Tuerie dans une école juive - Commotion en France

Paris — L'émoi est toujours à son paroxysme en France, vingt-quatre heures après l'attentat qui a causé la mort d'un professeur et de trois enfants devant une école juive de Toulouse, dans le sud-ouest du pays. À un mois du premier tour, la campagne présidentielle qui battait son plein s'est subitement interrompue alors que tous les candidats ont, toutes affaires cessantes, dénoncé ce qui apparaît comme un acte d'antisémitisme même si l'on se perd toujours en conjectures sur ses causes précises et sur l'identité de l'assassin.
Hier, vers huit heures du matin, un individu portant un casque de moto a tiré sur la foule peu avant l'entrée en classe devant le collège privé Ozar Hatorah, dans un quartier résidentiel de Toulouse. Il a abattu un professeur de religion de 30 ans, ses deux enfants de 6 et 3 ans, ainsi que la fille du directeur du collège âgée de 8 ans. Une trentaine d'enfants se trouvaient alors dans la synagogue attenante à l'école. «Il a tiré sur tout ce qu'il y avait en face de lui», a déclaré le procureur Michel Valet, avant de «poursuivre des enfants à l'intérieur de l'école», et de prendre la fuite en scooter.À un mois du premier tour de l'élection présidentielle, toute la classe politique française a d'un commun accord suspendu la campagne électorale au moins jusqu'à demain. Nicolas Sarkozy, François Hollande et de nombreuses personnalités politiques de tous les partis politiques ont participé à une cérémonie dans une synagogue de Paris pendant que les parents et amis des enfants assassinés veillaient leurs morts dans l'école juive de Toulouse.
Hier matin, le président Sarkozy s'est immédiatement rendu sur place, où il a évoqué une tragédie nationale. «Cet assassinat ne concerne pas que la communauté juive. Toute la communauté nationale est bouleversée et est à vos côtés», a-t-il déclaré. Comme à son habitude dans ce genre de tragédie, le président n'a pas mâché ses mots. «Cet acte renvoie à la nature humaine chez des êtres qui n'ont d'humain que le nom, mais pas les pratiques ou la dignité, a-t-il déclaré. Sur le territoire de la République, on n'assassine pas des enfants sans avoir à rendre compte», a-t-il ajouté.
Ce matin, une minute de silence sera observée dans toutes les écoles. Nicolas Sarkozy y participera dans une école du IVe arrondissement de Paris. Des marches silencieuses se sont déroulées hier à Toulouse et à Paris. «Qu'on le veuille ou non, ça s'appelle un attentat», a affirmé le secrétaire général du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Marc Pullman.
Interrompant sa campagne, le candidat socialiste François Hollande s'est aussi rendu sur place par «solidarité» avec la communauté juive. «La République, c'est la laïcité, a-t-il déclaré. C'est donc la liberté de la religion et [...] la protection de tous ceux qui croient, comme d'ailleurs de tous ceux qui ne croient pas». Le porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon, a affirmé que la campagne électorale était «suspendue pour honorer la mémoire des victimes».
La candidate du Front national Marine Le Pen, qui a annulé un débat à la télévision, s'est demandé s'il était vraiment justifié que les candidats se rendent à Toulouse. Elle a appelé la politique à céder le pas. «Dans des moments comme celui-là, dit-elle, il n'y a plus de politique, plus de campagne, plus de droite, plus de gauche.» Le centriste François Bayrou a aussi tenu à se rendre sur place.
La même arme
Il ne semble plus faire de doute que l'auteur de cette tuerie est aussi celui qui avait assassiné de sang-froid des parachutistes la semaine dernière. Le 15 mars, deux parachutistes d'origine arabo-musulmane avaient été abattus et un troisième d'origine antillaise grièvement blessé dans la ville voisine de Montauban par un individu qui circulait aussi en scooter. L'attentat s'était déroulé à côté d'un distributeur de billets situé à proximité d'une caserne. Quelques jours plus tôt, le 11 mars, à Toulouse, un premier parachutiste d'origine maghrébine avait été abattu d'une balle dans la tête dans des circonstances semblables. La même arme a été utilisée dans les trois attentats, ont révélé les policiers. Le scooter blanc, volé peu avant le premier meurtre, serait aussi le même.
Littéralement quadrillée, la région de Toulouse est l'objet de mesures de sécurité exceptionnelles. La surveillance autour des écoles juives, déjà renforcée depuis 2005, a été accentuée, de même qu'aux environs des lieux de culte en général. Dans Le Figaro, un ancien chef de la police judiciaire évoquait un tueur «engagé dans une logique suicidaire qui laisse craindre le pire, comme une prise d'otages sanglante où il mettrait fin à ses jours». On évoque aussi la piste d'un ancien militaire expulsé de l'armée pour activités néonazies. Les criminologues s'interrogent sur les motivations d'un tueur qui s'attaque à des cibles aussi différentes.
Des «moyens exceptionnels» ont été déployés, a déclaré le premier ministre François Fillon. La chaîne de radio France Info cite une source policière selon laquelle l'ensemble des services de la Direction centrale de la police judiciaire serait mobilisé, soit des milliers de policiers incluant des «profileurs» et des spécialistes d'Internet.
Cette mobilisation exceptionnelle est-elle accentuée parce que ce drame survient au milieu d'une campagne présidentielle? Outre la mise entre parenthèses de la campagne pendant quelques jours, quel effet auront les suites de l'affaire sur les électeurs? Personne n'était en mesure de répondre à ces questions hier sinon en prédisant que la trêve annoncée de part et d'autre devrait calmer pour un temps le ton de plus en plus acrimonieux des derniers jours.
Jusque-là, la sécurité n'avait pas été un thème de cette campagne, même si les socialistes ont sévèrement critiqué le bilan du président en la matière. En 2002, la campagne avait été perturbée par l'agression sauvage d'un retraité à Orléans par un groupe de jeunes, un événement qui avait été monté en épingle par la télévision trois jours avant le premier tour. Plusieurs avaient alors jugé que cette médiatisation avait joué un rôle dans l'élimination, au premier tour, du socialiste Lionel Jospin au profit du candidat d'extrême droite Jean-Marie Le Pen.
Le président israélien, Benjamin Nétanyahou, a condamné hier «un meurtre odieux de juifs». Selon les statistiques officielles, les actes antisémites sont en diminution depuis deux ans en France. Ce n'est cependant pas la première fois qu'un attentat du genre s'y produit. En 2009, un engin incendiaire avait causé des dommages dans une école juive de Marseille. La même année, une voiture en feu avait été lancée contre la grille d'une synagogue de Toulouse.
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Correspondant du Devoir à Paris