Entrevue avec le chef du Sinn Fein - «Nous avons vu un changement dans les mentalités»

«Je suppose que si on ne parle pas de l'Irlande du Nord sur CNN, c'est une bonne nouvelle», lance en entrevue Paul Maskey, député Sinn Fein de la circonscription de Belfast Ouest au Parlement de Westminster, à Londres.

Il y a 14 ans, un Vendredi saint, un accord a été conclu pour mettre fin au conflit qui a ensanglanté cette province britannique pendant plus de 30 ans et qu'on a pudiquement appelé «les troubles». La violence y a diminué singulièrement depuis 1998, même si les institutions prévues dans cette entente ont pris des années avant de fonctionner.

«Ce n'était pas un accord parfait, mais il nous a au moins permis de nous parler, dit le député du Sinn Fein, le grand parti nationaliste irlandais. Nous avons vu un changement dans les mentalités. Ç'a été un processus très lent. Nous sortions d'un conflit qui a touché plusieurs générations, une guerre en fait. Nous devons tous changer nos façons de penser.»

Les citoyens de Belfast ont commencé à se débarrasser de leurs équipements de sécurité tels que les barreaux, les vitres à l'épreuve des balles et les caméras de surveillance. La capitale provinciale est même devenue une destination touristique. Le nouveau musée consacré au Titanic a été inauguré il y a moins de deux semaines. «Nous espérons qu'il recevra environ 300 000 visiteurs chaque année», dit M. Maskey, qui a oeuvré à divers titres au développement touristique de sa ville. On pratique aussi le «tourisme politique» à Belfast: «Des gens viennent du monde entier pour voir les endroits où le conflit s'est déroulé. Certains ministères sont plus ou moins enthousiastes, mais les études de marché montrent que les touristes veulent voir ces sites. D'anciens prisonniers politiques républicains travaillent comme guides dans le secteur de Falls Road, et d'anciens prisonniers loyalistes en font autant à Shankill Road. D'une certaine façon, le tourisme rapproche les anciens antagonistes. Les deux camps ont une histoire à raconter.»

M. Maskey, qui est venu parler aux communautés d'origine irlandaise à Montréal et à Toronto, a succédé au chef du Sinn Fein, Gerry Adams, comme député de Belfast Ouest à Londres. Comme son prédécesseur, il refuse de siéger. «Je suis un républicain irlandais et pour prendre son siège à Westminster, il faut prêter allégeance à la reine britannique, ce que je ne peux pas faire», explique-t-il. Cela ne l'empêche pas d'aller dans la capitale britannique pour faire du lobbyisme en faveur d'une plus grande autonomie, notamment fiscale, pour l'Irlande du Nord, en attendant sa réunification avec la République d'Irlande, qui demeure l'objectif de son parti.

Le député croit que cette réunification se fera, même si les unionistes demeurent majoritaires en Irlande du Nord. L'accord du Vendredi saint prévoit un nombre indéterminé de référendums, qui doivent être espacés d'au moins sept ans et qui doivent être autorisés par Londres.

«C'est notre job de convaincre les unionistes qu'une Irlande unie est le meilleur endroit pour eux. Ces unionistes qui veulent continuer de faire partie du Royaume-Uni n'y représentent que 2 % de la population. S'ils devenaient citoyens d'une Irlande unie, ils constitueraient 20 % de la population de l'île. Ils auraient alors un plus grand poids politique. Si Irlande du Nord est réunie à la République, nous mettrions fin à de nombreux dédoublements de coûts», explique Paul Maskey.

Le défi, ajoute-t-il, sera de convaincre les unionistes qu'ils ne seront pas traités, dans une Irlande unie, en citoyens de seconde zone comme l'ont été longtemps les Irlandais de souche dans le nord.

Les prochaines années seront marquées par une série de centenaires chargés d'émotion, le premier étant celui du soulèvement de Pâques 1916 et le dernier celui de l'indépendance de la République d'Irlande proclamée en 1922. «Nous voulons que les unionistes participent aux commémorations. Nous avons entamé avec eux un dialogue à ce sujet. C'est très encourageant.»

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