Le transfert du corps de Franco validé en Espagne

Le Valle de los Caídos, situé dans la commune de San Lorenzo de El Escorial, est un site monumental composé d’une croix haute de 150 mètres, d’une vaste esplanade de granit et d’une crypte souterraine où avait été inhumée, le 23 novembre 1975, la dépouille de Francisco Franco.
Photo: Oscar Del Pozo Agence France-Presse Le Valle de los Caídos, situé dans la commune de San Lorenzo de El Escorial, est un site monumental composé d’une croix haute de 150 mètres, d’une vaste esplanade de granit et d’une crypte souterraine où avait été inhumée, le 23 novembre 1975, la dépouille de Francisco Franco.

Sauf ultime retournement judiciaire, le dictateur mort en 1975 pourra être exhumé de son mausolée monumental. La dépouille du dictateur fait l’objet d’un bras de fer entre ses descendants et le gouvernement socialiste, sur fond de nouvelles élections, en novembre.

À l’unanimité de ses six magistrats, le Tribunal suprême a rendu mardi un verdict historique, qui résout un différend vieux de trois décennies quant au devenir des restes du dictateur Francisco Franco : celui qui présida d’une main de fer aux destinées de l’Espagne pourra être exhumé de la crypte du Valle de los Caídos, son mausolée à l’ouest de Madrid, pour être enterré dans le discret cimetière de Mingorrubio, proche de la capitale.

Sauf coup de théâtre ultérieur, la décision donne raison au gouvernement socialiste de Pedro Sánchez qui, en juin 2018, avait décidé de déplacer la dépouille de l’ancien dictateur, en raison de son « emplacement inadéquat », « source de honte pour tous les démocrates ». Le Valle de los Caídos, situé dans la commune de San Lorenzo de El Escorial, est un site monumental composé d’une croix haute de 150 mètres, d’une vaste esplanade de granit et d’une crypte souterraine où avait été inhumée, le 23 novembre 1975, la dépouille du Caudillo. En septembre 2018, la décision avait été approuvée à la Chambre des députés, avec la notable abstention des conservateurs du Parti populaire et des libéraux de Ciudadanos. Mais, depuis, une bataille légale faisait rage, après une série de plaintes déposées par les descendants du dictateur, estimant que leurs « droits fondamentaux » s’en trouvaient « bafoués ». En 2004, le chef du gouvernement socialiste José Luis Zapatero avait déjà tenté, en vain, d’exhumer la dépouille du Caudillo.

33 847 cadavres

« C’est une grande victoire de la démocratie », a clamé Pedro Sánchez qui, l’an dernier, en avait fait une des mesures phares de son mandat. Pour les partis de gauche et leur électorat, le fait que l’ancien dictateur puisse reposer dans cet ensemble monumental est inacceptable depuis longtemps. Le Valle de los Caídos n’est pas seulement ce mausolée que Franco lui-même avait fait construire dès 1941 pour y reposer pour l’éternité, dans la commune de l’Escorial, là même où sont enterrés les rois espagnols depuis Philippe II. C’est aussi la plus grande fosse commune du pays, dans laquelle gisent 33 847 cadavres de victimes de la Guerre civile de 1936-1939, issues des deux camps, dont deux tiers ont été identifiés.

« Qu’un dictateur gise parmi les cadavres dont il est responsable et trône dans un cirque montagneux est une anomalie espagnole, et une abjection, dit Emilio Silva, président de l’ARMH, la principale association exigeant des réparations historiques en faveur des victimes de la Guerre civile et de la dictature. Il était temps qu’on décide de l’exhumer ! » Si ce sentiment est très dominant à gauche, une partie des Espagnols estiment qu’il est inutile de remuer le passé. À l’instar de l’écrivain-historien Ignacio del Valle, pour qui « il y a des choses vraiment plus importantes à faire qu’à rouvrir les plaies anciennes ». Le parti populiste de droite Vox se montre bien plus véhément. Aux yeux de sa leader à Madrid, Rocío Monasterio, cette exhumation annoncée est « une profanation de la tombe de Franco, une manière de déterrer les haines et une attaque à la liberté de sa famille ».

Le clan Franco portera plainte

 

Cette décision historique intervient en pleine précampagne électorale : incapable de s’entendre avec le parti de gauche Podemos pour former un gouvernement de coalition, le socialiste Pedro Sánchez a dû se résoudre à des législatives anticipées le 10 novembre. Or, comme l’a confirmé sa « numéro 2 » Carmen Calvo, l’exhumation de l’ancien dictateur devra avoir lieu « le plus vite possible », sans aucun doute avant le rendez-vous électoral. « Cela va certainement influer sur la campagne et aider Pedro Sánchez à mobiliser son électorat », souligne le politologue Pedro Simón. D’autant que, comme l’a précisé le Tribunal suprême, la dépouille ne pourra pas être enterrée dans la crypte de la cathédrale de Madrid, la Almudena, comme le souhaitaient les petits-fils du dictateur, « pour des raisons d’ordre public ». Les restes devront donc rejoindre un caveau du cimetière de Mingorrubio, à 15 km de la capitale, où repose déjà depuis 1988 l’épouse du Caudillo, Carmen Polo.

L’avocat de la famille Franco, « profondément déçu », a assuré qu’il allait déposer une plainte « partout où il était possible », jusqu’à la justice européenne. Pour autant, le gouvernement socialiste considère la décision « définitive » et entend donc « agir vite ». Seule possible surprise judiciaire : la résistance d’un juge madrilène d’un tribunal administratif, aux sympathies conservatrices, qui doit autoriser les travaux d’exhumation qu’il avait lui-même paralysés en février. Pourtant, d’ores et déjà, la perspective du « déménagement » de Franco alimente les débats sur le devenir du Valle de los Caídos. « L’idéal, dit l’historien Gutmaro Gómez, serait de le transformer en un centre de mémoire sur la Guerre civile. »

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