En Catalogne, le camp indépendantiste persiste malgré la répression

Les Catalans sont toujours sous le choc, au lendemain des perquisitions et des arrestations de hauts dirigeants du gouvernement de la Catalogne. Mais les indépendantistes résistent, même si ce coup dur de Madrid fait mal au référendum du 1er octobre.
« Nous ne sommes pas en mesure de voter comme d’habitude », a reconnu le vice-président du gouvernement régional, Oriol Junqueras, dont le bras droit a été arrêté mercredi. « Les règles du jeu ont été altérées. »
Ce qui n’est en tout cas pas altéré, c’est l’indignation de ceux qui réclament le droit de pouvoir s’exprimer dans un plébiscite portant sur l’autodétermination. Ils ont d’ailleurs été des milliers à se rassembler devant la Cour d’appel à Barcelone jeudi midi, en réponse à l’invitation de l’Assemblée nationale catalane. « Nous voterons ! » ou « Bonjour démocratie ! », scandaient les manifestants, dont certains étaient drapés dans l’estelada, le drapeau devenu le symbole des partisans du « oui ».
Rapidement, la foule a rempli une place publique de la taille de deux terrains de football, près de l’Arc de triomphe. Debout derrière les clôtures faisant face aux policiers, des Catalans ont chanté des chansons et entonné des hymnes indépendantistes. Les 14 dirigeants arrêtés ont été relâchés en après-midi.
En plus des arrestations et des perquisitions — plus de 10 millions de bulletins de vote ont été saisis —, la Cour constitutionnelle a annoncé jeudi avoir infligé des amendes de 6000 à 12 000 euros par jour [9000 à 18 000 $CAN] à 24 personnes impliquées dans l’organisation du scrutin. Sept membres de la commission électorale de même que Josep Maria Jové, le bras droit du vice-président Junqueras, ont pour leur part reçu l’amende la plus salée, soit 12 000 euros par jour « jusqu’à ce qu’ils respectent les résolutions de la Cour ».
Censure Internet
Par ailleurs, poursuivant sur sa lancée répressive, le gouvernement central espagnol a envoyé d’importants renforts policiers, qui seront logés sur trois bateaux de croisière mouillant dans les ports de Barcelone et de Tarragone. Il s’est aussi livré sur Internet à une chasse aux sites et a fait notamment fermer le site referendum.cat, qui fournit des informations sur le scrutin et donne les adresses des bureaux de vote.
Presque aussitôt, le président séparatiste de la Catalogne, Carles Puigdemont, a twitté un lien vers une page alternative permettant de trouver ces mêmes informations. Toutefois, il semble que ces sites aussi aient été perturbés, Le Devoir n’ayant pas été en mesure d’y accéder jeudi en fin de journée. Le gestionnaire de l’extension «.cat » aurait également été touché par des perquisitions et un de ses responsables a été arrêté.
« On prend des bulletins de vote et on débarque dans les salles de rédaction de journaux, surtout électroniques. Ça n’était jamais arrivé avant, exception faite de quelques épisodes au Pays basque, à l’époque de l’ETA », a souligné l’historien Joan Clara i Cullà. « Mais il n’y a eu aucune violence en Catalogne ni terrorisme pendant les années d’expansion du courant indépendantiste. Ça n’a rien à avoir avec le Pays basque. Il manque un alibi [au président] Mariano Rajoy pour faire ce qu’il fait. »
Des relents de la dictature ?
Cette intransigeance de Madrid n’est pas sans faire écho au règne de Franco, bien que 40 ans plus tard, il soit pratiquement impossible que des juges, policiers ou hauts fonctionnaires de cette époque se trouvent encore en service au gouvernement. « Mais les structures et les mentalités n’ont pas beaucoup changé », croit néanmoins M. Clara i Cullà. « On dit souvent que le franquisme est mort au lit. Le dictateur est mort de maladie en raison de son âge. Il n’y a pas eu de rupture ou de cassure dans les appareils de l’État. »
Cela se voit notamment dans les instances judiciaires, ajoute-t-il. Il rappelle qu’entre 2004 et 2010, alors que gouvernait le Parti socialiste, il a été impossible de faire déclarer « nuls et non avenus » les arrêts édictés par les tribunaux franquistes qui avaient condamné à mort ou à la prison à vie des milliers de personnes.
Professeur de droit constitutionnel à l’Université de Barcelone, Joan Vintró Castells ne fait pas le même parallèle entre la répression de Madrid en Catalogne et le franquisme. « C’est un peu trop fort. Pendant la dictature, on ne pouvait même pas manifester », rappelle celui qui défend le caractère légal du référendum.
Son collègue professeur Xavier Arbós Marín refuse aussi la comparaison avec la dictature. « J’avais 21 ans quand Franco est mort. Je me rappelle ce que c’est que vivre une dictature, et ça n’a rien à voir », a-t-il dit, même si les atteintes à la liberté d’expression lui paraissent « excessives ».
Droit et politique
Constitutionnaliste lui aussi, ce fédéraliste refuse toute prétention de légalité à ce processus « clairement contraire à la Constitution ». Il résume ainsi ce choc de deux interprétations de ce qui est légal : « Le drame, c’est que la Catalogne a des dirigeants qui agissent comme si le droit n’existait pas, mais ceux de l’Espagne font comme si seul le droit existait. »
Malgré tout, si le « oui » l’emportait, M. Arbós Marín doute fort que le gouvernement catalan puisse se consolider. D’une part, parce que le contrôle d’une partie de ses fonds lui a été saisi et, d’autre part, parce que la police catalane ne saura pas s’imposer contre les autorités espagnoles. « Ils vont faire quoi ? Ils vont aller à la frontière avec la France et demander que soit baissé le drapeau espagnol pour mettre celui de la Catalogne ? Ça ne marche pas comme ça. »
En attendant de connaître l’issue du référendum, la tension des rassemblements d’aujourd’hui donne déjà une bonne idée, selon lui, du climat social au lendemain du 1er octobre.
Le coup dur porté par Madrid mercredi a ébranlé le référendum du 1er octobre, ont reconnu les autorités catalanes.