Les misères de Boris Johnson

Des manifestants ont protesté devant le Parlement britannique, à Londres mardi. Dans la journée, le premier ministre, Boris Johnson, a essuyé la défection d’un député dans ses rangs.
Photo: Vudi Xhymshiti Associated Press Des manifestants ont protesté devant le Parlement britannique, à Londres mardi. Dans la journée, le premier ministre, Boris Johnson, a essuyé la défection d’un député dans ses rangs.

Le psychodrame entourant le Brexit n’en finit plus de surprendre. Au moment où il s’adressait aux parlementaires mardi, le premier ministre britannique, Boris Johnson, a vu sa faible majorité fondre sous ses yeux, quand le député conservateur Philip Lee a traversé la Chambre pour se rallier à l’opposition.

Sous l’oeil des caméras, Philip Lee — qui avait démissionné de son poste de secrétaire d’État à la Justice du gouvernement de Theresa May en juin 2018 — est allé s’asseoir aux côtés des libéraux démocrates (Lib dems), une formation centriste et europhile. Pendant que cette spectaculaire défection venait une nouvelle fois court-circuiter la trame de ce Brexit si insaisissable, le parti politique publiait une déclaration de Lee. « Le gouvernement conservateur poursuit de manière agressive un Brexit [aux conséquences] dommageables. Il met en danger des vies […] et menace de manière injustifiée l’intégrité du Royaume-Uni », arguait-il pour justifier son geste.

En faisant disparaître la délicate majorité parlementaire de Boris Johnson, qui ne tenait qu’à une voix, Philip Lee a nourri la fronde des députés s’opposant à un Brexit sans accord. En soirée, les députés de l’opposition — dont les rangs ont été gonflés ces derniers mois par d’autres élus conservateurs hostiles à un no deal —, réussissaient à forcer la tenue d’un vote au Parlement dès mercredi afin d’empêcher Boris Johnson de rompre tous les liens avec l’Union européenne le 31 octobre, ce qu’on appelle un Brexit sans accord.

La motion a obtenu l’assentiment de 328 députés (301 ont voté contre) ; 21 députés conservateurs « rebelles » ayant voté avec l’opposition. Parmi ceux-ci se trouvent Nicholas Soames, petit-fils de Winston Churchill, et l’ex-ministre des Finances Philip Hammond, qui seront vraisemblablement expulsés du parti conservateur.

Boris Johnson — qui a pris les rênes du pays le 24 juillet — a immédiatement répliqué en annonçant qu’il déposerait à son tour une motion au Parlement, cette fois pour convoquer des élections anticipées. Une majorité des deux tiers est toutefois nécessaire pour convoquer les électeurs aux urnes plus tôt que prévu.

L’avenir de ce gouvernement imprévisible se retrouve incidemment placé entre les mains du chef travailliste, Jeremy Corbyn. Ses intentions sont toutefois loin d’être limpides. Impopulaire dans l’opinion publique, celui-ci pourrait faire le pari d’attendre que Boris Johnson s’échoue complètement avant de tenter de lui ravir les rênes du pouvoir, estime Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. « Et Corbyn ne veut pas gérer la patate chaude du Brexit », ajoute-t-il.

Incertitude

 

Les prochaines heures s’annoncent donc fertiles en rebondissements. « La motion (adoptée mardi soir) permet aux députés de l’opposition — travaillistes, libéraux démocrates et conservateurs devenus indépendants, essentiellement — de prendre le contrôle de l’agenda législatif pour les prochains jours », explique Hubert Rioux, chercheur postdoctoral spécialisé en économie politique à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Mercredi, les opposants au no deal voteront un texte de loi visant à contraindre le premier ministre à demander un nouveau report de la date butoir du 31 octobre dans l’éventualité où aucun accord avec l’UE n’aurait été approuvé avant le 19 octobre. Dans les corridors du Parlement britannique, la date du 31 janvier 2020 est abondamment évoquée.

Une éventualité qui est toutefois loin de résoudre cette équation au résultat toujours aussi incertain plus de trois ans après que les Britanniques ont voté à 52 % en faveur d’un divorce avec l’UE.

« Il n’y a aucune garantie que l’UE accepte un nouveau report de la date butoir (l’unanimité des 27 États membres étant requise) et même s’il y a un nouveau délai, on se retrouve devant le même problème : il n’y a toujours pas d’accord transitoire sur la table puisque les accords négociés par Theresa May ont tous été rejetés », analyse Hubert Rioux. À trois reprises, les députés britanniques ont rejeté cet accord comprenant le fameux filet de sécurité (backstop), permettant d’éviter le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande en maintenant l’ensemble du Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE.

Qui flanchera ?

En tentant d’accélérer la joute politique, Boris Johnson espère galvaniser ses appuis afin de réaliser coûte que coûte le Brexit. « Nous avons promis de respecter le résultat du référendum et nous devons le faire maintenant. Ça suffit ! », a-t-il lancé mardi devant les députés survoltés.

Son bras droit, Michael Gove assure d’ailleurs que le pays est prêt pour un « hard Brexit ». S’agit-il d’un posture de négociation pour soutirer des concessions de dernière minute à Bruxelles — nommément l’abolition du filet de sécurité ? Ou est-ce plutôt un voeu avoué de se défaire entièrement des liens avec l’UE ? Les avis divergent, mais la conséquence pourrait être la même : un Brexit à la dure devient de plus en plus probable.

« Dans ce jeu de poulet (chicken game), c’est l’UE qui a le gros bout du bâton et je ne vois pas comment elle accepterait de faire des concessions sur le filet de sécurité », avance Patrick Leblond.

« L’UE se dit : “oui, on va souffrir, mais moins que vous, et donc on reprendra les négociations après que vous aurez vu les conséquences économiques d’un hard Brexit” », suggère le chercheur. Selon une étude des Nations unies dévoilée mardi, une sortie sans accord ferait perdre au Royaume-Uni 14,6 milliards d’euros d’exportations vers l’Union européenne. Face à cette incertitude grandissante, la livre sterling est tombée mardi sous le seuil de 1,20 dollar, son plus bas niveau depuis janvier 2017.

Patrick Leblond rappelle que le Royaume-Uni et l’UE devront immanquablement finir par s’entendre en concluant un partenariat commercial. « Même avec un Brexit sans accord, la partie n’est pas terminée. L’UE est le partenaire économique le plus important du Royaume-Uni. »

Pour Hubert Rioux, Boris Johnson fait le pari qu’en se défaisant complètement des liens avec l’UE — en réalisant un Brexit sans accord — le Royaume-Uni pourra négocier à sa guise des accords commerciaux avec ses partenaires économiques, particulièrement avec les États-Unis de Donald Trump.

Un pari qui est toutefois loin d’être gagné, croit-il. « Les États-Unis ont un déficit commercial avec le Royaume-Uni et, connaissant l’antipathie de Trump envers les déficits commerciaux, on peut s’attendre à ce qu’il ne fasse pas de cadeau à Boris Johnson », énonce-t-il, rappelant du même souffle que l’élection présidentielle américaine de 2020 pourrait changer la donne, tout comme le ralentissement attendu de l’économie américaine.

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