En France, la procréation assistée soulève des questions

Est-ce reparti pour un tour ? En 2013, la France avait connu ses plus grandes manifestations en près de 30 ans. Plus d’un million de personnes s’étaient mobilisées pendant des semaines contre la loi légalisant le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels. Face aux protestations monstres, le gouvernement de François Hollande avait alors été contraint de mettre de côté deux autres réformes pourtant défendues par les ministres qui portaient la loi, dont la ministre de la Justice, Christiane Taubira.
Il s’agissait de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules et aux couples de lesbiennes ainsi que la gestation pour autrui (GPA), qui autorise les couples à faire appel à une mère porteuse, payée ou pas, pour leur faire un enfant.
Craignant de remettre le feu aux poudres, le président Emmanuel Macron aura attendu plus de deux ans et la fin de la tempête des gilets jaunes pour aller de l’avant avec sa promesse électorale de légaliser la PMA pour les femmes seules ou homosexuelles. Cette semaine, le projet de loi a été transmis au Conseil d’État et on s’attend à ce qu’il soit discuté au Parlement dès le mois de septembre.
Pourquoi ce débat ?
Alors qu’elle est légalisée au Québec depuis belle lurette, pourquoi l’ouverture de la PMA à toutes les femmes fait-elle tant débat en France ?
Il faut savoir qu’en France, la PMA a toujours été strictement encadrée depuis la naissance d’Amandine, le 24 février 1982, le premier « bébé-éprouvette ». Une technique dans laquelle le pays était alors à la pointe. Jusqu’à aujourd’hui, ce service a été réservé aux couples infertiles, qui ne pouvaient donc s’en prévaloir que pour des raisons strictement médicales. C’est à ce titre aussi que la PMA est remboursée par l’État. Pendant longtemps, les comités d’éthique chargés de réviser périodiquement la loi avaient absolument tenu à préserver ce principe.
Il s’agirait donc aujourd’hui de substituer un principe d’égalité entre les femmes à celui qui considérait jusque-là la PMA comme une façon de compenser une forme ou une autre d’infertilité. Une fois votée, la nouvelle loi permettra à toutes les femmes de moins de 42 ans, indépendamment de leur fertilité et de leur situation de couple, de bénéficier d’une PMA remboursée par l’État. Le gouvernement veut aussi permettre à ces femmes de conserver leurs ovocytes afin de différer leur maternité.
« Nous passons peu à peu d’une médecine réparatrice à une médecine amélioratrice, du curatif à l’augmentation », expliquait dans le journal La Croix le Dr Bertrand Galichon, président du Centre catholique des médecins français. Un argument que récuse l’Ordre des médecins en s’appuyant sur une définition élargie de la santé et selon laquelle « le désir d’enfant est une souffrance et le médecin est là pour l’entendre ».
Contrairement à ce qui s’était passé pour le mariage homosexuel, le gouvernement veut éviter de brandir ce projet de loi comme un marqueur politique, comme l’avaient fait François Hollande et Christiane Taubira. « Je ne vais pas porter cette réforme comme un étendard », affirme la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Après tout, cette loi ne concerne que « quelques milliers de femmes », précise-t-elle.
Une étape vers la GPA ?
Si le gouvernement semble marcher sur les oeufs, c’est aussi que plusieurs de ses membres s’étaient abstenus lors du vote du mariage homosexuel en 2013. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et du premier ministre lui-même, Édouard Philippe. La députée de l’Oise et ancienne directrice d’école, Agnès Thill, vient d’ailleurs d’être expulsée du parti de la majorité, La République en marche (LREM), pour avoir dénoncé l’« éviction des pères de la naissance et de l’éducation des enfants » ainsi que la présence d’« un puissant lobby LGBT à l’Assemblée nationale ». Tout cela alors que LREM a promis un vote libre sur ce projet de loi. Dans la majorité, plusieurs s’interrogent tout particulièrement sur le remboursement par la Sécurité sociale d’un traitement qui ne relève pas d’une maladie et qui pourrait même être qualifié de « traitement de confort », notamment en ce qui concerne la congélation des ovocytes.
Si pour les groupes de défense des homosexuels, cette loi met fin à une discrimination envers certaines femmes, elle s’inscrit pour d’autres dans la reconnaissance d’un « droit à l’enfant ». « On a le droit à quelque chose, pas à quelqu’un ! », affirmait cette semaine sur France Inter la philosophe Sylviane Agacinski qui vient de publier L’homme désincarné, du corps charnel au corps fabriqué (Tracts, Gallimard). Selon elle, en détachant toujours plus la filiation de la reproduction biologique et en créant ce que le droit américain appelle des « parents d’intention », l’extension de la PMA n’est qu’une étape vers la reconnaissance à terme de la GPA pour les couples d’hommes. Une intention que nie cependant catégoriquement le gouvernement.
Chose certaine, en six ans, l’opinion publique française a changé. Alors qu’en 2013 une majorité de Français s’exprimaient en faveur du mariage homosexuel, mais contre l’adoption par les couples homosexuels, cette fois, 65 % des répondants se disent en faveur de l’ouverture de la PMA. Un sondage que vient cependant relativiser une autre enquête faite par les opposants à la loi et qui révèle que 82 % des Français estiment que l’enfant né par PMA a « le droit d’avoir un père et une mère ».
Pour le sondeur François Kraus (Ifop), la question est beaucoup moins clivante que ne le fut celle du mariage homosexuel. Selon lui, les groupes de pression auront beaucoup plus de difficulté qu’en 2013 à mobiliser largement. Si les groupes LGBT voient dans ces sondages une « évolution » normale des mentalités, le philosophe Paul Thibaud s’exprimant dans Le Figaro y voyait plutôt une forme de retrait et d’« affaiblissement du civisme ». Bref, « l’expression d’un refus de s’en mêler ».