Présidentielle française: bienvenue en Macronie

Dès la sortie de la gare, un jeune militant distribue aux voyageurs le programme d’Emmanuel Macron. Dans le tramway qui mène vers les rives du Lez, des Montpelliérains parlent de leur candidat favori. Si la présidente du Front national, Marine Le Pen, arrivera probablement en tête dans le Languedoc-Roussillon, nul doute que Montpellier fera exception. Et pour cause : la septième ville de France a largement inspiré le favori de cette élection présidentielle, le candidat du mouvement En marche !
Les Montpelliérains n’hésitent pas à parler de leur ville comme du « laboratoire » de la conquête macronienne. Le lieu où tout a commencé.
C’est ici en effet que, le 18 octobre 2016, le ministre de l’Économie de François Hollande, qui n’était pas encore candidat, a achevé sa tournée de la France en réunissant au Zénith plus de 2000 partisans. Il avait alors vanté le « dynamisme » de cette ville universitaire, son « audace architecturale » et son « ouverture ». Rien à voir avec le déclin économique de Bézier, à 80 kilomètres de là, aujourd’hui dirigée par un maire proche du FN, Robert Ménard.
Montpellier a non seulement célébré le premier mariage homosexuel en France, mais certains jours, elle se rêve en Silicon Valley hexagonale. Sa population d’étudiants, de chercheurs et d’employés d’entreprises de haute technologie colle parfaitement au programme de celui qui prêche la flexibilité dans l’emploi et se dit à la tête d’une « start-up » plutôt que d’un parti politique.
Indépendance
Mais il y a plus. Montpellier est depuis 2014 la seule grande ville de France à être dirigée par un maire qui s’est fait élire à la fois contre la droite et contre la gauche. Comme Emmanuel Macron, Philippe Saurel est issu du Parti socialiste. Comme lui, il s’est présenté sur une liste indépendante.
D’ailleurs, Emmanuel Macron ne cache pas s’être inspiré de cette expérience atypique. Reste à savoir si, comme a su le faire l’électron libre de Montpellier, le candidat à la présidentielle saura garder son indépendance à l’égard de ceux que l’on surnomme ici les « éléphants socialistes ».
Cela n’inquiète guère la centaine de membres d’En marche ! qui défilent en cet après-midi ensoleillé du parc du Peyrou à la place de la Comédie en t-shirt avec des ballons bleus, roses et jaunes.
Macron est aujourd’hui le seul candidat à ne pas critiquer l’Europe, qui nous a tout de même amené 60 ans de paix
Parmi eux, Francis Delvaux et Joël Bockaert ont le profil parfait des partisans de l’ancien ministre de l’Économie. Le premier est sur le point de lancer sa petite entreprise de menuiserie et le second est chercheur en neurobiologie. Le premier a toujours voté à droite, et le second, à gauche. Tous deux mentionnent l’Europe comme la première raison de leur choix.
« Macron est aujourd’hui le seul candidat à ne pas critiquer l’Europe, qui nous a tout de même amené 60 ans de paix », dit Joël Bockaert.
Le premier a voté Alain Juppé et le second, Manuel Valls aux primaires de la droite et de la gauche. Déçus, ils se retrouvent aujourd’hui dans le même cortège. Pour combien de temps ? Eux-mêmes ne sauraient le dire.
Un parti ou une start-up ?
Pour la représentante d’En marche ! à Montpellier, Coralie Dubost, le mouvement se veut « hors système ». Il veut en finir avec le verrouillage des vieux partis et regrouper la gauche et la droite sous la bannière du « progressisme ».
Cette juriste de 34 ans est une néophyte en politique, au point d’affirmer avoir voté pour la première fois en 2002 au second tour pour Nicolas Sarkozy contre… Marine Le Pen.
Or, cette année-là, c’est Jacques Chirac qui avait affronté Jean-Marie Le Pen au second tour ! Peu importe, dit-elle, l’essentiel réside dans la consultation des citoyens et le fonctionnement démocratique du mouvement.
