L'Europe par-delà la Méditerranée

Les représentants d'une quarantaine de pays créeront demain une nouvelle union

Nicolas Sarkozy réunira demain à Paris une quarantaine de chefs d'État et de gouvernement pour fonder l'Union pour la Méditerranée. Un nouvel ensemble qui comprend 765 millions de personnes et qui va des rives de la Norvège aux déserts de la Jordanie.

La Méditerranée fut le berceau de l'Europe. Selon l'historien Fernand Braudel, elle fut même le lieu de cette première économie-monde dont le continent européen a été le digne successeur. Quoi de plus normal que l'Union européenne se tourne aujourd'hui vers le pourtour de la Méditerranée d'où elle est issue et qui pourrait aussi représenter son avenir?

À la veille du 14 juillet, Nicolas Sarkozy a réussi le tour de force de réunir à Paris le premier ministre Éhoud Olmert et le président Bachar al-Assad, représentant Israël et la Syrie, deux pays officiellement en guerre. Avec les représentants d'une quarantaine d'autres pays, les frères ennemis donneront le coup d'envoi de la nouvelle Union pour la Méditerranée (UPM). Sous les lambris du Grand Palais, on retrouvera autour d'eux, en plus des 27 membres de l'Union européenne, tous les pays du pourtour méditerranéen, y compris l'Algérie, même si le président Abdelaziz Bouteflika s'est laissé désirer. Seul le Libyen Mohamar Kadhafi, pourtant reçu avec faste à Paris l'an dernier, a refusé l'invitation. Son pays se contentera du statut d'observateur.

En présidant ce nouveau forum international avec son homologue égyptien Hosni Moubarak, Nicolas Sarkozy ne fera pas qu'inaugurer en grande pompe la présidence de l'Union européenne qu'il assume depuis le 1er juillet. Il concrétisera un projet caressé depuis bientôt deux ans et qui a dû traverser bien des épreuves.

Un forum de plus ?

C'est à Toulon, lieu symbolique de la force du vote d'extrême droite en France, que, le 7 février 2007, le candidat Sarkozy avait formulé pour la première fois ce projet. Dans un discours par ailleurs très musclé sur la question de l'immigration, il avait exprimé son intention de regrouper les pays du pourtour méditerranéen dans une grande union.

Dès le début, le projet a été perçu par la Turquie comme une voie d'évitement permettant de lui offrir une solution de rechange à l'adhésion à l'Union européenne. On sait que Nicolas Sarkozy a toujours soutenu que la Turquie n'était pas un pays européen. Après bien des discussions, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a finalement accepté cette semaine de participer au sommet, ce qui ne veut pas dire que les réticences turques sont disparues.

Au départ, le projet a aussi été boycotté par la chancelière allemande Angela Merkel, qui soupçonnait Nicolas Sarkozy de vouloir se ménager sa propre zone d'influence à la périphérie de l'Union. Un peu comme l'Allemagne en Europe de l'Est. La chancelière reprochait au président français de faire cavalier seul en voulant créer une nouvelle union à côté de l'Union européenne. Le 3 mars, à Hanovre, un compromis est finalement intervenu. C'est alors que l'Union pour la Méditerranée s'est transformée en une super union représentant 765 millions de personnes des rives de la Norvège aux déserts de la Jordanie. L'Allemagne a ainsi obligé la France à ramener son projet dans le giron européen. Chacun des 27 membres de l'Union européenne sera donc membre de l'Union pour la Méditerranée. Même la Hongrie et la Slovaquie qui n'ont pourtant pas la moindre ouverture sur la mer!

Les Allemands n'ont jamais accepté que Nicolas Sarkozy passe par-dessus les initiatives de l'Union européenne, qui n'en était pas à sa première tentative de regrouper les pays de la région. Le partenariat économique baptisé Euromed, créé en 1995 par l'Europe, s'était donné pour but de parvenir à une nouvelle zone de libre-échange d'ici 2010. Euromed visait notamment à concurrencer les États-Unis qui cherchaient alors à négocier des traités de libre-échange avec les pays de la région. Après les événements du 11 septembre 2001, les questions de sécurité y prirent de plus en plus d'importance. À ce jour, seuls la Tunisie, le Maroc, Israël et la Jordanie ont signé des accords d'association dans ce cadre.

La lourdeur du processus, l'élargissement de l'Union européenne, son blocage institutionnel et les importantes divergences entre les pays du Moyen-Orient et du monde arabe entraîneront la paralysie de ce qu'on a aussi appelé le processus de Barcelone.

