Donald Trump perdra-t-il finalement son lustre?

La première inculpation criminelle de Donald Trump a fait grand bruit il y a deux mois, mais n’a pas perturbé ni changé ses plans de briguer la présidence des États-Unis en 2024. Cette deuxième, qui le vise parce qu’il aurait conservé chez lui des documents confidentiels — dont certains concerneraient la sécurité nationale et des secrets nucléaires américains —, pourrait-elle le frapper plus durement et le pousser résolument vers la porte de sortie ?
Dans cette « affaire des archives de la Maison-Blanche », l’ex-président républicain fait face à 37 chefs criminels, détaillés dans un acte d’accusation rendu public vendredi.
En gros, on lui reproche d’avoir conservé chez lui, dans sa résidence floridienne de Mar-a-Lago, des boîtes entières de documents, dont certains liés à la défense nationale et classés « secret », après son départ de la Maison-Blanche et d’avoir refusé de les restituer.
« Les documents classifiés que Trump conservait dans des cartons renferment des informations sur les capacités de défense des États-Unis et de pays étrangers » et « sur les programmes nucléaires » américains, selon l’acte judiciaire. Leur potentielle « diffusion aurait mis en danger la sécurité nationale des États-Unis ».

Ces allégations à la base de l’inculpation sont « beaucoup plus graves et substantielles » que celles qui sous-tendent la première, déposée en avril, qui lui reprochait d’avoir versé des pots-de-vin pour acheter le silence, dont celui de l’ex-actrice pornographique Stormy Daniels, estime l’historien Jason Opal, professeur à l’Université McGill et spécialiste de la politique des États-Unis et de leur constitution.
Il s’agit de plus d’une mise en accusation par le fédéral — contrairement à la première, qui émanait de l’État de New York, fait-il remarquer. Le procureur fédéral est un opposant « plus redoutable », dit le professeur : son bureau a beaucoup plus de moyens, et sa division des poursuites a cette réputation de ne déposer des chefs d’accusation que lorsqu’elle est sûre de gagner.
Peu d’effets probablessur sa popularité
Si les crimes à l’origine de l’inculpation sont plus graves, les conséquences pour Donald Trump le sont-elles tout autant ?
Pas selon le fin observateur de la politique américaine Rafael Jacob, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Les crimes reprochés et les preuves contre lui apparaissent « plus clairs et accablants », d’après ce qu’on sait jusqu’à maintenant, dit-il : dans un enregistrement, M. Trump se vante essentiellement d’avoir en main des documents secrets, selon ce qu’ont rapporté des médias américains. Une peine de prison serait d’ailleurs la suite logique d’une condamnation.
« Mais d’un point de vue politique, ce n’est pas plus susceptible de lui nuire » que la première inculpation, avance-t-il. L’ex-président populiste pourrait même plus facilement récupérer cette deuxième série d’accusations à son avantage.
Car l’homme se présente comme une victime et est en mesure de convaincre une partie importante de la population, comme il l’a fait jusqu’à maintenant, qu’il est traité différemment d’autres élus, qui ont aussi eu des documents en leur possession illégalement, mais sans être accusés. « C’est un argument très facile pour lui à présenter : voyez comme je suis persécuté ! » fait valoir M. Jacob.
L’ancien président se pose d’ailleurs depuis jeudi comme la cible d’une autre « chasse aux sorcières ».
Attention médiatique
Des figures importantes du Parti républicain ont fait des sorties publiques pour défendre M. Trump, dont Ron DeSantis, son opposant dans la course pour la Maison-Blanche, qui a déploré vendredi que le système de justice soit utilisé comme une arme.
Dans un « monde normal », une telle mise en accusation, « ça devrait le couler », poursuit M. Jacob. Mais dans la dynamique médiatique actuelle, « plus on ajoute des couches, plus c’est susceptible de l’aider que de lui nuire ». Cela lui permet aussi de rester le candidat dont tout le monde parle dans les médias et de promouvoir sa candidature. Il reste d’ailleurs bien placé dans les intentions de vote, souligne-t-il.
La nature des allégations contre l’ex-président, qui relève du secret militaire, pourrait démontrer un comportement « antiaméricain », un péché impardonnable au pays de l’Oncle Sam. Mais personne ne croira que Donald Trump est un espion et personne ne réussirait à faire croire qu’un autre est plus patriote que lui, analyse le chercheur.
La récente inculpation lui a aussi permis de demander des dons — 12 heures à peine après la nouvelle, relève M. Jacob —, ce qui l’aide déjà à financer sa campagne électorale.
Le professeur Opal distingue les partisans farouchement fidèles à Trump — environ le tiers des Américains — des autres électeurs. Peu importe le type de mise en accusation, les premiers ne changeront pas d’avis sur lui. Mais ils ne suffiront pas à lui faire gagner l’élection, et c’est là que la plus récente mise en accusation peut lui faire très mal, analyse-t-il : si peu de gens se préoccupent d’un paiement à Stormy Daniels, ils pourraient s’indigner de gestes susceptibles d’avoir menacé la sécurité des États-Unis.
Jason Opal rappelle que l’ex-président n’est pas au bout de ses peines : une troisième mise en accusation lui pend au bout du nez, à savoir celle portant sur sa tentative alléguée de s’approprier le vote démocrate de la Géorgie pour se maintenir illégalement au pouvoir en 2020.