« Comme dans une start-up ! » répète-t-elle en boucle. Pour elle, il s’agit d’abord de libérer l’économie en protégeant la sécurité sociale.
« La sécurité, la laïcité et la lutte contre le terrorisme ne sont pas les préoccupations principales des Français comme veut nous le faire croire le Front national, dit-elle. Ce sont des fantasmes, pas des problèmes réels. »
Un laboratoire
Il est vrai que Montpellier a été un laboratoire pour Emmanuel Macron, confirme Tristan Cuche, directeur de l’hebdomadaire satirique L’Agglorieuse, un journal qui se définit comme le poil à gratter de cette ville plutôt sage. « Comme Philippe Saurel, Macron est issu de l’appareil socialiste avec lequel il a rompu. Mais la différence, c’est que le mouvement En marche ! est de plus en plus phagocyté par les apparatchiks socialistes. »
Après plus de 30 ans de mainmise socialiste, et le règne sans partage de l’ancien maire de Montpellier Georges Frêche, surnommé « l’Imperator », Montpellier ne manque pas d’élus et d’anciens élus socialistes à la recherche d’une bouée de sauvetage.
Depuis plusieurs mois, le torchon brûle entre le maire indépendant, qui veut former un ticket avec la députée sortante Anne-Yvonne Le Dain, et l’organisation de base d’En marche !, où l’on trouve de nombreux cadres du PS, dont le député Patrick Vignal. Comme dans plusieurs régions de France, ces derniers ont massivement rallié le mouvement en préparation des élections législatives.
La même chose s’est produite à Perpignan, où la centriste Christine Espert a dénoncé la mainmise du PS. À Hérouville-Saint-Clair, dans le Calvados, on a même constaté l’existence de cinq groupes rivaux soutenant tous Emmanuel Macron !
« Macron, c’est Hollande »
L’ancien candidat du Modem Boudjemaa Laliam a créé la première page Facebook en faveur d’Emmanuel Macron à Montpellier.
Contrairement à tous les anciens socialistes aujourd’hui à l’avant-scène, il était de la toute première réunion de soutien dans le bureau du maire socialiste de Castries, Gilbert Pastor. « Pour moi, Macron, c’est devenu François Hollande, dit-il. Tous les vieux caciques du PS se recyclent chez lui. Le dernier en date, c’est Bernard-Henri Lévy. C’est devenu un parti attrape-tout ! »
Laliam, qui dirige l’Observatoire de la laïcité de Montpellier, a été particulièrement choqué par le discours d’Emmanuel Macron à Marseille.
« C’est un appel au vote communautariste, dit-il. Il veut aller chercher ces voix contre le FN. À l’époque, il m’avait pourtant dit qu’il était pour l’interdiction du voile islamique à l’université. Il ne l’a jamais répété. »
Depuis, plusieurs de ses amis ont décidé de voter Mélenchon.
Le politologue Emmanuel Négrier, de l’Université de Montpellier, constate lui aussi la « colonisation » d’En marche ! par les socialistes.
« Ce mouvement a besoin de relais, mais il ne faut pas que ça se voie, dit-il. Tous les héritiers de Georges Frêche se disputent l’héritage. »
Quant à Macron, dit-il, « il propose un programme idéal pour cette bourgeoisie postindustrielle et postnationale dont regorge Montpellier et qui regroupe des urbains surdiplômés ».
Le politologue qui étudie depuis dix ans une population cible constate néanmoins que l’immense majorité des Français se positionne toujours à gauche ou à droite. C’est l’inconnu de ce scrutin, dit-il. « Ces clivages existent toujours. Ils n’ont pas disparu, loin de là. Et il est loin d’être certain qu’un regroupement au-delà de la gauche et de la droite, comme En marche !, ait une capacité d’action durable. »
Le politologue s’inquiète encore plus d’un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. « Ce serait un duel surréaliste entre un saut dans l’inconnu, celui d’une société huberisée, et un saut dans un monde passéiste totalement fantasmé. Un duel entre deux postréalités. »