Une « union de projets »

Contrairement à Euromed, la nouvelle Union pour la Méditerranée se veut une «union de projets» à géométrie variable. Elle affirme se fixer des buts très concrets comme la dépollution de la Méditerranée, la promotion de l'énergie solaire, la création d'une autoroute du Maghreb arabe ou d'une banque méditerranéenne. Il est même question de la construction d'un canal entre la mer Morte et la mer Rouge. Voilà le genre de projets dans lesquels les représentants devront faire des choix difficiles dimanche.

Mais la nouvelle union pourra-t-elle éviter les débats politiques qui déchirent la région? Personne n'y croit. Selon Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, il s'agit aussi de «réconcilier enfin les deux rives de cette mer, unies et déchirées par mille soubresauts de l'histoire». Dans le même sens, le conseiller spécial de la présidence française Henri Guaino, qui parraine ce projet depuis ses débuts, a déclaré à la chaîne de télévision maghrébine Médi1Sat que l'Union pour la Méditerranée était «destinée à favoriser la marche vers la paix».

Le sommet de Paris a beau se tenir à un moment où un fragile espoir de paix refait surface au Moyen-Orient, on n'en est pas vraiment là pour l'instant. Le secrétaire d'État français responsable de la Prospective, Éric Besson, souligne de façon plus terre à terre que les pays de la Méditerranée «seront les prochains émergents». Or, l'Europe investit beaucoup moins dans ses voisins du sud que ne le font les États-Unis en Amérique latine ou le Japon en Asie. Alors que les Américains consacrent à l'Amérique latine

18 % de leurs investissements directs à l'étranger, l'équivalent européen dans les pays du sud de la Méditerranée atteint à peine 1 %. Résultat, la Méditerranée est la région du monde où les écarts Nord-Sud s'accroissent le plus rapidement.

De nombreux économistes estiment qu'au lieu de courir après les marchés chinois, l'Europe ferait mieux de favoriser la croissance de ses voisins immédiats. «Tout ce qui manque à l'Europe — la jeunesse, les marchés, l'énergie — se trouve 1000 km au sud, et tout ce qui manque aux pays arabes — les technologies, le savoir-faire, les modes de gouvernance — se trouve 1000 kilomètres au nord», expliquait dans l'hebdomadaire suisse Le Temps Jean-Louis Guigou, délégué général de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMed). À quelques jours du sommet, l'Institut, qui regroupe quelques grandes entreprises actives de part et d'autre de la Méditerranée, a tenu à apporter son soutien à la réunion de Paris.

L'écueil de l'immigration

Tous les pays du Sud ne réagissent pas de la même façon à la proposition de Nicolas Sarkozy. Le Maroc, qui cherche depuis longtemps un partenariat renforcé avec l'Union européenne, souhaite devenir un acteur majeur de la nouvelle structure. Par contre, la Libye la dénonce comme une manoeuvre colonialiste destinée à contourner la Ligue arabe et l'Union africaine.

On soupçonne évidemment la France, l'Italie et l'Espagne de s'engager dans cette nouvelle union pour solutionner leurs problèmes d'immigration illégale. Nicolas Sarkozy a toujours affirmé que pour freiner l'afflux d'immigrants illégaux, il fallait négocier avec les pays d'origine. Selon Cengiz Aktar, spécialiste des questions européennes à l'université Bahçesehir d'Istanbul, le grand objectif de cette nouvelle Union, c'est «de faire en sorte que les gens du Sud ne débarquent pas dans les riches plaines du Nord. L'autre but, c'est d'en faire une [option] alternative à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne». D'ailleurs, «la gestion globale et concertée des migrations» est l'une des priorités de la France à la présidence de l'Union européenne, précise le chercheur.

Si cette nouvelle zone économique devait prendre son essor, elle pourrait pourtant devenir une des plus importantes du monde, avec l'ALENA et l'Union européenne, soulignent les économistes. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. La plupart des pays du sud de la Méditerranée sont plus occupés à se faire la guerre qu'à commercer entre eux. Combien de temps les chefs des États arabes accepteront-ils de se retrouver à la même table que le premier ministre israélien?

«Nicolas Sarkozy, en proposant l'Union méditerranéenne, a cherché à inviter l'Europe entière à relever ce nouveau défi, celui d'aboutir, dans les prochaines décennies, à une européanisation "soft" des pays du bassin austral de la Méditerranée», écrivait cette semaine dans Le Figaro l'ancien ministre britannique des Affaires européennes de Tony Blair, Denis MacShane. Il ajoutait que c'est «un pari risqué». Mais pas autant que le scénario dans lequel ces pays «ne connaîtraient ni le développement ni la démocratie».

Il faudra quelques années avant de savoir si l'Union pour la Méditerranée a un véritable avenir. À défaut d'un moment historique, Nicolas Sarkozy aura réuni une des plus imposantes délégations internationales jamais vues pour le défilé du 14 juillet qui se déroulera le lendemain.

***

Correspondant du Devoir à Paris

À voir en vidéo