La campagne de Trump entravée par la justice américaine
La mise en accusation de l’ex-président Donald Trump est une première dans l’histoire des États-Unis, mais elle pourrait être bien plus que le point final d’une enquête de plusieurs mois pilotée par le procureur de Manhattan, Alvin Bragg.
Le geste, sans précédent, pourrait surtout marquer le commencement d’une série d’autres inculpations au pénal visant le populiste. Pour retrouver un siège à la Maison-Blanche, Donald Trump devra désormais composer avec la présence de la justice américaine dans sa campagne électorale, lancée en grande pompe samedi dernier à Waco, au Texas, que le grand jury de New York vient de faire entrer soudainement dans une plus grande incertitude.
« Nous assistons à un événement historique : c’est la première fois qu’un ex-président américain est accusé d’un crime », a résumé en entrevue au Devoir Eric Orts, professeur de droit et spécialiste de l’éthique en politique à la Wharton School de l’University of Pennsylvania.
« Cela va forcément compromettre sa candidature [en vue de la présidentielle de 2024]. Il va être difficile pour lui de faire campagne, avec un possible emprisonnement ! ajoute M. Orts. Et même s’il est libéré sous caution, après son arrestation officielle pour la prise de photo et la prise d’empreintes digitales [qui pourrait survenir au début de la semaine prochaine], se défendre dans une affaire pénale va certainement monopoliser son temps et son attention durant les semaines et les mois à venir. »
L’annonce de la mise en accusation de l’ex-président, tard en soirée jeudi, a été reçue avec surprise par l’équipe de campagne de Donald Trump qui, depuis le début de la semaine, laissait entendre qu’Alvin Bragg avait finalement décidé de desserrer l’étau sur le populiste dans l’affaire de versement d’argent pour faire taire en 2016 l’actrice porno Stormy Daniels. Le pot-de-vin visait à étouffer une histoire d’adultère.
La justice de New York enquête depuis des mois pour savoir si ce versement de 130 000 $US, orchestré par l’ex-avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a contrevenu aux règles de financement de la campagne électorale du républicain à l’époque, en plus d’avoir entraîné une falsification de documents de sa part.
Rappelons que, le 18 mars dernier, Donald Trump avait laissé entendre à tort que son inculpation était prévue trois jours plus tard. Une mise en accusation anticipée qui, en ne se produisant pas, a attisé le comportement défiant puis frondeur de l’ex-président, et surtout fait se multiplier ses accusations et ses menaces à peine voilées à l’endroit du procureur de Manhattan.
Jeudi matin, des sources pourtant proches du grand jury chargé d’évaluer la solidité de cette cause avaient évoqué un report vers la fin du mois d’avril de la décision d’inculper ou non l’ex-président dans cette affaire, ledit grand jury ayant d’autres affaires à traiter, avaient rapporté plusieurs médias.
L’habitué des premières
« Donald Trump, qui est déjà le seul président à avoir fait face à deux reprises à une procédure en destitution [une pour sa tentative de manipulation de la présidence ukrainienne de Volodymyr Zelensky afin d’attaquer Joe Biden et une autre dans la foulée de l’insurrection du 6 janvier 2021], devient désormais le seul ex-président de l’histoire américaine à être inculpé au pénal », résume en entrevue James Sample, professeur de droit à l’University Hofstra, de New York, « ce qui le place dans la même lignée qu’Aaron Burr et même Richard Nixon ».
Burr était le vice-président de Thomas Jefferson entre 1801 et 1804. Il a été accusé de trahison, avant d’être acquitté. Quant à Nixon, il aurait pu faire face à des accusations criminelles, dans la foulée du Watergate, mais son successeur, Gerald Ford, a préféré lui accorder le pardon, pour préserver la paix sociale.
