France - Pas de signe évident d’exode fiscal

Il y a deux semaines, une pleine page de publicité dans le quotidien français Le Monde attirait l’attention des lecteurs peu habitués à ce genre de message. Le cabinet Carmignac mettait en garde le nouveau gouvernement de François Hollande contre l’exode des grandes fortunes et des entreprises qui suivrait une hausse des impôts des plus riches. «La mise en place d’une fiscalité confiscatoire décapiterait les états-majors de nos entreprises, accélérant l’exode de nos dirigeants, tout en gelant l’investissement chez les PME », disait la publicité.

Brandie par la droite pendant la campagne présidentielle, au moment où François Hollande annonçait son intention de taxer à 75 % les revenus au-delà d’un million d’euros, la fuite des grandes fortunes et des entreprises ne semble pas s’être produite. Du moins pas pour l’instant. De cet « exode » qu’avait évoqué le député UMP Patrick Balkany, la presse française ne semble pas avoir trouvé la preuve ni en Grande-Bretagne, où de nombreuses entreprises françaises sont déjà installées, ni en Suisse, ni en Belgique. Après avoir soigneusement choisi un mot qui évoque en France l’exode de 1940 pendant l’invasion allemande, Balkany avait ensuite comparé la politique de François Hollande à celle de la… Corée du Nord.

 

Pas d’exode vers Londres


Il n’existe cependant aucune donnée officielle concernant l’expatriation des grandes fortunes françaises. Dans son édition du 19 juillet du quotidien Le Figaro, Jean-Yves Mercier, avocat associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre, affirmait néanmoins que, « depuis l’élection présidentielle, les projets d’expatriation fiscale se concrétisent. […] Je n’ai d’ailleurs jamais vu autant de départs ». Mais, au-delà de quelques affirmations personnelles de ce genre, les preuves de cet exode ne semblent exister nulle part. À la suite d’une enquête menée à Londres, le correspondant du quotidien Le Monde affirmait au contraire n’avoir vu déferler aucune vague d’exilés fiscaux sur la capitale britannique. Et cela malgré les appels lancés par David Cameron. Lors du sommet du G20 tenu au Mexique, le premier ministre britannique avait en effet affirmé sans la moindre gêne qu’il était prêt à « dérouler le tapis rouge » et à « accueillir plus d’entreprises françaises au Royaume-Uni ». Une déclaration qualifiée avec ironie d’« humour anglais » par le ministre français des Affaires européennes, Bernard Cazeneuve. Joignant le geste à la parole, le ministère du Commerce et de l’Investissement du Royaume-Uni a fait une campagne d’affichage dans les gares et les aéroports pour inviter les jeunes entrepreneurs français à venir fonder des entreprises au Royaume-Uni.


Contrairement à la France, la Grande-Bretagne vient en effet de baisser son taux supérieur d’imposition de 50 à 45 %. De plus, au Royaume-Uni, les étrangers peuvent être résidents sans payer d’impôt sur l’argent et le patrimoine qu’ils détiennent à l’étranger. Ils ne sont imposés que sur l’argent qu’ils rapatrient au Royaume-Uni. Malgré tous ces incitatifs, l’importante population française déjà installée à Londres aurait plutôt diminué depuis un an, à cause notamment de la disette qui touche toujours des institutions financières de la City.


En Suisse non plus, on n’a pas noté d’exode. Rien de comparable du moins à ce qui s’était produit en 1981 après l’élection de François Mitterrand. De nombreux Français répugnent en effet à acquitter le forfait de 100 000 euros exigé lors de leur installation. Un forfait récemment supprimé par le canton de Zurich en faveur d’une taxation plus consistante des exilés fiscaux. Ébranlé par les scandales bancaires, le reste du pays songe d’ailleurs à suivre l’exemple de Zurich. Cette incertitude n’est évidemment pas attirante pour les fortunes en quête de quiétude. Selon la Cour des comptes française (équivalent du Vérificateur général), les expatriations sont loin d’être aussi nombreuses que le laissent entendre les polémiques publiques. Elles seraient d’ailleurs essentiellement dues à des raisons professionnelles. Sur une période de dix ans, la Cour des comptes note peu de variations entre le nombre de départs et de retours. Les chiffres sont demeurés stables, même lorsque Nicolas Sarkozy avait créé le « bouclier fiscal » destiné notamment à ramener au pays les expatriés fiscaux. Depuis 2011, la France impose aussi un « impôt sur le départ » à ses résidents fortunés. Une mesure dissuasive qui en fait réfléchir plusieurs.

 

Une goutte d’eau


Il n’est pas certain que les frais très importants que nécessite une expatriation fiscale soient justifiés pour éviter la mesure temporaire que représentera la taxation à 75 % des revenus au-dessus d’un million d’euros. En effet, cette taxe éminemment symbolique est présentée par le gouvernement comme une mesure « exceptionnelle », et même « patriotique », justifiée par la crise tout aussi exceptionnelle que traverse l’Europe. Le gouvernement étudie d’ailleurs les moyens d’en limiter l’impact. La Commission sur l’évasion des capitaux, qui vient tout juste de déposer son rapport, propose notamment que l’on applique une fiscalité particulière aux sportifs. Elle suggère que, en échange d’une forte taxation de leurs revenus pendant la période où ils sont le plus actifs, l’État soit par la suite plus clément afin de favoriser leur reconversion en fin de carrière.


La Commission a aussi proposé la création d’un Haut-Commissariat à la protection des intérêts financiers publics afin de lutter contre l’évasion fiscale et d’avoir une idée plus précise de son importance réelle. Elle suggère aussi la publication d’une comptabilité pays par pays pour toutes les multinationales afin de limiter la fuite de capitaux. Mais les commissaires ont déjà une certitude : les gens fortunés fuyant l’imposition à 75 % ne représentent qu’une toute petite goutte d’eau à côté des 50 milliards d’euros qui échappent chaque année au fisc français grâce aux paradis fiscaux et aux subtilités juridiques qu’utilisent les grandes sociétés présentes dans plusieurs pays. Malgré son impôt sur les grandes fortunes créé en 1982, la France demeure le troisième pays du monde où l’on compte le plus de millionnaires.

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