Le Barça joue sur le terrain politique

Un club de soccer qui se mêle de politique ? Le 20 septembre dernier, quelques heures à peine après que Madrid eut effectué des perquisitions dans les bureaux du gouvernement régional catalan, en plus d’arrêter une douzaine de ses hauts responsables, l’organisation sportive diffusait un communiqué de presse au ton tranchant. « Le FC Barcelona réitère son engagement historique pour la défense de la nation, de la démocratie, de la liberté d’expression, de l’autodétermination et condamne tout geste qui pourrait contrevenir à l’exercice de ces droits. »
Cette sortie n’a pas surpris Núria Reduà, 38 ans, rencontrée sur une terrasse du quartier de Gràcia : « Je suis fière de la réaction du Barça. L’organisation reste à l’écoute de sa base et se lève contre les injustices. Son message a résonné fort. »
Une prise de position en droite ligne avec son slogan, Més que un club (Plus qu’un club), prononcé pour la première fois en 1968. Ni sa popularité mondiale (chiffre d’affaires de 679 millions d’euros pour l’exercice 2015-2016), ni la présence de millions de partisans aux quatre coins de l’Espagne n’ont tenu le Barça à l’écart d’une tradition de combat de plus d’un siècle.
De tous les événements historiques
Le FC Barcelona a été fondé en 1899 par le Suisse Joan Gamper. En compagnie d’amis immigrants et Catalans, il a dès le départ établi que le Barça serait un club démocratique, populaire et ouvert à tous.
Fidèle à cette vision, le club de Lionel Messi est construit, encore aujourd’hui, sur le modèle coopératif. Ainsi, les membres-propriétaires, au nombre d’un peu plus de 140 000 socios, élisent le président du club.
En 1935, à la veille de la guerre civile espagnole, le président de l’équipe, Josep Sunyol, aussi député du plus ancien parti indépendantiste de la Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya) associe le club aux idéaux républicains. Sunyol paiera très cher cette prise de position : il sera assassiné un an plus tard par des soldats franquistes, lors d’un contrôle routier, alors qu’il était encore président du Barça.
Madrid, l’ennemi juré
La prise du pouvoir espagnol par le général Franco, en 1939, a aussi fait naître la plus grande rivalité de la planète soccer, qui déclenche les passions jusque dans les villages les plus reculés du globe.
Celui-ci interdit rapidement l’enseignement du catalan et son utilisation dans la sphère publique (journaux, livres, films…), ainsi que les manifestations culturelles typiquement catalanes. Il faudra attendre la mort d’El Caudillo, 36 ans plus tard, pour que la langue et la culture catalanes reprennent peu à peu leurs droits.
Grand partisans du Real Madrid, équipe associée au roi d’Espagne et au pouvoir centralisateur, le dictateur voit l’organisation catalane (comme la Catalogne dans son ensemble) comme un ennemi politique aux valeurs « anti-espagnoles ».
La rivalité sportive entre les deux plus grandes villes d’Espagne atteindra un nouveau sommet à partir de la célèbre demi-finale de la Coupe d’Espagne de 1943. Au match aller, Barcelone l’emporta facilement 3 à 0. Furieux, des membres du régime franquiste auraient menacé de représailles les joueurs du Barça, ainsi que leurs familles, en cas d’une seconde victoire. Résultat : au match retour, le Real lessiva 11-1 des Catalans traumatisés, se qualifiant ainsi pour la finale.
Pas étonnant qu’après la mort de Franco, en 1975, ce soit précisément lors d’un match du Barça contre le Real qu’éclata la première manifestation nationaliste catalane, alors que des centaines de personnes agitèrent des senyeras, le drapeau rouge et jaune de la Catalogne, qu’ils avaient auparavant cachés sous leurs vêtements pour les introduire incognito dans le stade.
Les affrontements qui mettent en scène les deux meilleures équipes espagnoles ravivent encore aujourd’hui de douloureux souvenirs. Une défaite aux mains du camp adverse lors d’un clásico, est considérée comme une véritable humiliation qu’il faudra péniblement digérer jusqu’au prochain choc des titans.
« Voir le Real remporter la Ligue des champions coup sur coup, ne fut pas agréable, confie Lluís Pérez, 27 ans et partisan du Barça depuis toujours. Mais cette saison le Barça va bien, et le Real vient de perdre contre Betis, une équipe médiocre. Moi et mes amis avons fêté ce revers toute la soirée mercredi dernier. »
La tradition du 17 min 14 s
Le Barça est désormais l’un des clubs les plus décorés de l’histoire de son sport. Il attire les plus grands joueurs de la planète (les Messi, Suárez, Dembélé…) mais continue d’aligner des joueurs locaux et d’être une organisation qui défend la culture et la fierté catalane.
C’est pour cette raison que les indépendantistes choisissent encore le Camp Nou (le domicile du Barça et plus grand stade d’Europe, avec ses presque 100 000 sièges) pour exprimer leurs opinions politiques. Ainsi, à exactement 17 m 14 s de chaque match, depuis quelques années, des milliers de partisans scandent « Independència ! » et agitent leurs esteladas, drapeaux pour l’indépendance de la Catalogne. À cet instant précis, pour rappeler la défaite de 1714 aux mains des Espagnols, et la fin de la souveraineté historique catalane. Comme si les partisans du Canadien de Montréal hurlaient des « Vive le Québec libre ! » à 17 m 59 s de chaque période au Centre Bell.
« Il y aura un match le 1er octobre prochain, au Camp Nou, précise Núria. Si Madrid nous empêche de tenir notre référendum, ça sera le meilleur endroit pour exprimer notre colère. C’est ça, la force du Barça : nous donner une voix qui n’a besoin de demander de permission à personne pour rejoindre des centaines de millions de personnes dans le monde entier. »