

Présidentielle française: le pays fracturé
Quand les gagnants et les perdants de la mondialisation se regardent en chiens de faïence.
Un an après son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy avait dû affronter la pire crise financière depuis les années 1930. La France ne s’en est sortie qu’avec une dette abyssale. Une fois élu, François Hollande était convaincu que les choses allaient s’améliorer.
Mais la crise des dettes européennes et une politique économique hésitante entraîneront un niveau de chômage historique. Un taux qui n’a pas été démenti malgré une reprise récente de la croissance. C’est pourquoi François Hollande, qui avait promis de ne pas se représenter s’il ne parvenait pas à « inverser la courbe du chômage », a dû renoncer à la présidentielle de 2017.
Emmanuel Macron, qui devrait être élu dimanche si l’on en croit tous les sondages, aura-t-il plus de chance que ses deux prédécesseurs ? Dès le lendemain du premier tour, alors que le candidat d’En marche ! était arrivé en tête, l’indice boursier des 40 principaux groupes français (CAC 40) a progressé de 4 %. Cela ne s’était pas produit depuis 2008.
Plusieurs économistes estiment qu’une embellie se profile. Depuis quelques mois, de nombreux indicateurs économiques sont revenus au vert. L’ironie de l’histoire, c’est qu’ils devraient bénéficier à celui qui a quitté le gouvernement et trahi le principal responsable de cette éclaircie : François Hollande.
Les économistes s’entendent pour dire que, grâce aux 40 milliards de crédits d’impôt consentis aux entreprises (CICE) et aux réductions de charges sociales, les entreprises françaises se portent mieux. Les carnets de commandes des exportations commencent à se remplir, les prévisions de croissance se redressent et la confiance des ménages prend du mieux.
Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la croissance française pourrait s’établir autour de 1,6 % au cours du prochain quinquennat et le taux de chômage, autour de 7,7 % (contre 10 % aujourd’hui). La même note explique qu’« à l’horizon de la fin du prochain quinquennat l’ajustement réalisé jusqu’à aujourd’hui dégage des marges de manoeuvre limitées, mais significatives ».
Même le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, a retrouvé le sourire. « Cette reprise est de plus en plus solide », a-t-il déclaré le 27 avril dernier. Le PIB de la zone euro augmente depuis 15 trimestres consécutifs.
Emmanuel Macron devrait donc bénéficier de cette embellie, même s’il y a toujours un fossé entre un chômage à 7,7 % et le plein-emploi que connaît l’Allemagne. Mais tous les signes ne sont pas positifs. On sait que M. Hollande lègue un pays sans marge de manoeuvre budgétaire. Malgré une petite réduction du déficit, la dette française atteint 96 % du PIB, avec à l’horizon une remontée des taux d’intérêt.
La lune de miel d’Emmanuel Macron pourrait donc être courte. Dix jours après son élection, dès le 17 mai, la Commission européenne présentera ses recommandations par pays. Se jouera alors la crédibilité financière du nouveau gouvernement. Or, comme cela arrive souvent aux gouvernements sortants, il se pourrait que celui de M. Hollande ait reporté ou sous-estimé certaines dépenses afin de passer sous les fourches caudines du 3 % de déficit de Bruxelles. On estime que les prévisions de 2,7 % pourraient atteindre 3,2 %. Le nouveau président sera donc invité à présenter ses mesures d’économie dès son entrée en fonction.
Or, plusieurs instituts économiques ont souligné que nombre de dépenses du programme d’Emmanuel Macron n’étaient pas financées. Selon une lettre de Michel Didier, président du Centre d’observation économique et de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Coe-Rexecode), le programme de l’ancien ministre de l’Économie « laisserait s’accumuler des déficits de plus de 3 % au long du quinquennat ».
Avec des dépenses supplémentaires non financées de 35 milliards d’euros, l’institut évoque même une explosion du déficit à 5 % en 2018.
« Comme c’est un Européen convaincu, nous faisons le pari qu’il modifiera son programme », renchérit Michel Didier, qui va jusqu’à envisager que le candidat revienne sur sa promesse de ne pas repousser l’âge de départ à la retraite.
Bref, M. Macron pourrait être dans l’obligation de faire ce qu’ont fait tous les présidents français depuis François Mitterrand et de revoir son programme sitôt les élections passées.
L’acrobatie pourrait être plus risquée que pour ses prédécesseurs, surtout si le président n’a pas de majorité propre à l’Assemblée nationale. On sait ce qu’a coûté à François Hollande son virage libéral à partir de 2014. Le Parti socialiste ne s’en est pas remis.
C’est sans compter les risques d’une nouvelle crise financière, documentés dans un rapport du sénateur Pierre-Yves Collombat. Selon lui, les ingrédients d’une nouvelle déflagration sont toujours là, dix ans après la grande crise de 2008. Le rapporteur craint une implosion de la bulle obligataire à cause de l’importance des dettes publiques.
Ces cris d’alarme sont repris aussi bien par le FMI que par l’économiste allemand Werner Abelshauser et le milliardaire français Bernard Arnault, qui s’inquiètent notamment de la déréglementation financière annoncée aux États-Unis. Or, l’euro n’est pas véritablement protégé de ces soubresauts.
C’est d’ailleurs M. Macron qui avait déclaré au Figaro, en septembre 2015, que, « si rien ne bouge, il n’y aura plus de zone euro dans dix ans ».
La solution ? Plus de fédéralisme économique ! L’ancien ministre de l’Économie prône la création d’un budget propre de l’Union européenne, d’un ministre des Finances et d’un Parlement de la zone euro regroupant des élus des États membres. Si Emmanuel Macron est élu dimanche, la France n’aura pas eu un président aussi européiste depuis François Mitterrand.
Pourtant, on ne voit pas comment M. Macron pourrait imposer à l’Allemagne un fédéralisme économique qu’elle a systématiquement refusé depuis 2010, exigeant même un droit de veto sur le Mécanisme européen de stabilité. Sans compter qu’en France, plus de la moitié des voix exprimées au premier tour l’ont été pour des partis qui rejetaient toute forme de fédéralisme européen.
Considérer cette élection comme un référendum en sa faveur, comme l’a laissé entendre le commissaire européen Pierre Moscovici, pourrait être un pari risqué.
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