La traversée du désert d'Emmanuel Macron

Après un an et demi de réformes, souvent dans la ligne directe de celles que prévoyait François Hollande, Emmanuel Macron n’est parvenu à faire baisser le chômage que de 1%.
Photo: John Thys Agence France-Presse Après un an et demi de réformes, souvent dans la ligne directe de celles que prévoyait François Hollande, Emmanuel Macron n’est parvenu à faire baisser le chômage que de 1%.

Pourquoi un président se fait-il photographier avec deux rappeurs torse nu dont l’un a le pantalon baissé dévoilant son caleçon et l’autre fait un doigt d’honneur ? Cette question, tous les Français se la sont posée depuis trois semaines, après avoir vu le chef de l’État en cette étrange compagnie lors d’un voyage à Saint-Martin. Pas que le président n’ait pas le droit de se faire photographier avec les gens du cru, mais parce que cette image tranche radicalement avec celle qu’Emmanuel Macron avait voulu projeter depuis son élection. Celle d’un président « jupitérien » en possession de tous ses moyens et maîtrisant parfaitement sa communication.

L’affaire serait banale si elle ne s’inscrivait pas dans toute une série de déconvenues qui ont rythmé depuis trois mois la descente d’Emmanuel Macron au plus bas des sondages. Même s’ils ont flirté avec la même impopularité à leur époque, Nicolas Sarkozy et François Hollande n’avaient pas connu une telle série de couacs en si peu de temps, un an et demi après leur élection. Ce qui faisait dire à l’ancien ministre et philosophe Luc Ferry que Jupiter est littéralement « tombé de l’Olympe ».

Les Français peinent en effet à trouver la logique de l’action présidentielle depuis l’affaire Benalla. Rappelons que ce garde du corps personnel, qui avait un accès privilégié au président, a été filmé en pleine manifestation du 1er Mai en trait de tabasser un manifestant. Depuis, sont venus les départs fracassants de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, deux des rares ministres connus et estimés de la population.

La semaine dernière, après deux semaines de tergiversations et de reports, les Français assistaient à un remaniement ministériel sans surprise. On pense aussi à ces mots adressés par Emmanuel Macron à un jeune horticulteur lui conseillant de « traverser la rue » pour trouver du travail dans l’hôtellerie. Sans oublier cette étrange allocution en direct le 16 octobre dernier devant une fenêtre de l’Élysée dans le clair-obscur au cours de laquelle le président n’a strictement rien annoncé sinon qu’il poursuivait ses réformes.

La « hollandisation »

Malgré la différence de style et la volonté de rupture, les observateurs n’auront pas manqué de remarquer les points communs qui se font de plus en plus jour entre Emmanuel Macron et son prédécesseur, François Hollande. À commencer par leur incapacité à faire véritablement reculer le chômage. Après un an et demi de réformes, souvent dans la ligne directe de celles que prévoyait François Hollande, Emmanuel Macron n’est parvenu à faire baisser le chômage que de 1 %. Celui-ci a même augmenté de 0,3 % au troisième trimestre de 2018. Tout cela alors que le pouvoir d’achat continuait à stagner.

Derrière un remaniement en apparence sans originalité se cache aussi la confirmation du fait que les principaux ministères (Intérieur, Justice, Armées, Affaires internationales) sont toujours entre les mains d’anciens socialistes, à l’exception de l’Économie, de la Culture et du poste de premier ministre occupé par Édouard Philippe, d’ailleurs très populaire. Après une semaine d’hésitations, Emmanuel Macron a en effet confié le ministère de l’Intérieur à l’un de ses très rares fidèles. Christophe Castaner est pourtant très loin d’inspirer la même confiance que Gérard Collomb à ce poste.

Voilà qui faisait dire à un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs et d’essayistes surnommé Les Arvennes qu’au fond, Emmanuel Macron accorde assez peu d’importance au régalien. Alors que toute l’actualité de la semaine a tourné autour d’une photo montrant un lycéen mettant en joue un professeur avec un revolver factice, le président n’a pas eu un seul mot sur le sujet.

« Inspecteur des finances, ancien banquier de chez Rothschild, enfant chéri du CAC 40 et de la presse financière anglo-saxonne, homme de la fluidité, du numérique, de l’ubiquité […] il ne considère pas ces sujets comme essentiels, tant, à ses yeux, tout part et revient à l’économie », écrit le collectif d’experts.

Le remaniement de la semaine dernière, qualifié de « dosage d’apothicaire » par le directeur de Libération, Laurent Joffrin, a aussi mis en évidence la solitude d’un homme sans véritable parti politique ni cadres dirigeants.

Les européennes en vue

 

En arrière-plan de chacune de ces manoeuvres se profilent les prochaines échéances électorales, les élections européennes de mai 2019. Rarement une élection européenne aura été aussi cruciale. Alors qu’Angela Merkel est paralysée par sa coalition, Macron veut poser en leader du camp « progressiste » contre la montée des nationalismes et des populismes. Sa stratégie consiste pour l’instant à tenter de diviser la droite en dissuadant le centre droit de s’allier aux conservateurs.

Rien ne dit pourtant que l’euroscepticisme en pleine explosion dans toute l’Europe n’aura pas raison de cette stratégie. Fin analyste depuis toujours, l’ancien président François Hollande n’hésite pas à envisager le scénario le plus noir. « Au train où vont les choses, En Marche va se prendre une claque aux européennes et Macron sera contraint de dissoudre l’Assemblée. Et comme Chirac avant lui, il va s’auto-dissoudre », a expliqué l’ancien président aux sénateurs socialistes, propos rapportés par Libération. Un diagnostic repris en creux par Alain Juppé, qui dit redouter un « référendum pour ou contre Macron ».

Bien sûr, on n’en est pas là. Pourtant, depuis quelques semaines, un début de vent de panique a semblé se lever sur l’Élysée. Alors que paraît ces jours-ci le livre intitulé Mimi (Grasset), qui brosse le portrait de Mimi Marchand, reine de la presse people, qui a conseillé de très près le couple présidentiel, on sent la tentation de s’en remettre chaque fois à de nouvelles stratégies de communication. Pas sûr que la com soit vraiment la solution.

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