Le tueur de Toulouse débusqué

[ACTUALISATION]: Le ministre de l'Intérieur Claude Guéant a annoncé la mort de Mohamed Merah. L'auteur présumé des tueries de Toulouse et Montauban a sauté par la fenêtre de son appartement après avoir résisté plus de 32 heures aux forces du RAID.
Paris — Après une chasse à l'homme de 48 heures, la police française a finalement identifié et localisé l'auteur présumé des trois attentats meurtriers qui ont terrorisé la région de Toulouse depuis une semaine. Malgré un siège de près de 24 heures et d'interminables négociations, le suspect était toujours retranché dans son appartement hier au moment de mettre sous presse. Toute la journée, la France a été tenue en haleine. Vers 3h du matin, hier, les forces policières ont encerclé un appartement de la Côte pavée, un quartier résidentiel de Toulouse.
Après avoir été repoussés à plusieurs reprises par des tirs, les policiers ont entamé des pourparlers qui ont duré toute la journée.
Mohamed Merah est un Français de 24 ans d'origine algérienne proche des salafistes et qui se revendique d'al-Qaïda, une organisation qui est par ailleurs aujourd'hui une bannière plus qu'un groupe terroriste organisé. Il était connu des services de renseignement depuis ses voyages au Pakistan et en Afghanistan. Il avait alors visité Kandahar et les régions frontalières contrôlées par les talibans. L'homme qui a parlé toute la journée avec les policiers a déclaré avoir assassiné trois militaires à Toulouse et Montauban pour protester contre l'engagement de la France en Afghanistan. Le suspect a aussi justifié les meurtres du professeur et de trois enfants de l'école juive Ozar Hatorah de Toulouse afin de venger ceux d'enfants palestiniens.
Les témoignages recueillis par les médias français évoquent une personnalité fragile. Mohamed Merah avait jusque-là été condamné pour de petits délits, certains avec violence, ce qui lui avait valu un séjour en prison en 2009. Selon son ancien avocat, Me Etelin, c'est probablement là qu'il a pu entrer en contact avec des islamistes. Une conversion qui étonnait hier encore certaines de ses connaissances. Un de ses amis, cité par L'Express, évoque plutôt un «pur produit de la France, pas de l'islam». Pour plusieurs experts, il s'agirait d'abord d'un psychopathe narcissique avant d'être un islamiste téléguidé par une organisation. Même si de nombreuses vérifications restent à faire et si son frère (un islamiste radical lui aussi) et sa mère sont toujours en garde à vue, le procureur François Molins semblait convaincu hier que Merah avait suivi «un parcours assez solitaire». Selon lui, nous serions devant «une autoradicalisation salafiste atypique».
Le procureur a confirmé que le suspect s'apprêtait hier à assassiner un autre militaire et éventuellement deux policiers qu'il avait déjà identifiés. Une voiture louée contenant des armes a été retrouvée, ainsi que le scooter avec lequel le meurtrier opérait. Vers 1h du matin, peu avant l'intervention policière, Mohamed Merah a appelé une rédactrice en chef de la chaîne d'information continue France 24 afin de revendiquer les trois attentats.
Une enquête sur Internet a d'abord permis de retrouver les 500 adresses des personnes qui avaient contacté le premier militaire assassiné lundi. Le suspect a prétendu vouloir acheter sa moto pour pouvoir l'abattre à bout portant. Parmi ces adresses se trouvait celle de la mère du suspect. Le témoignage d'un concessionnaire Yamaha contacté par un individu voulant désactiver la puce antivol de son scooter a ensuite permis de resserrer la liste des suspects.
Sur les ondes de BFM-TV, le politologue François Heisbourg, spécialiste des questions de sécurité, s'est demandé s'il n'y avait pas eu un «dysfonctionnement» des services de renseignement puisque l'homme et son frère (impliqué dans l'acheminement de djihadistes en Iran) avaient été identifiés depuis longtemps. Or, selon le politologue, ils faisaient partie des «quelques dizaines de Français» tout au plus qui ont ce type de profil et ont fait des allers-retours dans les camps islamistes d'Afghanistan et du Pakistan.
La réticence à donner l'assaut s'explique, dit-on, par les directives strictes données aux policiers de prendre l'homme vivant et d'éviter la moindre bavure. Une exigence qui pourrait être encore plus grande en cette période de campagne présidentielle. Interrogé sur le sujet, le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, a simplement déclaré vouloir «prendre M. Merah vivant afin qu'il puisse être jugé».
Des mots très durs
Alors qu'il prononçait l'éloge funèbre des militaires assassinés à Toulouse et Montauban, Nicolas Sarkozy a eu des mots très durs pour dénoncer «une exécution terroriste». Il a repris les termes du suspect, rapportés par les policiers, en disant qu'il «voulait mettre la république à genoux». Comme la veille dans une école de Paris, Nicolas Sarkozy a insisté à deux reprises sur la volonté du tueur d'«achever ses victimes». «La mort que nos hommes ont rencontrée n'était pas celle à laquelle ils s'étaient préparés, a-t-il déclaré. Ce n'était pas celle des champs de bataille, mais une exécution terroriste.» Le président a promis que «ces crimes ne demeureront pas impunis».
Cinq candidats à l'élection présidentielle avaient tenu à se rendre à Montauban. Derrière les ministres présents, on distinguait notamment le socialiste François Hollande, la candidate du Front national Marine Le Pen et le centriste François Bayrou. À égalité avec le président dans les sondages du premier tour, mais toujours favori du second, François Hollande a déclaré qu'il avait voulu «être là parce que c'est toute la république qui devait être rassemblée à ce moment-là». Il a rappelé qu'il avait interrompu sa campagne, mais qu'après le temps du rassemblement viendrait celui «du choix».
Marine Le Pen, qui semblait craindre depuis deux jours que ces crimes aient été commis par un militant d'extrême droite, a appelé à «anéantir» les fondamentalistes islamiques qui, dit-elle, «apportent la mort» en France. «On a, je pense, minimisé la montée de l'islam radical dans notre pays», a-t-elle ajouté. La France paie aussi, dit-elle, le prix de son intervention en Afghanistan.
«L'extrême droite cherche à surfer sur la situation», a répliqué sur iTélé François Bayrou, qui, la veille, avait accusé à mots couverts le président Sarkozy d'attiser «les haines». Sur France 2, la candidate écologiste Éva Joly, qui était aussi à Montauban, a estimé que le pays sortait «d'une période de cinq années où l'on a monté les Français les uns contre les autres».
Malgré ces trois attentats sur lesquels beaucoup reste encore à découvrir, la plupart des experts de l'islamisme pensent que les réseaux en action au début des années 2000 sont aujourd'hui en perte de vitesse. Contrairement à la Grande-Bretagne et à l'Espagne, la France n'a pas connu de grand attentat terroriste, même si elle abrite les plus importantes populations juive et musulmane d'Europe. Dès aujourd'hui, la campagne présidentielle devrait reprendre son cours.
***
Correspondant du Devoir à Paris