La justice new-yorkaise met Donald Trump devant 34 chefs d’accusation

L’ancien président, assis à la table de la défense au tribunal de Manhattan, où il a plaidé non coupable des charges à son encontre
Seth Wenig Associated Press L’ancien président, assis à la table de la défense au tribunal de Manhattan, où il a plaidé non coupable des charges à son encontre

Quand Donald Trump est entré, l’air sombre, dans le tribunal pénal de Manhattan, peu après 13 h mardi, Daniel et Chris, eux, sortaient en souriant du bureau du greffier de la ville de New York, juste à côté, où ils venaient tout juste de se marier.

« Regardez tout ce soleil et cette lumière qui accompagnent notre union civile », a dit Daniel, bouquet de fleurs blanches dans les mains. « Mais, sans l’avoir planifié, nous allons aussi nous souvenir de cette journée comme étant celle pas seulement de l’amour, mais aussi celle de la justice, celle où un président qui a commis beaucoup de crimes a finalement été arrêté. Et nous en sommes aussi très heureux. »

La petite histoire de Daniel et Chris a croisé mardi après-midi, au sud de Manhattan, la grande histoire des États-Unis alors que l’ex-président Donald Trump s’est rendu aux autorités judiciaires de New York, cinq jours après sa mise en accusation par un grand jury dans une affaire de versement de pot-de-vin pour acheter le silence d’une supposée ancienne maîtresse.

Cela s’est joué en 2016, durant sa campagne électorale qui lui a ouvert les portes de la Maison-Blanche.

Après avoir été mis en état d’arrestation par la police, pour sa prise d’empreintes digitales, le populiste a été déféré devant le juge Juan Merchan, où il a plaidé non coupable aux 34 chefs d’accusation dévoilés mardi contre lui. En substance, le milliardaire est accusé d’avoir « falsifié à plusieurs reprises et frauduleusement des registres commerciaux de New York pour dissimuler une conduite criminelle qui contenait des informations préjudiciables aux électeurs lors de l’élection présidentielle de 2016 », peut-on lire dans le document.

À sa sortie du tribunal, Donald Trump n’a fait aucun commentaire. Pour sa part, le procureur du district de Manhattan, Alvin Bragg, a dit, au terme de la comparution, ne pas pouvoir et ne pas vouloir normaliser les « comportements criminels graves », afin de justifier la procédure en cours contre un ancien président.

« Une journée historique »

C’est la deuxième fois dans l’histoire des États-Unis qu’un président américain fait face à une arrestation, et ce, 150 ans après celle d’Ulysses S. Grant en 1872, pour un excès de vitesse à cheval dans les rues de Washington. Il s’agissait d’une récidive, a rappelé mardi le New York Times.

« Je ne voulais certainement pas manquer cette journée historique », a dit Tony Villar rencontré par Le Devoir plus tôt dans la journée au cœur du Collect Pond Park, situé juste en face de la Cour pénale de Manhattan, et où tôt le matin des dizaines de partisans et détracteurs du populiste ont convergé pour témoigner de cette comparution. « C’est un escroc, un menteur notoire, qui est devenu une menace pour notre démocratie. Cela fait des mois que j’attends que quelqu’un l’arrête, et c’est sans doute ce qui est en train de se produire aujourd’hui. »

Photo: Fabien Deglise Le Devoir Tony Villar dans la foule de manifestants réunis au Collect Pond Park

« C’est un scandale, c’est une honte », a laissé tomber Dion Chane, venu de Brooklyn pour soutenir un président qui « s’est fait voler les élections de 2020 », par une fraude électorale, selon lui. La théorie complotiste, sans aucun fondement, est encore aujourd’hui répétée ad nauseam par Donald Trump et ses fidèles. « Nous ne serons pas les témoins silencieux de ce gaspillage d’argent par la justice pour incriminer un homme qui n’a rien fait. Je manifeste pour Trump depuis qu’il est entré en politique. Et je vais continuer à le faire jusqu’à ce que notre pays soit libre », a-t-il ajouté tout en agitant un immense drapeau sur lequel on pouvait lire : « Trump ou la mort ».

« À ce jour, la controverse et les allégations de violation de la loi n’ont fait qu’aider Donald Trump, a commenté en entrevue au Devoir lundi, Keith J. Bybee, vice-doyen de la Faculté de droit de la Syracuse University, dans l’État de New York. Trump exulte sa notoriété par cette affaire criminelle. Immédiatement après son inculpation, sa campagne a ramassé pas moins de 4 millions de dollars en contributions. »

En matinée, un appel à la manifestation lancée par la représentante de la Géorgie, Marjorie Taylor-Greene, une alliée du populiste à la rage régulièrement exprimée, a fait patate aux abords du tribunal, où depuis la veille, elle annonçait pourtant une mobilisation d’envergure, avec le New York Young Republican Club, en soutien à l’ancien président. À son arrivée, les journalistes l’attendant étaient finalement plus nombreux que ses manifestants. Plus tard, sur un canal de la droite radicale, l’élue a qualifié la journée de sombre en tentant de comparer Donald Trump à de grandes figures elles aussi arrêtées, comme « Nelson Mandela, arrêté et jeté en prison », et « Jésus, arrêté et assassiné », a-t-elle dit.

« Personne n’est au-dessus de la loi, et c’est ce que la justice de New York est en train de crier aujourd’hui, haut et fort, a résumé devant le tribunal Bill Gabriel, un travailleur de la construction de Long Island, qui a pris congé pour l’occasion. Bien sûr, cela ne marque pas la fin de son règne ni de son influence sur les républicains. Mais c’est un premier pas qui pourrait déboucher sur d’autres mises en accusation. »

Carrière politique entachée ?

Au-delà de cette histoire de pot-de-vin, le populiste est également ciblé par plusieurs enquêtes pour avoir incité à l’insurrection contre le Capitole, le 6 janvier 2021, pour avoir tenté de faire fabriquer des votes en sa faveur en Géorgie en 2020, et pour la détention illégale, dans sa résidence privée de Mar-a-Lago, en Floride, de documents secrets pouvant compromettre la sécurité des États-Unis.

Des enquêtes qui risquent toutefois peu de nuire à la carrière politique du milliardaire, estime le politicologue David Niven, spécialiste de la communication politique et des campagnes électorales, joint par Le Devoir à la University of Cincinnati. « Ce que ses partisans aiment de lui, c’est qu’il offense les gens, dit-il. Leur soutien à Trump est un acte de rébellion contre les personnes éduquées, réfléchies, prévenantes et compatissantes. Cela signifie que plus Trump fait mal, plus ses partisans l’aiment. »

En chemin vers le tribunal de Manhattan, le populiste a d’ailleurs qualifié son voyage de « surréel », sur son réseau social, Truth. « WOW, ils vont m’arrêter. Peux pas croire que cela se produit en Amérique », a-t-il lancé en frappant par la suite les quatre lettres de son mouvement populiste : MAGA.

Au terme de la comparution de Donald Trump, Alvin Bragg a proposé que le procès de l’ex-président s’amorce en janvier 2024, quelques semaines avant le début des primaires républicaines en vue de la présidentielle de 2024. « Même s’il vient d’être mis en examen, Trump va pouvoir sans doute remporter l’investiture républicaine, prédit M. Niven. Mais son problème politique va demeurer, car sa base de soutien n’était pas, n’est pas et ne sera désormais jamais la majorité des Américains », conclut-il.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.



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