Mariage à l’anglaise: Harry et Meghan en état de grâce

Son Altesse Royale le prince Henri de Galles, alias Harry, 33 ans, convole aujourd’hui en justes et gigantesques noces avec Meghan Markle, roturière, divorcée, Américaine, de trois ans son aînée.
Il faut avoir vécu sous une sorte de dolmen quelque part en Corée du Nord pour ne pas le savoir. La passion médiatique pour cette union frise la frénésie maladive. Même RDI et LCN vont relayer la cérémonie du château de Windsor jusqu’ici, dans ce recoin du Commonwealth quand même réputé comme étant un tantinet antimonarchique.
Comment expliquer cette Harry Meghan Mania ? Le journaliste John Fraser, lui-même passionné sociopolitiquement de la Couronne britannico-canadienne, a envoyé sa réponse la plus éclairante après l’entrevue téléphonique en citant un extrait de Walter Bagehot, son alter ego du XIXe siècle, lui aussi journaliste, lui aussi spécialiste de la monarchie britannique.
« Un mariage princier est la réalisation brillante d’un fait universel et, en tant que tel, il soude l’humanité », écrivait Bagehot en 1863, au moment de l’union ente le futur roi Édouard VII et la princesse Alexandra de Danemark.
« Une famille royale adoucit la politique en ajoutant de jolis et agréables événements. Elle introduit des faits non pertinents dans les affaires du gouvernement, mais ce sont des faits qui touchent au coeur des gens et occupent leurs pensées. »
En tout cas, notait déjà le monarchiste, une union princière ou royale intéresse la moitié de l’humanité « 50 fois plus qu’un mariage de ministre ». On semble pouvoir multiplier par dix ou par cent ou par mille l’évaluation dans notre monde hypermédiatisé en ce début de XXIe siècle.
« C’est une situation complexe et en même temps toute simple, dit M. Fraser en entrevue. C’est une histoire d’amour, mais c’est aussi un tournant pour la façon de voir la monarchie britannique. L’histoire de la princesse Diana, mère de Harry et de son frère William, a fini tragiquement. Elle, puis la famille, a éduqué ses deux fils de manière moins rigide. La Couronne a bien senti que les deux héritiers incarnaient un nouvel âge, celle des nobles plus naturels, plus ordinaires si l’on veut. Harry se présente même comme un bad boy, un esprit plus libre. Et son mariage, après celui de William, vient le confirmer. »

Les deux promises et choisies, Kate Middleton et Meghan Markle, sont en plus deux roturières. Mme Markle vient du showbiz. Sa mère est Afro-Américaine. Et elle-même se décrit comme « mixed race ».
« C’est tout un choc pour certains de voir arriver une Noire dans la famille royale. Pour les Britanniques noirs, plus noirs que Meghan Markle, même s’ils ne sont pas attachés à la Couronne, c’est un symbole fort. Je pense que pour survivre, l’institution doit se diversifier de cette manière. En tout cas, elle ne peut pas rester confinée à la haute classe blanche. »
Il y aurait donc une sorte de « moment Obama » avec cette incorporation dans la Couronne de Mme Markle. Un moment extraordinaire qui cristallise un changement dans la lente marche des institutions.
Un monarchiste
John Fraser, lui-même, est tout sauf un journaliste ordinaire. Il a été critique de danse et de théâtre, correspondant en Chine et chroniqueur pour le Globe Mail, éditeur du magazine Saturday Night, recteur du collège Massey de l’Université de Toronto. Il préside maintenant le National NewsMedia Council, l’équivalent canadien du Conseil de presse du Québec.
Il est aussi le fondateur de l’Institut pour l’étude de la Couronne au Canada. Il se décrit comme un « partisan de la notion », disons un monarchiste pour faire court.
« C’est un institut qui s’intéresse à la Couronne, mais pas à ce qu’on retrouve dans les magazines, si vous voyez ce que je veux dire. Nous organisons des colloques sur le rôle, le symbole et l’évolution de la monarchie dans notre système de gouvernement. »
M. Fraser a publié en 2012 The Secret of the Crown : Canada’s Affair with Royalty (House of Anansi Press). Cette relation spéciale passe ici par une relation un peu tordue, reconnaît le spécialiste. D’un côté, la monarchie et ses représentants (le vice-roi et les lieutenants-gouverneurs), tout ce système de survivance inégalitaire, énervent bien du monde de la société démocratique. D’un autre côté, il semble difficile d’en changer précisément parce qu’une importante minorité y tient, dont beaucoup de nations autochtones.
« Notre système demandant l’unanimité des législatures fait que c’est très compliqué de se débarrasser de cette institution, Pierre Elliott Trudeau l’a bien vu en rapatriant la Constitution en 1982. En plus, par un étrange effet de l’histoire, la famille royale sert le processus de réconciliation avec les peuples fondateurs. Ils adoptent la notion, soutenue par l’exemple du Québec, voulant que le système politique canadien permette à des nations d’exister dans la nation. »
De la médiation
Le windsorologue note aussi la confiance renouvelée dans la monarchie par le fait même du dévouement indéfectible de la reine Élisabeth, grand-mère de Henri, prince de Galles, championne mondiale de la longévité en règne. La série The Crown sur Netflix (60 épisodes couvriront six décennies de notre ère élisabéthaine) vient de relancer cette notoriété. Charles prendra le relais d’ici peu. Le futur roi aura attendu dans l’ombre de sa mère 70 ans et plus après avoir vécu dans l’ombre de sa première femme et maintenant de ses deux fils.
« Il va occuper de plus en plus de fonctions officielles ennuyeuses, en remplacement de sa mère, pour adouber des chevaliers et distribuer des médailles. Puis il deviendra roi à son tour, probablement pour une dizaine d’années, et les gens vont voir qu’il est un homme décent. Et puis ce sera au tour de William. Mais c’est Harry qui aura la part belle, avec Meghan, probablement en parcourant le Commonwealth. »
Meghan Markle reviendra donc au Canada, à Toronto, où elle a vu sa carrière télé s’épanouir avec la série Suits. John Fraser cite une chronique australienne qui donnait tout au plus cinq ans à la nouvelle mariée avant de quitter son prince et son monde incroyablement routinier et ennuyeux. Sans oublier l’attention monomaniaque des tabloïds britanniques que même une actrice hollywoodienne aura de la difficulté à supporter.
« Cette presse n’a rien de comparable ici, dit le président de l’organisme d’autorégulation des médias canadiens. Elle est en mission de destruction. »
En tout cas, la mère du prince qui se marie est morte de cette folie médiatique. « Diana a essayé de changer des choses. Pour moi, le mariage de Harry et Meghan est un “moment Diana”. Vous savez, au fond, une famille royale, c’est une famille comme les autres, avec ses hauts et ses bas, ses rebelles et ses conformistes, ses chicanes aussi, mais une famille constamment scrutée à la loupe… »