Catalogne: le jeu du chat et de la souris

Le drapeau des indépendantistes de la Catalogne réalisé avec 82 000 bougies, à Llivia
Photo: Raymond Roig Agence France-Presse Le drapeau des indépendantistes de la Catalogne réalisé avec 82 000 bougies, à Llivia

Le 21 septembre dernier, Alexandre Rovira Castella était au volant de sa voiture lorsque des hommes dans un véhicule banalisé lui ordonnèrent de s’arrêter. Les policiers fédéraux en civil fouillèrent l’automobile de fond en comble avant de confisquer une boîte. Une simple boîte de t-shirts jaunes sur lesquels le mot « si » était décliné dans une vingtaine de langues. Sur le constat remis au conducteur, il est précisé que les policiers ont confisqué du matériel « faisant allusion » au référendum du 1er octobre.

Ce genre de scène banale, qui rappelle l’époque où, au Québec, en octobre 1970, des policiers saisissaient les oeuvres de dangereux auteurs marxistes, peut se produire à tout moment ces jours-ci à Barcelone, dit l’écrivain et chroniqueur de La Vanguardia Marius Serra. « Personne ne sait plus où est le droit et quelle est la légalité. Depuis la fin de la dictature, on n’avait jamais vu une telle ingérence politique dans les affaires de la justice ! »

Dans son quartier de la Horta, au pied des collines de Barcelone, les façades des immeubles sont tapissées de grands drapeaux catalans, avec l’étoile signe des indépendantistes. Pour Serra, cette saisie de matériel électoral n’est qu’un exemple parmi d’autres de la surenchère à laquelle se livre actuellement Madrid pour empêcher le référendum du 1er octobre sur l’indépendance de la Catalogne. « C’est une vraie guérilla psychologique », dit-il.

Le ton monte

 

À quatre jours du jour J, le ton a monté d’un cran. La semaine précédente, c’est le haut fonctionnaire Josep Maria Jové qui avait été intercepté sur l’autoroute alors qu’il se rendait au travail. Avec 13 de ses collègues chargés des Finances de la région, il a passé 72 heures au poste. La durée légale de la garde à vue en Espagne. Même la Marie-France Bazzo catalane, l’animatrice Mònica Terribas, devra comparaître pour avoir invité ses auditeurs à lui signaler en direct les mouvements des gardes civils (la police de Madrid) dont ils étaient témoins dans leur région.

Étrange coïncidence, ironise Marius Serra, c’est cette semaine que la justice espagnole a choisie pour condamner l’ancien président de la Generalitat de Catalogne, Artur Mas, à une amende de 5,2 millions d’euros pour avoir laissé se dérouler la grande consultation populaire du 9 novembre 2014 qui avait remplacé le référendum interdit par Madrid. Le message est clair : ceux qui aident d’une manière ou d’une autre à l’organisation du référendum de dimanche encourent de lourdes peines. Même l’emprisonnement du président catalan Carles Puigdemont n’est pas exclu, a admis le procureur général espagnol José Manuel Maza.

Une douce euphorie

 

Étrangement, pendant que Madrid a dépêché en Catalogne plus de 10 000 gardes civils et 75 % des forces antiémeutes du pays et qu’il s’apprête à forcer la sécurité publique catalane à réquisitionner les bureaux de vote, il règne chez les partisans du référendum une ambiance bon enfant. Une sorte de douce euphorie qui se constate dans toutes les manifestations.

« Partout, on semble prendre un malin plaisir à jouer au chat et à la souris avec le gouvernement central, dit Marius Serra. Les gens font preuve d’une étonnante imagination. Il règne même en ce moment, à Barcelone, une étrange joie de vivre. » Est-ce pour oublier le tragique de ce qui se joue ? Il suffit que Madrid bloque les sites Internet destinés à informer les électeurs de leur bureau de vote pour que des cracks en informatique créent des sites miroirs sous des appellations toutes plus ironiques les unes que les autres. Les plus récentes ressemblaient à « Marianorajoy.cat » ou « Guardiacivilsexy.cat ». Plusieurs de ces informaticiens, qui ne se cachent d’ailleurs pas, ont été convoqués par la justice et risquent de lourdes amendes. Ces jours-ci, la vedette des réseaux sociaux catalans est un petit oiseau jaune. Il se nomme Titi (Tweety), le personnage de dessins animés, compagnon de Grosminet, dont l’image s’est retrouvée par hasard sur un des trois navires de croisière que le gouvernement a réquisitionnés pour héberger les gardes civils dans les ports de Barcelone et de Tarragone. Le week-end dernier, le leader du très populaire groupe catalan Manel est même monté sur scène avec un t-shirt à son effigie. « Depuis que Madrid a décidé d’interdire le référendum, il y a plein de gens qui ne s’intéressaient pas à la politique qui ont soudain décidé de s’impliquer », dit Serra.

« Les vieux réflexes du franquisme »

Parmi eux, Arturo, qui ne s’était jamais soucié de ces débats. Depuis deux semaines, tous les soirs à 22 heures exactement, il sort de chez lui et traverse la rue avec une barre en métal. Ce n’est pas pour casser quelque chose, mais pour taper de toutes ses forces sur le pied du lampadaire. Ce tintamarre assourdissant, qui monte des petites rues déjà bruyantes de Gracia, s’élève depuis plusieurs jours dans la plupart des quartiers de Barcelone. L’homme n’a pourtant rien d’un dangereux gauchiste. À 64 ans, avec son épouse, il dirige une petite entreprise de fabrication d’abat-jour qu’il exporte jusqu’à Cuba.

Lorsqu’on lui demande s’il est pour l’indépendance, il se contente de répondre : « Je suis pour le référendum. Ce gouvernement espagnol me rappelle de mauvais souvenirs. Madrid n’a jamais perdu les vieux réflexes du franquisme. » Certains soirs, c’est son voisin qui tient une petite pizzeria sur la Carrer de Sors qui s’y met à son tour, cette fois à coups de marteau. Lui aussi n’a jamais rien eu à faire avec la politique. Mais la cacophonie monte dans le ciel de la ville alors que ses clients discutent référendum.

« Le paradoxe de ce qui se passe aujourd’hui, c’est que la surdité et la cécité de Madrid sont en train de faire monter le nombre d’indépendantistes en Catalogne », dit Serra. Si le dernier Parlement élu en 2015 réunissait une majorité de députés favorables au référendum, on estimait à seulement 48 % le pourcentage d’électeurs qui avaient clairement voté pour des partis indépendantistes. Il se pourrait que ce pourcentage soit aujourd’hui à la hausse.

Pour Serra, il ne fait pas de doute qu’une immense majorité de Catalans veut voter et qu’il faudra plus que quelques milliers de gardes civils pour les en empêcher. « Évidemment, ce référendum ne sera pas un référendum normal, dit-il. Tout le monde ne pourra pas voter librement partout. Mais personne ne m’interdira de sortir dimanche avec ma mère de 92 ans qui a connu la dictature. J’ai bien hâte de voir quel policier aura le courage de lui dire qu’elle n’a pas le droit de voter. »

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