Commission européenne: l'énigme de la prochaine présidence

Les drapeaux au vent à l’entrée du bâtiment Berlaymont de la Commission européenne, à Bruxelles
Photo: Georges Gobet Agence France-Presse Les drapeaux au vent à l’entrée du bâtiment Berlaymont de la Commission européenne, à Bruxelles

Les Européens n’ont toujours pas trouvé la perle rare. Au terme d’une réunion à Bruxelles qui s’est terminée à 2 h 30 du matin vendredi, la situation semble toujours aussi confuse en ce qui concerne le nom de celui qui dirigera l’exécutif européen et y imprimera sa marque dans les cinq prochaines années. En réalité, le processus a déjà franchi une étape. Les chefs d’État et de gouvernement ont constaté l’impossibilité de s’entendre sur ce qu’on appelle à Bruxelles un spitzenkandidat, à savoir l’une des têtes de liste des grandes formations issues des élections du 26 mai dernier.

En 2014, c’est la tête de liste du Parti populaire européen (droite) Jean-Claude Juncker qui avait été désignée par les chefs d’État et de gouvernement. Voulant donner un contenu plus européen à cette élection qui se joue en réalité sur des enjeux largement nationaux, les dirigeants avaient imaginé cette formule, même si ces spitzenkandidat demeurent de parfaits inconnus pour l’immense majorité des Européens. Vendredi, aucune de ces têtes de liste n’a obtenu la majorité nécessaire. Arrivé premier mais affaibli, le PPE ne semble pas cette fois en mesure d’imposer Manfred Weber. Un candidat dont le choix avait été largement motivé par des considérations partisanes. Issu de la CSU, le choix de Weber permettait en effet de sceller la réconciliation entre Merkel et son allié bavarois.

Une Europe éclatée

 

Depuis plusieurs semaines, le président français Emmanuel Macron a manifesté son opposition à la désignation de Weber, jugé officiellement peu expérimenté, mais aussi trop proche de la politique européenne plutôt timide que pratique la chancelière. Ce que la tête de liste du groupe d’Emmanuel Macron, Nathalie Loiseau, a exprimé avec sa délicatesse habituelle en le qualifiant à huis clos d’« ectoplasme ».

J’ai constaté avec un certain plaisir […] qu’il n’est pas très facile de me remplacer

La désignation d’un des trois spitzenkandidat est-elle pour autant écartée ? Oui, selon Emmanuel Macron, pour qui les candidatures de Weber (conservateurs), Timmermans (socialistes) et Vestager (libéraux) ne sont plus sur la table. Mais on est beaucoup moins affirmatif du côté de la chancelière et du PPE, qui ont préféré laisser la porte ouverte.

« J’ai constaté avec un certain plaisir […] qu’il n’est pas très facile de me remplacer », a ironisé Jean-Claude Juncker. Cet échec marque en réalité le véritable début des négociations en coulisses. Un véritable jeu d’équilibriste face à une Europe de plus en plus éclatée. Il s’agit en effet de satisfaire chacune des tendances de la nouvelle coalition droite-gauche et libérale qui dominera le Parlement, sans oublier Les Verts. Jeux d’équilibre aussi entre les présidences de la Commission, du Conseil, de la Banque centrale et le poste de haut représentant pour les Affaires étrangères. Bref, il en faut pour tous.

Les divergences croissantes entre Berlin et Paris sont au coeur de ce choix difficile. La mise à l’écart de Weber pourrait néanmoins accroître les chances du Français Michel Barnier, qui se pose depuis plusieurs semaines en recours. Barnier est probablement le candidat le plus qualifié pour occuper ce poste. Négociateur du Brexit, on lui accorde le mérite d’avoir su conserver l’unité des 27 au cours de ces négociations difficiles.

Ancien ministre de l’Environnement et des Affaires étrangères, il a mené une campagne discrète depuis des mois et a rencontré presque tous les dirigeants européens. Il a même le soutien des pays du groupe de Visegrád, y inclus du premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui voit en lui un candidat respectueux des souverainetés nationales. Toujours membre des Républicains, donc du PPE, et jugé « Macron compatible », Barnier pourrait faire figure de prix de consolation pour les conservateurs après la déconfiture de Weber.

Pourquoi pas une femme ?

Mais, tous les observateurs s’entendent pour dire qu’il a le grand désavantage d’être français. Sa nomination apparaîtrait comme une double défaite pour la chancelière allemande, par ailleurs déjà affaiblie. Tout cela à un moment où les désaccords se multiplient entre l’Allemagne et la France. Sans oublier que cette dernière reste un mauvais élève sur le plan économique et demeure plutôt isolée en Europe.

L’autre candidat qui semblait taillé pour le poste est l’ancienne commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager. Face à un blocage, il ne serait pas impossible que la nomination d’une première femme à la présidence de la Commission permette de sortir de l’impasse avec panache. Membre des libéraux (comme Emmanuel Macron), Vestager s’est fait remarquer par son combat contre les géants du numérique. À son désavantage, précisons que c’est elle qui avait bloqué l’accord Alstom-Siemens, qui aurait permis de créer un géant européen du chemin de fer. Autre problème, son pays n’est pas membre de la zone euro.

Depuis vendredi, plusieurs nouveaux noms circulent. On évoque ceux de la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic et du premier ministre belge Charles Michel. Même celui de l’actuel président du Conseil, Donald Tusk, n’est pas écarté. Il y a quelques jours, Emmanuel Macron n’avait-il pas lancé celui d’Angela Merkel ?

L’heureux élu doit obtenir le soutien de 21 des 28 dirigeants européens et une majorité de 376 voix.

Les 28 se reverront exceptionnellement le 30 juin afin que le nouveau Parlement puisse se réunir comme prévu le 2 juillet. Car, dans l’Union européenne, tout procède du choix du président de la Commission. Il reste à peine plus d’une semaine pour sortir de l’impasse. « Il est plus facile d’élire le pape », a ironisé le premier ministre irlandais Leo Varadkar.

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