France: entre «people» et sarkozystes, un gouvernement de continuité

À deux ans de l’élection présidentielle, le président français, Emmanuel Macron, a choisi de miser sur des valeurs sûres à l’occasion de ce troisième remaniement ministériel depuis son élection en 2017. Un remaniement qui sera très probablement le dernier du quinquennat.
À l’exception de quelques people, comme l’ancienne ministre Roselyne Bachelot et l’avocat Éric Dupond-Moretti, peu de noms importants font leur entrée dans ce gouvernement, qui penche plutôt au centre droit, comme le précédent. Par contre, plusieurs ministres prennent du galon. À commencer par l’élu de droite Gérald Darmanin qui quitte le Budget pour occuper le prestigieux ministère de l’Intérieur. Un ministère stratégique en période électorale, puisqu’il s’occupe à la fois de la police et du renseignement.
La main de Sarkozy
Depuis quelques mois, son ancien titulaire, Christophe Castaner, avait suscité une grogne sans précédent parmi les forces policières, qui l’accusaient de ne pas prendre suffisamment leur défense. Son départ a d’ailleurs été annoncé de manière cavalière la veille du remaniement lors d’une visite du nouveau premier ministre, Jean Castex, dans un commissariat de La Courneuve.
Plusieurs croient voir dans ce nouveau gouvernement la main de l’ancien président Nicolas Sarkozy, qu’Emmanuel Macron consulte régulièrement. Outre le premier ministre Jean Castex et Gérald Darmanin, deux anciens sarkozystes, l’ancienne ministre de la Santé de Nicolas Sarkozy Roselyne Bachelot occupera le portefeuille de la Culture.

Depuis son départ de la politique et sa participation à la populaire émission d’humour radiophonique Les grosses têtes, cette femme exubérante est devenue une personnalité du show-business. Critiquée à tort en 2010, elle a finalement été félicitée d’avoir mieux préparé le pays contre la grippe H1N1 qu’il ne l’a été lors de la récente épidémie de coronavirus. Roselyne Bachelot est aussi passionnée d’opéra et une proche du premier ministre.
L’autre personnalité controversée qui entre au gouvernement est l’avocat vedette Éric Dupond-Moretti, qui devient ministre de la Justice. Surnommé « Acquitator » à cause du grand nombre d’acquittements qu’il a obtenus, cet habitué des prétoires est un spécialiste des déclarations chocs. Il y a deux semaines à peine, il avait comparé la justice française à celle de la Corée du Nord et dénoncé ses « méthodes barbouzardes ». Cet ancien partisan de l’ex-ministre socialiste Martine Aubry partage sa vie avec la chanteuse québécoise Isabelle Boulay.
Le député de droite (LR) Éric Ciotti n’a pas hésité à le qualifier d’« éléphant dans un magasin de porcelaine ». « À la Justice est nommé un militant d’extrême gauche qui souhaite l’interdiction du RN, premier parti d’opposition. Ça promet… », a aussi twitté la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen. Même s’il avait précisé que la chose était « compliquée », l’avocat avait en effet souhaité « interdire le Front national » lors d’une entrevue accordée en 2015 à la journaliste Léa Salamé. En 2013, il avait aussi refusé la Légion d’honneur, qu’il qualifiait alors de symbole d’un copinage politique malsain.
Un équilibre subtil
Si Emmanuel Macron fait peu de « prises de guerre » à droite comme à gauche, ce remaniement confirme à leur poste deux poids lourds. D’abord le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire. Compte tenu de la grave crise économique qui s’annonce, son action sera au cœur de la rentrée politique de l’automne. Très prisé par les Français pour le retour aux fondamentaux, Jean-Michel Blanquer demeure aussi à l’Éducation, après avoir été pressenti à l’Intérieur.
À gauche, le poids lourd Jean-Yves Le Drian demeure aux Affaires étrangères. Dans un jeu d’équilibre subtil, quelques anciens socialistes deviennent ministres délégués, dont Olivier Dussopt aux Comptes publics, Brigitte Bourguignon à l’Autonomie et Gabriel Attal comme porte-parole. L’ancienne militante d’Europe-Écologie-Les Verts Barbara Pompili accède à l’Environnement. Cette députée LREM s’était fait remarquer par son combat contre les entrepôts d’Amazon en région parisienne.
Avec une vingtaine de ministres, les secrétaires d’État devant être nommés plus tard, on est loin d’un gouvernement resserré, comme certains l’avaient prédit. Même si le président avait annoncé un « nouveau chemin », les analystes s’entendent pour dire que ce nouveau gouvernement est plutôt marqué par la continuité. « On est en train de refaire l’Ancien Monde […] pour un président qui avait annoncé qu’il allait tout changer… », a ironisé le journaliste Guillaume Durand sur les ondes de BFMTV.
Ce remaniement vient confirmer qu’Emmanuel Macron se prépare à une présidentielle qui se jouera très probablement à droite. « La France a changé de premier ministre. Elle n’a pas changé de gouvernement. Ou à peine », souligne l’éditorialiste Guillaume Tabard dans Le Figaro. Une continuité que la chroniqueuse du journal Le Monde Françoise Fressoz résume en reprenant la célèbre formule de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa dans Le guépard : « Tout changer pour que rien ne change ».