Un rapport à charge qui devient une page d’histoire

Dix-huit mois et 800 pages plus tard, la commission spéciale du Congrès américain chargée d’enquêter sur l’insurrection du 6 janvier 2021 à Washington a écrit son ultime chapitre avec le dévoilement tard jeudi soir de son rapport final, dont les grandes lignes ont été publiées lundi, et les transcriptions de plusieurs témoignages rendues publiques mercredi et jeudi.
Ces publications suivent de près la recommandation faite au département de la Justice des États-Unis lundi dernier par ce groupe d’élus d’ouvrir une enquête pénale contre l’ex-président américain Donald Trump pour avoir incité une insurrection et comploté à l’encontre de l’État américain. Entre autres.
Une décision historique pour ce comité qui, en documentant minutieusement la tentative manquée de coup d’État, orchestrée par un président alors en fonction aux États-Unis, se prépare à faire entrer désormais cette tragédie dans le grand livre d’histoire du pays. Pour éviter qu’une telle chose se reproduise, espère-t-il.
« Il s’agit bel et bien d’un document fondamental et surtout historique qui va tenir responsable à l’avenir les présidents américains face aux lois démocratiques du pays, résume Jeremi Suri, professeur d’histoire à la University of Texas joint par Le Devoir à Austin. Les mensonges de Donald Trump vont devenir chose du passé, mais les preuves contenues dans le rapport, elles, vont perdurer. Elles seront consultées et citées à plusieurs reprises pendant de nombreuses décennies. »
« Un seul homme »
Après la rencontre de 1000 témoins — des républicains pour la plupart, tient à souligner la commission dans son rapport — et après avoir passé au crible des montagnes de documents, le groupe de parlementaires arrive à la « conclusion qui s’impose », peut-on lire dans le résumé analytique du rapport final : « la cause centrale du 6 janvier tenait dans un seul homme : l’ancien président Donald Trump […]. Aucun des événements du 6 janvier ne se serait produit sans lui. »
Ce jour-là, frustré par sa défaite lors de la présidentielle de 2020, le populiste a lancé ses partisans, dont il savait que plusieurs étaient pourtant armés, contre le Capitole, et ce, dans l’espoir d’empêcher la certification officielle des résultats du scrutin présidentiel établissant la victoire du démocrate Joe Biden. Cinq personnes ont perdu la vie dans cette insurrection.
Les preuves accumulées par la commission d’enquête démontrent que l’attaque contre le dôme de la démocratie et contre le processus électoral a été savamment planifiée par Donald Trump et son entourage, le 6 janvier et dans les jours qui ont précédé le drame.
Le plan visait à entretenir à dessein l’idée d’une fraude électorale massive, « le grand mensonge », indique le document, pour ensuite mettre en place la mécanique d’un coup d’État. « La décision du président Trump de déclarer faussement et illégalement la victoire le soir des élections et d’appeler à l’arrêt du décompte des voix n’était pas une décision spontanée, peut-on lire. C’était prémédité. »
« Les preuves contenues dans ce rapport font désormais de la criminalité un élément central de l’héritage politique de Donald Trump, résume Jeremi Suri, qui anime le balado pédagogique intitulé This is Democracy. C’est un corpus qui va être utilisé autant par le ministère de la Justice pour ses enquêtes à venir que par les historiens pour évaluer et comprendre les gestes illégaux posés par Donald Trump durant sa présidence. »
Marquer les esprits
Sept mois à peine après la fin de sa présidence, un groupe de 140 historiens l’avait déjà classé parmi les quatre pires chefs d’État de l’histoire du pays, et ce, depuis 1789. La pression est désormais forte sur le ministère de la Justice pour tenir l’ex-président criminellement responsable de sa tentative de corruption de la démocratie américaine. « L’étude des démocraties qui se sont effondrées nous a enseigné que le meilleur préalable à un coup d’État réussi reste un coup d’État manqué dont les instigateurs restent impunis », rappelait d’ailleurs dans nos pages l’historienne américaine Nancy MacLean, professeure à l’Université Duke, en Caroline du Nord, en juin dernier, au commencement des audiences publiques de la commission d’enquête.
« Les membres de ce comité espèrent, et attendent même, que leur rapport entre dans l’histoire et marque les esprits à long terme, commente en entrevue le politicologue Brian Gaines, de la University of Illinois. Mais je doute qu’ils aient réussi à atteindre des conclusions capables de déjouer les certitudes dans le paysage politique polarisé qui est le nôtre. »
Les mensonges de Donald Trump vont devenir chose du passé, mais les preuves contenues dans le rapport, elles, vont perdurer
Mercredi, un groupe d’élus républicains ont décidé, en guise de fronde, de rendre publique leur propre vision des événements du 6 janvier dans un rapport alternatif. Le document se concentre sur les défaillances des systèmes de sécurité du Capitole cette journée-là, mais ne fait aucunement mention de la tentative de renversement de la démocratie qui a motivé et guidé cette tragédie.
Sortir des ornières idéologiques, avec l’aide des faits, « c’est peut-être un objectif impossible à atteindre, poursuit M. Gaines. Bien sûr, ceux qui n’aiment pas ou détestent Donald Trump ont peut-être été persuadés que son comportement était encore pire qu’ils ne l’avaient imaginé. Mais ces gens-là ont déjà sanctionné l’ex-président, en mettant fin à son mandat et en le jugeant inapte à en obtenir un second ».
Le populiste ne s’en formalise guère. En novembre, il a lancé officiellement sa campagne en vue des élections présidentielles de 2024, et ce, même si un récent sondage USA Today/Suffolk confirme un affaissement de ses appuis au sein des républicains.
Malgré les travaux de la commission d’enquête et la mise en lumière de la tentative de fraude pilotée par Donald Trump contre les élections, 61 % des républicains croient toujours en 2022 que Joe Biden n’a pas légitimement remporté le scrutin présidentiel de 2020, selon un sondage de la Monmouth University diffusé en septembre dernier.