Surfer à Munich dans le plus grand parc urbain du monde

Sophia, l’une des seules femmes qui pratiquaient le surf lors de notre passage dans l’Englischer Garten, à Munich.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Sophia, l’une des seules femmes qui pratiquaient le surf lors de notre passage dans l’Englischer Garten, à Munich.

Le Devoir poursuit son portrait de la capitale de la Bavière, souvent désignée meilleure ville du monde. Cette fois, nous partons à la découverte des rapports entre la métropole et la rivière Isar.

Sophia s’amusait tellement sur la vague qu’elle ne voulait pas donner d’entrevue. « Pas maintenant, plus tard peut-être. » O.K. « Non. » Bien compris. « Encore plus tard. » O.K.

Une quinzaine de surfeurs de ville s’activaient à Munich lundi dernier, jour de la Pentecôte, férié en Allemagne. Il faisait très beau, très chaud, et des centaines de badauds admiraient la virtuosité des glisseurs de l’onde.

La vague est créée par l’Eisbach, ruisseau froid qui porte donc ce nom. Son embouchure tumultueuse se trouve à une extrémité de l’Englischer Garten, plus grand parc urbain du monde, encore plus grand que Central Park. C’est un peu comme si on retrouvait des surfeurs en plein Manhattan.

L’onde glacée jaillit de terre avec force. Les intrépides portent tous une combinaison de plongée (les moins frileux à manches courtes) qui leur donne un semblant de look de superhéros. En hiver, les baigneurs ajoutent des chausses, des gants, une cagoule. Mais pas de casque, et advienne que pourra.

Les téméraires attendent leur tour sur chacune des berges, d’un côté sur le ciment du canal, de l’autre sur une ancienne structure de bois, pieds nus. Ils s’élancent à tour de rôle, à gauche, à droite. Le chevauchement de la vague dure quelques secondes. Les pros vont et viennent sur les quelques mètres de largeur.

Dès que Sebastian Steinbeck s’élance, même un non-initié voit bien qu’il occupe une classe à part où l’effort fait place à la maîtrise. Le svelte jeune homme est d’ailleurs le nouveau, et en fait premier, champion d’Allemagne du Surf de rapides, compétition qui a été organisée à Langefeld en Rhénanie le mois dernier. Il ne vit pas de son talent aquatique. Il étudie pour devenir ébéniste.

Il s’adonnait déjà au kitesurf (ou planche aérotractée) quand il a tenté de dompter sa première vague il y a quatre ans. Il a commencé en banlieue de Munich sur une vague intérieure. Il y en a beaucoup dans ce pays, et la popularité du sport gagne aussi le Québec. Il y a deux autres bonnes vagues rien qu’à Munich.

« C’est un endroit magique ici, dans l’Eisbach, dit-il. L’eau est froide, mais elle n’est pas polluée. La Ville a voulu éliminer la vague il y a deux ans, mais elle a été protégée par les protestations. »

Tout le monde l’appelle Basti, y compris les magazines spécialisés dans leurs entrevues. Et c’est comme ça que l’a désigné Marcos Wagner, jeune Brésilien qui vit en Bavière depuis 2014. Lui commence à surfer.

« Le défi consiste à glisser d’un bord à l’autre, dit-il. Mais même les meilleurs ne restent pas sur la vague très longtemps, une vingtaine de secondes au maximum, par politesse, pour laisser la chance à tous de s’exercer. » À chacun la vague, et chacun selon ses capacités.

 

 

L’accès aux berges

L’Englischer Garten se déploie sur une superficie de 375 hectares. L’immense jardin à l’anglaise a été ouvert au public en 1792. Il y a une immense pagode de bois reconstruite après sa destruction par des bombardements en 1944 ; quatre Biergaten très fréquentés ; un monoptère — un temple rond à la grecque, où les Munichois dansent fiévreusement ; puis un très grand lac artificiel navigable et baignable, des boisés et une immense, mais vraiment gigantesque, pelouse pour les pique-niques, les jeux, le farniente.

Les habitudes nudistes, présentées comme signe d’ouverture de la ville réputée conservatrice dans les années 1960-1970, semblent en voie de disparition. En tout cas, nous n’avons aperçu qu’un seul monsieur tout nu lundi dernier.

Le constat est le même sur l’Isar, affluent du Danube qui traverse Munich. La municipalité a entrepris des chantiers de revitalisation naturelle des berges au tournant du siècle et ainsi développé plusieurs magnifiques plages dans la ville.

Les plus près du centre font regretter encore une fois qu’il n’existe vraiment rien de semblable à Montréal. On ne se baigne toujours pas à la plage de l’Horloge dans le Vieux-Montréal, et au moins 108 des 128 kilomètres de berges de l’île sont privatisés.

Passion paysage

 

Munich est aussi une capitale exceptionnelle pour sa proximité avec la nature. Les Alpes sont visibles de la ville entourée de parcs et de zones protégées. Des trains vous y mènent rapidement pour quelques dollars.

L’Isartalverein, une association de protection de la vallée de la rivière, date de 1902 et serait un des plus anciens organismes de protection de l’environnement au monde. Elle continue d’acheter des terres pour les préserver, protéger les paysages et y aménager des sentiers pédestres et cyclables. L’Isartalverein recevra en octobre le prix national de gestion forestière exemplaire du ministère bavarois de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Forêts.

Un sondage mené auprès des Bavarois a placé le paysage comme une des sources principales de leur fierté identitaire. Melanie approuve. Elle habite en banlieue et est venue passer la journée à Munich, au jardin anglais, avec son copain Max. Le plus souvent, pour s’évader, ils se tournent plutôt vers les montagnes et les lacs des environs.

« Ce parc est merveilleux, a dit Melanie alors que Max sortait de l’Eisbach. Mais normalement, quand nous voulons de la nature, nous sortons de la ville. » Les deux surfent régulièrement dans leur patelin, sur une vague artificielle.

Il n’y avait que deux jeunes femmes dans le lot des surfeurs lundi, dont Sophia, la plus habile des deux. « C’est un sport qui attire surtout des hommes, mais ça change », dit le champion Sebastian, dit Basti. D’ailleurs, sa soeur de 16 ans vient de s’y mettre aussi.

Finalement, nous avons rattrapé Sophia plus tard et par hasard, alors qu’elle retournait à son petit coin de repos. Annik l’a prise en photo avec sa planche sous le bras et la Haus der Kunst en arrière-plan, gigantesque et pompeux édifice néoclassique on ne peut plus nazi, puisqu’il a été érigé dans les années 1930.

« Je me suis initiée au sport il y a quatre ans, explique-t-elle. J’ai commencé dans l’océan. J’ai même surfé à Montréal, mais la vague n’était pas très intéressante. »

Elle parlait de la « vague à Guy », en effet très douce. Elle sait que celle d’Habitat 67 est autrement plus méchante.

Sophia est hôtesse de l’air. Elle divise ses mois : deux semaines à Munich, deux semaines au Portugal. Et ici comme là, elle surfe.

« Il n’y a pas beaucoup de femmes aujourd’hui. On n’était que deux. Mais on en voit de plus en plus. Et pour moi, c’est formidable d’avoir accès à ce site en pleine ville. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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