Donald Trump sera-t-il candidat hâtif à la présidentielle de 2024?

Touché, mais toujours pas coulé. Alors que la commission d’enquête sur l’insurrection du 6 janvier 2021 va continuer d’étaler en juillet ses révélations sur la tentative de coup d’État orchestrée par l’ex-président américain Donald Trump, les rumeurs vont désormais bon train aux États-Unis sur une déclaration hâtive de la candidature du populiste en vue de la présidentielle de 2024.
Par cette annonce, Donald Trump chercherait ainsi à réduire les risques de voir des accusations portées contre lui dans la foulée des preuves accablantes produites lors des audiences publiques de la commission.
La semaine dernière, une ex-conseillère de la Maison-Blanche, Cassidy Hutchinson, est venue raconter comment l’ex-président savait que des manifestants armés étaient devant le Capitole et comment il a cherché à marcher avec eux sur le dôme de la démocratie américaine pour renverser la certification de l’élection de Joe Biden par le Congrès.
Une entrée immédiate de Trump dans la course présidentielle de 2024 viendrait également couper l’herbe sous le pied aux aspirants à sa succession, dont le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, qui semble profiter des coups infligés au populiste par la commission d’enquête pour tourner la page sur le chapitre Trump du Parti républicain.
« Au regard des preuves exposées par les audiences publiques de la commission sur le 6 janvier, il semble plus probable qu’improbable que Donald Trump ait commis une série de crimes [alors qu’il était en poste à la Maison-Blanche] », résume en entrevue au Devoir le juriste Daniel Medwed, professeur de droit à l’Université Northeastern de Boston.
« S’il devait déclarer officiellement sa candidature pour la prochaine présidentielle, cela ne rendrait pas impossibles des poursuites contre lui, mais les choses seraient plus compliquées pour le procureur général — une personne nommée par le président Biden — puisque les accusations contre Donald Trump deviendraient alors politiquement chargées. »
« Devenir candidat ne change rien juridiquement pour Trump », estime pour sa part Brian Frye, spécialiste en droit politique à l’Université du Kentucky. Il rappelle qu’un président, en vertu du privilège exécutif, est protégé contre les poursuites « pendant son mandat », mais pas lorsqu’il redevient candidat. « Les procureurs pourraient trouver de quoi l’inculper s’ils veulent le faire. Mais ils n’aiment pas mener des affaires très médiatisées sans preuve solide pour étayer des accusations sérieuses. Et ils n’aiment surtout pas perdre. »
Samedi dernier, un ex-conseiller républicain à la Chambre des représentants, Kurt Bardella, est venu alimenter les spéculations sur une entrée hâtive de Donald Trump dans la présidentielle de 2024, en affirmant sur les ondes de MSNBC que le populiste allait « bientôt » faire part de ses intentions. « Nous savons tous par expérience que Donald Trump ne se soucie de personne d’autre que de Donald Trump, a-t-il dit. Cela ne me surprend pas que, face aux critiques qui s’accumulent en ce moment, dans la foulée des audiences publiques sur 6 janvier, il songe à appuyer sur la gâchette. »
Un projet confirmé par plusieurs proches conseillers et confidents du populiste, qui racontent que Donald Trump s’ennuie actuellement à Mar-a-Lago, son quartier général en Floride, et « a hâte de revenir dans l’arène politique en tant que candidat et non pas en tant que faiseur de rois », résumait d’ailleurs le réseau NBC, il y a quelques jours, après avoir sondé le coeur et l’esprit de son entourage.
Des appuis qui s’affaissent
La pression pour un retour rapide de Donald Trump sur le devant de la scène augmente dans l’optique de maintenir son emprise sur le Parti républicain. L’ex-vedette de téléréalité y entretient d’ailleurs des divisions de plus en plus perceptibles.
Sur les ondes de Fox News, un terrain ultraconservateur pourtant acquis à l’ex-président et à son penchant complotiste et autoritariste, le commentateur politique Brit Hume a fait valoir au lendemain de la deuxième audience publique du comité parlementaire sur le 6 janvier 2021, en juin, que les dommages infligés à Donald Trump pourraient être « appréciés » par de « nombreux membres du Parti républicain » qui rêvent de rompre avec le style sulfureux du populiste.
Si les élus de la commission « réussissent à l’endommager, à le souiller de telle sorte qu’il soit incapable, pour des raisons juridiques ou politiques, de se présenter à nouveau, ils pourraient rendre un grand service au Parti républicain, a-t-il dit. Un grand nombre de républicains pensent qu’ils ne peuvent plus gagner avec Trump. Mais ils ont peur de ses partisans et ne veulent pas se dresser directement contre lui. Si l’effet de ce comité est de faire barrière à son éventuelle candidature, un grand nombre de républicains en seraient très heureux en privé ».
Signe d’affaissement, un récent sondage de l’Université du New Hampshire réalisé en vue des primaires républicaines qui pourraient se tenir dans cet État souvent décisif accorde désormais une avance à Ron DeSantis (39 %) sur Donald Trump (37 %) ; l’ex-vice-président Mike Pence traîne loin derrière à 9 %. C’est un renversement majeur depuis octobre dernier, alors que l’ex-président menait toujours le bal avec 43 % des intentions de vote, contre 18 % pour le gouverneur de la Floride.
« Certains électeurs républicains s’éloignent de Donald Trump », a commenté la semaine dernière un stratège du parti, Scott Jennings, dans les pages du New York Times, sans être surpris à l’idée de voir l’ex-président poser hâtivement sa candidature. « À sa place, vous essayeriez aussi d’éteindre le feu. Parce que plus ça chauffe, et plus ça brûle. »
Un pari risqué
Ce retour anticipé est toutefois loin de faire l’unanimité au sein du clan Trump, dont plusieurs membres craignent qu’une telle annonce ne vienne nuire aux républicains en novembre prochain.
Alors que les élections de mi-mandat sont d’ordinaire un référendum sur la première moitié d’un mandat présidentiel (très difficile pour Joe Biden, dont la cote de popularité est au plus bas), une présence officielle de Trump en vue du scrutin de 2024 pourrait ranimer l’opposition contre le populiste — la même qui lui a coûté la Maison-Blanche en 2020 en mobilisant les électeurs démocrates.
« Les républicains veulent vraiment gagner en 2022, et beaucoup d’entre eux se rendent compte que la reprise de la campagne de 2020 avec les diatribes complotistes quotidiennes de Trump est gage d’une défaite assurée », estime Dick Wadhams, stratège républicain et ancien président du Parti républicain du Colorado, cité par le New York Times.
Pire, en dévoilant trop vite ses intentions, Donald Trump risque aussi de compromettre le financement de sa campagne officielle en limitant entre autres son accès aux grands donateurs d’ici 2024 et en devant composer avec le plafonnement des dons destinés à sa campagne pour les primaires républicaines.
À l’image de sa présidence, l’annonce de la candidature de Donald Trump reste toutefois aussi incertaine qu’imprévisible, selon son entourage, qui s’attend à une déclaration soudaine sur son réseau social, Truth, rapportait le quotidien new-yorkais.
À ce jour, dans l’histoire des États-Unis, un seul président a réussi à remporter deux mandats non consécutifs comme Donald Trump rêve de le faire : le démocrate Grover Cleveland, en 1884 puis en 1892. Or, contrairement au populiste, Cleveland a remporté le vote populaire à chaque scrutin, y compris celui qui a accordé la victoire à Benjamin Harrison. Ce que Trump, en 2016 et 2020, n’a jamais réussi à faire.