu à payer de rançon, d’autres évoquent un montant de 10 millions d’euros. Ce que refusent évidemment de confirmer les autorités françaises.

La nouvelle junte militaire qui dirige le Mali depuis le mois d’août dernier récolte aussi quelques lauriers dans cette opération. Elle avait en effet fait de la libération du leader de l’opposition Soumaïla Cissé, libéré en même temps que Sophie Pétronin, un de ses objectifs. Dans la presse africaine, on n’hésite pas à évoquer la possibilité que, pour rétablir un semblant de légitimité constitutionnelle, Cissé joue bientôt un rôle politique au Mali.

Certains experts craignent que, dans l’immédiat, cet échange de prisonniers relance les affrontements dans le nord du pays. Selon d’autres, il pourrait aussi annoncer l’ouverture de négociations entre le nouveau pouvoir et les milices islamistes. Récemment, dans le quotidien suisse Le Temps, le commissaire de l’Union africaine à la paix et à la sécurité, Smaïl Chergui, a appelé au « dialogue avec les extrémistes » afin de « les encourager à déposer les armes » comme l’ont fait récemment les Américains avec les talibans en Afghanistan.

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