L’opposition panse ses plaies

Au lendemain d’une manifestation où plus d’un millier de personnes ont été arrêtées à Moscou — un record depuis l’hiver 2011-2012 —, un grand nombre de contestataires étaient toujours détenus, tandis que d’autres pansaient leurs plaies, dimanche. La communauté internationale, elle, a condamné l’usage excessif de la force par la police.
« Nous avons la confirmation d’une vingtaine de cas où des gens ont été battus par la police, mais nous sommes certains qu’il y en a beaucoup plus. Les images captées samedi font état de nombreux autres cas », affirme au Devoir Grigory Durnovo, coordonnateur de la surveillance menée par le mouvement bénévole OVD-Info, qui répertorie les arrestations politiques en Russie.
L’organisation a compté « au moins » 1373 arrestations en marge des événements de samedi. Cent cinquante manifestants ont passé la nuit suivante en détention dans l’un des quelques postes de police du centre de la capitale. Dimanche soir, la plupart étaient encore détenus, selon M. Durnovo. « Nous nous attendons à ce qu’un grand nombre d’entre eux comparaisse en cour lundi matin », indique-t-il.
Plutôt que d’attendre la tenue des élections, puis de dénoncer la falsification des résultats, l’opposition s’en prend à l’exclusion de candidats
Selon les chiffres officiels des autorités, 3500 personnes ont pris part à la manifestation de samedi, interdite par le Kremlin. Criant « Liberté ! » ou « Nous voulons des élections libres » sur la rue Tverskaïa, principale artère de la ville, ils réclamaient des élections justes au Parlement de la ville de Moscou. Plusieurs candidats associés à l’opposition ont été exclus de ce scrutin prévu en septembre en raison d’irrégularités (qu’ils contestent) dans leur dossier. Le samedi 20 juillet, plus de 20 000 personnes ont manifesté à leur invitation.
« Certaines des mesures prises récemment par les autorités vont au-delà de l’entendement. Avant même les manifestations de samedi, on avait procédé à l’arrestation préventive d’opposants », note France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. Elle souligne que de telles pratiques violent de manière évidente le respect des droits de la personne, en entorse avec les accords internationaux signés par Moscou.
Dimanche, la porte-parole de l’ambassade des États-Unis en Russie a écrit que « la détention de plus de 1000 manifestants pacifiques en Russie et l’usage disproportionné de la force policière minent le droit des citoyens à participer au processus démocratique ».
L’Union européenne a également dénoncé la vague d’arrestations. « Ces détentions et le recours disproportionné à la force contre des manifestants pacifiques […] portent une fois de plus gravement atteinte aux libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion », pouvait-on lire dans un communiqué citant la porte-parole de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Une nouvelle stratégie
Ainsi, en quelques jours, une élection locale d’importance mineure s’est transformée en impressionnante crise politique. Malgré tout, rien de nouveau sous le soleil, selon Maria Popova, professeure agrégée de science politique à l’Université McGill : la contestation actuelle s’inscrit en pleine continuité dans les efforts que mène l’opposition depuis 2011, quand elle s’était dressée contre le retour de Vladimir Poutine à la présidence.
La différence, à son avis, serait simplement tactique. « L’opposition semble avoir changé de stratégie. Plutôt que d’attendre la tenue des élections, puis de dénoncer la falsification des résultats, elle s’en prend à l’exclusion de candidats. Il faut toutefois savoir que de telles mises à l’écart de candidats ont eu lieu de nombreuses fois par le passé », explique la spécialiste des transformations étatiques post-soviétiques.
En réplique à cette nouvelle stratégie, « le régime réagit plus fortement qu’habituellement », poursuit Mme Popova. Vendredi et samedi matin, dans l’espoir d’étouffer la mobilisation, plusieurs chefs du mouvement ont vu leur domicile être fouillé et ont été interpellés dans le cadre d’une enquête pour « entrave au fonctionnement d’une commission électorale ». Ils risquent pour cela cinq ans de prison.
Ces arrestations survenaient après que, mercredi, l’opposant vedette Alexeï Navalny eut été condamné à 30 jours de prison pour avoir invité le public à participer à la manifestation. Dimanche, Navalny a été transféré de sa cellule de prison à l’hôpital après une grave réaction cutanée, apparemment allergique, mais potentiellement due à une « substance chimique inconnue », selon son médecin.
Vers une concession ?
Maintenant que des manifestants arrêtés seront vraisemblablement appelés en cour dans les prochains jours, OVD-Info et d’autres organismes leur offriront de l’aide juridique. M. Durnovo s’attend à ce que les convocations continuent dans les prochains mois. « Nos avocats seront prêts à les aider », assure-t-il, même s’il ne se montre pas particulièrement optimiste quant à l’issue des procès.
« Typiquement, les cours de justice russes s’en tiennent aux rapports policiers, dit-il. Même quand des preuves vidéo ou photographiques montrant l’innocence sont présentées, elles remettent rarement en cause les conclusions des enquêtes. »
« De quoi le régime a-t-il peur ? C’est assez curieux », analyse Mme Popova. S’il est raisonnable d’imaginer que l’opposition puisse décrocher quelques sièges à Moscou, ses chances d’obtenir des gains ailleurs au pays sont minces, pense-t-elle.
« Mon hypothèse, c’est qu’à force de réprimer la liberté d’expression, le régime a du mal à évaluer sa réelle popularité », tente la professeure. Selon elle, même si l’opposition a déjà appelé à tenir une « nouvelle manifestation d’ampleur » samedi prochain, la contestation va tranquillement s’évanouir.
Mais peut-être le régime va-t-il permettre à Lioubov Sobol, une jeune juriste de 31 ans proche d’Alexeï Navalny, de se présenter, pense Mme Popova. Permettre de concourir à cette populaire opposante, nouvelle venue en politique, constituerait une concession visant à faire taire l’opposition.
Avec l’Agence France-Presse