« D’un point de vue constitutionnel, rien n’empêche un accusé ou un inculpé, ni même un individu condamné et incarcéré, de se présenter à une élection présidentielle ou d’exercer les fonctions de président, ajoute M. Sample. Bien sûr, plusieurs croient que le noyau de ses partisans les plus fidèles pourrait être galvanisé par cet acte d’accusation. Mais, même si cette mise en accusation ne l’exclut pas forcément de la course, ses problèmes criminels vont certainement poser des défis d’ordre pratique à sa campagne, en particulier s’il est soumis à des restrictions de voyage. »
« Ils ont porté cette accusation fausse, corrompue et honteuse contre moi uniquement parce que je suis du côté du peuple américain et qu’ils savent que je ne peux pas obtenir un procès équitable à New York », a dénoncé Donald Trump sur son réseau social dans les minutes qui ont suivi l’annonce de son inculpation au pénal. Un premier pas de la justice contre le populiste, estime Eric Orts, qui pourrait toutefois faire débouler plusieurs autres accusations.
« Plusieurs affaires planent au-dessus de sa tête, en Géorgie entre autres, où sa tentative d’ingérence illégale dans les résultats des élections pourrait lui valoir une autre mise en accusation, rappelle M. Orts. Le ministère américain de la Justice pourrait également en porter une pour non-respect des demandes répétées de restitution de documents hautement classifiés qu’il a volés et entreposés dans sa résidence privée de Mar-a-Lago, en Floride. Et puis, il y a le 6 janvier 2021 et sa tentative de diriger un coup d’État, diffusée en direct à la télévision. »
Au terme de ses travaux, la commission d’enquête du Congrès sur cette attaque du dôme de la démocratie par les partisans du milliardaire a recommandé à la justice américaine en décembre dernier de tenir Donald Trump pour criminellement responsable d’incitation à l’insurrection et d’obstruction à une procédure officielle. Entre autres choses.
« L’arrestation de Trump pour avoir commis tous ces crimes pourrait certainement mettre fin à sa carrière politique, et elle devrait aboutir à cela, espère Eric Orts. Car comment un président américain peut-il prêter serment et assurer qu’il va faire respecter les lois s’il est lui-même accusé d’activités criminelles graves ? »
« Bien sûr, lui-même et ses partisans vont tenter de présenter la chose comme la preuve que le système judiciaire oeuvre de manière politique, plutôt qu’avec neutralité, poursuit-il. Cette affirmation, comme plusieurs autres venant de lui, n’a aucun fondement, et la seule crainte d’une réaction politique à une mise en accusation ne devrait jamais être une bonne raison pour refuser d’intenter des poursuites au pénal. Car seule l’application de la loi peut être désormais la contre-force nécessaire pour dissuader Donald Trump de tenter à nouveau de renverser l’ordre constitutionnel du pays », conclut le professeur.
Trump « prêt à se battre »
Un temps secoué par son inculpation historique, l’ancien président Donald Trump compte « se battre » sans retenue pour faire annuler les poursuites de la justice new-yorkaise, a fait savoir vendredi son avocat. L’ancien locataire de la Maison-Blanche, qui rêve de la reconquérir en 2024, « a été choqué » quand il a appris sa mise en accusation jeudi dans un dossier lié à un versement effectué à une star du X en 2016, a déclaré Me Joe Tacopina sur la chaîne NBC.
« Mais il a retroussé ses manches et décidé de se battre », a ajouté l’avocat, en annonçant son intention de déposer « immédiatement » des actions mettant en cause la légalité des poursuites, dont la nature exacte n’a pas encore été rendue publique.
Dans l’arène politique, le républicain de 76 ans a déjà donné de la voix : reprenant un discours bien rodé, il a tonné contre une mise en accusation « bidon et honteuse », orchestrée selon lui par les démocrates pour faire dérailler sa campagne présidentielle.
Soutenu par un parti dont les ténors ont immédiatement volé à son secours, il a étrillé le procureur démocrate de Manhattan, Alvin Bragg, qui porte le dossier, l’accusant de « faire le sale travail » du président Joe Biden. Dans un courrier envoyé à des élus républicains du Congrès, le procureur a déploré des accusations « sans fondement et incendiaires ».
Donald Trump, qui vit en Floride, devra se présenter devant un tribunal de Manhattan pour se voir signifier formellement les charges retenues contre lui. Les chefs d’inculpation pesant contre lui, et donc les peines qu’il encourt, seront rendus publics mardi.
Agence France-Presse