Des chefs d’accusation contre Trump pour préserver la réputation de Manhattan

Alors que l’épée de la justice est suspendue au-dessus de la tête de Donald Trump pour plusieurs crimes allégués, dont avoir incité l’insurrection du 6 janvier, c’est finalement cette affaire de paiements dans le but d’acheter le silence qui a mené au premier dépôt d’accusations contre lui. Cela ne surprend pas la professeure de droit de l’Université d’Ottawa, Carissima Mathen : l’Organisation Trump est depuis un bon moment dans la mire du Bureau du Procureur général de Manhattan, qui dit vouloir combattre les criminels à col blanc pour protéger la réputation de la ville où se brassent le plus d’affaires aux États-Unis.
C’est d’ailleurs ainsi que le Procureur du district de Manhattan, Alvin Bragg, a notamment justifié le dépôt des chefs d’accusation, peu après avoir lu l’acte d’accusation en salle de Cour.
« L’exactitude et la véracité des registres commerciaux sont importantes partout, bien sûr, mais c’est encore plus vrai à Manhattan, le centre financier du monde. C’est pourquoi nous avons une réputation de poursuivre vigoureusement la criminalité en col blanc », a-t-il insisté devant les journalistes, possiblement pour tuer dans l’oeuf les accusations de politique partisane. « Il s’agit d’une poursuite criminelle parmi d’autres », a-t-il ajouté.
L’ex-président américain fait face à 34 chefs d’accusation, soit un par « registre commercial » ayant été falsifié, en contravention des lois électorales, entre autres.
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Le but de cette malversation ? Camoufler — loin des yeux des électeurs — de l’information dommageable au sujet de celui qui était alors un candidat à la présidence avant et après l’élection de 2016, indique l’acte d’accusation.
Mais plus encore, M. Trump est accusé d’avoir employé un réel « système » pour identifier, acheter et enterrer des informations négatives à son sujet afin d’améliorer ses chances de l’emporter. Puis, il a caché cette conduite.
L’on savait déjà que le paiement de 130 000 $ fait à l’actrice de films pour adultes Stormy Daniels était au coeur de cette affaire. Mais le document détaillant l’inculpation indique que des paiements ont été faits à deux autres personnes : un ancien portier de la Tour Trump à New York (30 000 $) et une femme qui allègue avoir eu des relations sexuelles avec Trump (150 000 $).
Un goût de partisanerie ?
Le président est actuellement visé par plusieurs enquêtes : outre l’insurrection du Capitole du 6 janvier 2020, il y a aussi celle pour avoir tenté de faire interférence lors de l’élection présidentielle de 2020 dans l’État de Géorgie et pour avoir détenu illégalement des documents secrets pouvant compromettre la sécurité des États-Unis.
Le fait que ce cas soit le premier à faire l’objet d’accusations criminelles, alors que d’autres enquêtes se penchent sur des crimes perçus comme plus graves, semble démontrer qu’il n’y a pas de stratégie concertée entre les différents bureaux des procureurs qui investiguent l’ex-président républicain, a commenté la professeure Mathen.
« Ils opèrent de façon indépendante et c’est l’attitude à adopter, poursuit-elle. Je ne dis pas que la politique n’a pas joué de rôle, ce serait naïf. Mais ce n’est pas le moteur principal. »
Quant à cette croyance chez les Canadiens que les juges américains sont élus et donc dépendants des affiliations politiques de ceux qui les ont mis en poste, ce n’est pas le cas de tous les magistrats. Le juge qui a écouté Donald Trump déclarer « non coupable » ce mardi, Juan Manuel Merchan, a été nommé en poste — et non pas élu.
Stratégies de la défense
La première chose que Donald Trump pourrait faire serait de demander que son procès soit tenu dans un district plus favorable, où les jurés lui seraient moins hostiles et pas trop prodémocrates. Une telle demande est ardue, mais pas impossible, souligne la professeure de droit.
L’ex-président pourrait évidemment tenter de faire traîner le dossier en Cour le plus longtemps possible, pour que le procès n’ait pas lieu avant l’élection présidentielle de novembre 2024.
La professeure Mathen ne serait pas surprise de voir pareille stratégie : « Tout contester, c’est une tactique qu’il a employée dans le passé » dans des poursuites civiles. Sauf que dans un contexte criminel, « il y a des limites à ce qui peut être fait » pour retarder les procédures, prévient-elle.
Et puis, la justice américaine est plus rapide qu’au Canada, dit-elle. Il n’est pas impossible, selon elle, qu’un procès puisse se tenir deçà de 18 mois, alors qu’au Canada, le processus peut prendre des années. Évidemment, le verdict pourrait être porté en appel, et il n’y aurait alors pas de résultat final avant le scrutin.