La panique s’installe dans le camp du «in»

Surtout, dissiper l’impression de panique. « Les sondages ? Je n’y prête pas tellement attention, affirme contre toute évidence James McGrory, porte-parole de la campagne Britain Stronger in Europe installé dans un immeuble de la City, qui héberge un centre d’appels pro-Union européenne (UE). Ils montent et descendent et se sont plantés aux élections de 2015. » Mais tout porte à croire au contraire que l’alarme a bien sonné dans le camp du « in » (« rester dans l’UE »), à une semaine du référendum sur le maintien ou la sortie (Brexit) du Royaume-Uni au sein de l’UE.
Désespérément plat depuis des mois, le sismographe des enquêtes d’opinion s’est mis soudain à s’affoler, faisant chuter la Bourse de Londres et la livre sterling. Coup sur coup, quatre enquêtes d’opinion ont donné gagnant les partisans du Brexit avec une confortable marge inédite : 54 %-46 % pour le Times, 53 %-47 % pour la double enquête (par téléphone et Internet) du Guardian, 55 %-45 % pour The Independent.
Corbyn sort du silence
Pour les proeuropéens, cette volée de chiffres n’est pas totalement une surprise. Les échos du porte-à-porte dans les villes défavorisées du nord de l’Angleterre rapportaient l’accueil froid, voire hostile, réservéaux militants du « in ». Loin de la bulle cosmopolite et libérale de Londres, l’opinion populaire tend à adhérer au message central du « out » qui présente la sortie de l’UE comme le plus sûr moyen de stopper l’afflux de travailleurs est-européens.
Alors que la campagne a été monopolisée par le duel entre les frères ennemis conservateurs, le premier ministre, David Cameron (« in »), et l’ex-maire de Londres Boris Johnson (« out »), les sondages confirment la glissade vers le « out » des électeurs de gauche. Plus d’un sympathisant du Labour sur trois (35 %) se prononce pour le Brexit, alors que leurs voix sont indispensables pour faire pencher la balance en faveur de l’Europe et compenser l’euroscepticisme des électeurs conservateurs dont 54 % approuvent le Brexit.
Cette faiblesse du Labour met directement en cause l’attitude de son chef, Jeremy Corbyn, eurosceptique contrarié qui, absent de tous les débats télévisés, défend le vote « in » du bout des lèvres. Lors de l’une de ses rares prestations dans une émission de divertissement, il a évalué à « 7,5 sur 10 » son degré d’enthousiasme pour le maintien de son pays dans l’UE.
Comme s’il s’agissait d’une élection et non d’un référendum, il refuse systématiquement toute apparition avec David Cameron et ne se prive pas de critiquer le gouvernement à propos de l’Europe. Comme s’il oubliait que la victoire du Brexit risquait d’amener l’ultralibéral et antieuropéen Boris Johnson au pouvoir.
Mardi, M. Corbyn, critiqué en interne par les députés travaillistes, pro-UE à 96 %, est sorti du silence en prenant la parole devant les militants de la confédération syndicale Trade Union Congress (TUC, six millions d’adhérents). « Voter “out”, c’est mettre en péril le National Health Service [NHS, le système de santé] », a-t-il lancé en qualifiant les porte-drapeaux du « out » Boris Johnson et Nigel Farage de « loups habillés en moutons ».
Ces derniers, qui ont défendu dans le passé la privatisation du NHS, promettent aujourd’hui de le renflouer avec les fonds « économisés » grâce à une sortie de l’UE. L’espace de quelques heures, David Cameron s’est abstenu d’apparaître dans les médias afin de ne pas parasiter les efforts de mobilisation du Labour.
Promesses de largesses
Reflet de l’étrange mise en retrait de Jeremy Corbyn, c’est l’ancien premier ministre Gordon Brown qui mène la campagne la plus enthousiaste en faveur du maintien dans l’UE. Resté dans les mémoires pour avoir « sauvé » l’Ecosse de l’indépendance lors d’un discours à la veille du référendum de 2014, il s’est lancé dans une tournée de conférences passionnées.
Sur le thème « Lead, not leave » (le Royaume-Uni doit diriger l’Europe et non la quitter), il y développe l’une des très rares défenses de l’idée européenne entendues dans cette campagne. « Quel message enverrions-nous au monde, clame-t-il, si nous, les Britanniques, qui nous considérons comme l’un des peuples le plus ouvert sur le monde, […] décidions de tourner le dos à nos plus proches voisins ? »
Alors que M. Corbyn a toujours estimé que le Royaume-Uni « ne peut pas et ne doit pas » fermer ses frontières aux travailleurs européens, ses opposants modérés au sein du Parti travailliste, alarmés par les protestations de leurs électeurs, durcissent leur discours sur l’immigration. Tom Watson, le numéro deux du Labour, a déclaré mardi que les règles sur la libre circulation en Europe « devront être réexaminées », suggérant que le Royaume-Uni devrait en prendre l’initiative lorsqu’il assurera la présidence de l’UE en 2017. Mais il n’est pas sûr que le réveil tardif du Labour sur la question de l’immigration empêche la catastrophe que les sondages annoncent pour les pro-européens.
Pendant ce temps, le camp pro-Brexit multiplie les promesses de largesses budgétaires grâce à « l’argent de Bruxelles », comme s’il dirigeait déjà le pays. Et savoure le réel succès de son slogan « Take control » (« Prenons le contrôle ») qui, dans ses discours, s’applique aux frontières du pays, mais pourrait décrire aussi sa propre emprise sur la campagne du référendum.