Réélu à la mairie de Bordeaux - La virginité retrouvée d'Alain Juppé

Paris — Une petite année d'exil dans une université québécoise aura suffi à Alain Juppé pour se refaire une vertu. Dimanche, l'ancien premier ministre français a retrouvé la mairie de Bordeaux qu'il avait quittée il y a 20 mois à peine. Son équipe a été réélue avec 56 % des voix dès le premier tour, contre 25 % au socialiste Jacques Respaud et 10% au Vert Pierre Hurmic.
L'ancien maire de Bordeaux, condamné le 1er décembre 2004 à 14 mois de prison (avec sursis) et un an d'inéligibilité pour une affaire d'emplois fictifs, a donc retrouvé son fauteuil comme si de rien n'était. Ce résultat est même le meilleur obtenu par Alain Juppé puisque, en 1995 et 2001, sa majorité n'avait pas dépassé 51 %. Seule ombre au tableau: un taux d'abstention de 55 % qui n'est cependant pas si élevé pour une telle élection.Le soir même de sa victoire, son ancien patron, le président Jacques Chirac, l'a aussitôt appelé pour le féliciter. «Le peuple de Bordeaux m'a donné sa confiance après une période difficile, c'est un nouveau départ», a déclaré l'ancien premier ministre qui était encore professeur invité à l'École nationale d'administration publique à Montréal il y a quatre mois.
Il faut dire que cette réélection avait été préparée de longue date. Depuis le jour où Hugues Martin a accepté de chauffer le banc pendant l'exil québécois d'Alain Juppé. De retour chez lui, l'homme de 61 ans a aussitôt retrouvé ses anciennes habitudes. Selon un scénario impossible à imaginer en Amérique du Nord, la moitié du conseil municipal de Bordeaux a démissionné en bloc afin de lui permettre de reprendre la direction de la ville. Qu'importe si 65 % des Bordelais disaient désapprouver cette élection anticipée, selon un sondage du quotidien Sud-Ouest.
«J'avais un contrat, je l'ai respecté, a déclaré Hugues Martin. J'adore bosser avec Alain. Je suis très conscient du plus qu'il peut apporter.» Seule l'opposition s'est indignée des coûts de cette élection «inutile» (environ 900 000 $) qu'il faudra reprendre dans 18 mois à peine. Selon les rumeurs, Hugues Martin pourrait se voir offrir un fauteuil de sénateur en remerciement de ses bons services.
Jamais un homme politique n'avait osé forcer à démissionner 47 conseillers municipaux d'une ville de 235 000 habitants, disent les candidats battus. Cette élection est un «coup de force», n'a cessé de répéter le socialiste Jacques Respaud.
Elle est «le fait du prince» a renchéri le Vert Pierre Hurmic.
La réélection de celui qui avait enfreint les lois sur le financement des partis politiques qu'il avait lui-même fait voter n'a pourtant surpris personne. Car la France a l'habitude d'être clémente à l'égard des fautes de ses élus. Le socialiste Henri Emmanuelli, ancien trésorier du Parti socialiste, a vite retrouvé son siège de député des Landes après avoir été condamné à 18 mois de prison (avec sursis) et deux ans de privation de ses droits civiques. Alain Juppé lui-même n'avait guère été incommodé lorsqu'on avait appris que plusieurs membres de sa famille étaient logés dans des appartements appartenant à la Ville de Paris.
De nombreux militants de l'UMP créditent d'ailleurs l'ancien premier ministre d'un certain courage puisque, par loyauté, il aurait accepté de porter le chapeau à la place de l'ancien maire de Paris, Jacques Chirac. Dans un pays où les élus cumulent les mandats, on s'attend à ce qu'il redevienne président de la Communauté urbaine de Bordeaux et qu'il soit candidat à l'élection législative de 2007.
Mais surtout, la mairie de Bordeaux redonne dès aujourd'hui à Alain Juppé une stature nationale lui permettant de peser dans la campagne présidentielle. Même lorsqu'il était à Montréal, celui que l'on qualifie de surdoué de la politique n'a jamais cessé d'être consulté par l'Élysée. On lui attribue la proposition de nommer Nicolas Sarkozy à Matignon après la crise du CPE l'hiver dernier. On le dit brouillé pour cela avec Dominique de Villepin, ce que nient les deux hommes. Advenant que la candidature de Nicolas Sarkozy déraille, ce qui est toujours possible à huit mois du scrutin, nul doute que le nom d'Alain Juppé réapparaîtrait sur la liste des présidentiables. L'homme publiera d'ailleurs bientôt un livre où il ne sera guère question de politique municipale, mais des grands défis que doit relever la France.
Interrogé hier sur Europe 1 à propos d'une éventuelle candidature présidentielle, Alain Juppé a affirmé qu'il ferait «un choix le moment venu». À défaut d'être candidat, il pourrait quand même jouer un rôle important. «Il peut être celui qui évite le pire entre chiraquiens et sarkozystes», a déclaré François Fillon, un des bras droits de Nicolas Sarkozy.
Est-ce une habitude contractée à Montréal? Durant cette campagne, Alain Juppé n'a cessé de se promener en vélo avec son épouse devant les caméras de télévision. En ces temps où l'écologie a la cote, l'image fait merveille à Bordeaux, comme ailleurs.
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Correspondant du Devoir à Paris