Halte à la «location des ventres»!

Alors que le recours à celles que l’on nomme communément les « mères porteuses » se généralise en Amérique du Nord et en Europe, plusieurs organisations féministes européennes ont voulu lancer un cri d’alarme. Réunies à l’Assemblée nationale française ce mardi, plus de 300 militantes féministes et d’organisations humanitaires venues de Suède, d’Allemagne, d’Inde, de Suisse et d’Autriche ont réuni les premières Assises pour l’abolition internationale de la maternité de substitution. De nombreux élus français, comme l’écologiste José Bové et les socialistes Benoît Hamon et Élisabeth Guigou se sont joints à eux afin de réclamer l’adoption d’une charte internationale pour l’abolition de la gestation pour autrui (GPA).
Par cette première, « nous voulons lancer un appel aux forces progressistes à poser un acte fort pour l’abolition de la gestation pour autrui […]. Si la gestation pour autrui est mondiale, son interdiction ne peut qu’être mondiale », a déclaré Laurence Dumont, députée socialiste du Calvados et première vice-présidente de l’Assemblée nationale française.
Déjà, le 17 décembre dernier, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant une pratique « qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises ». Mais les autres instances internationales, comme le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’Homme et la Conférence de La Haye sont pour l’instant demeurées sourdes à ces appels. Mardi, des participants ont d’ailleurs dénoncé le Conseil de l’Europe qui a nommé comme rapporteur sur les questions éthiques liées à la GPA la sénatrice belge Petra de Sutter, une gynécologue associée à une clinique indienne proposant des services de mères porteuses.
Scission chez les féministes
« La compassion pour les personnes en mal d’enfants ne doit pas nous inciter à consentir à la GPA. Il n’y a pas de GPA éthique comme il n’y a pas de prostitution éthique », dit Nora Tenenbaum de la Coalition des associations pour le droit à l’avortement. Jocelyne Fildard, coprésidente de la Coordination lesbienne en France, a d’ailleurs expliqué comment son organisation avait rompu en 2013 avec les organisations de défense des homosexuels (LGBT) sur cette question précise. Elle dénonce un détournement des luttes féministes. « Louer son ventre n’a rien à voir avec le droit de disposer de son corps, dit-elle. […] Le corps des femmes ne se marchandise pas, peu importe que la demande provienne des homosexuels ou des hétérosexuels. »
Venue de Bombay, l’universitaire Sheela Saravanan a témoigné de la condition de ces mères porteuses indiennes cloîtrées dans des cliniques d’où « elles ne peuvent ni sortir ni voir leur famille, où elles n’ont pas d’assurance maladie et aucune rémunération en cas de complication de la grossesse. […] On ne connaît pas les taux de mortalité de ces enfants. Mais on sait que ceux qui naissent infirmes sont abandonnés dans des orphelinats. » Selon elle, l’interdiction récemment faite aux étrangers d’utiliser des mères porteuses indiennes ne mettra pas fin à ce commerce.
Rémunéré ou pas
Plusieurs intervenants ont souligné que la maternité de substitution est apparue au tournant des années 1980 en même temps que le trafic d’organes. Un marché que le médecin suisse Jean-Daniel Rainhorn a qualifié de « marché cannibale » (The New Cannibal Markets, Maison des sciences de l’homme). Le chercheur propose plutôt l’adoption d’une convention internationale qui n’interdirait pas seulement les mères porteuses, mais toute forme de marchandisation des corps.
De son côté, la journaliste suédoise Kajsa Ekis Ekman a étudié de près les contrats signés par les mères porteuses. « Ces contrats sont la négation de la liberté des femmes de disposer de leur corps […]. Peu importe que la grossesse soit rémunérée ou pas,dit-elle, ou que les femmes soient consentantes ou pas. Dans tous les cas, il s’agit de s’acheter un enfant sur Internet et de fabriquer un enfant sans mère. […] Comme dans la prostitution, la femme n’existe que pour satisfaire les besoins de l’homme. »
Membre du Collectif pour le respect de la personne (CORP), la philosophe française Sylviane Agacinski (Le corps en Miette, Flammarion) estime que la maternité de substitution est « la plus formidable violence faite aux femmes depuis l’abolition de l’esclavage. On ne peut plus se contenter de ne protéger que les femmes françaises ou européennes. Il faut une protection internationale ».
La Cour européenne des droits de l’Homme doit bientôt se prononcer sur la décision des tribunaux italiens de retirer un enfant de neuf mois au couple Paradiso et Campanelli qui l’avait obtenu illégalement par contrat d’une mère porteuse russe. « Appelez cela comme vous voulez, c’est du commerce d’enfants », a conclu la journaliste autrichienne Eva-Maria Bachinger.