La menace pour Trump d’une enquête portée au grand jour

Après avoir accumulé des montagnes de preuves depuis l’été dernier et fait défiler des centaines de témoins derrière ses portes closes, la commission parlementaire américaine chargée de faire la lumière sur l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, entre cette semaine dans une de ses dernières phases, avec la tenue de six audiences publiques, dont deux vont être diffusées à heures de grande écoute.

Un événement attendu qui, comme la diffusion des audiences de la commission d’enquête sur le Watergate à une autre époque, pourrait bousculer les perceptions du public sur le rôle réel joué par l’ex-président Donald Trump dans la tentative de coup d’État orchestrée cette journée-là.

« Il est tout à fait possible que ces audiences publiques fassent apparaître de nouvelles preuves, plus incriminantes, et éclairent davantage la conspiration élaborée par des responsables du gouvernement Trump pour empêcher la certification des résultats du vote de la présidentielle de 2020, dit en entrevue au Devoir l’historien de la politique américaine John Mohr, qui enseigne à la University of Alabama. Certes, ce qui a déjà été mis au jour par cette commission indique que le projet était bien plus organisé que ce que l’on pensait auparavant. Et si davantage devait être révélé, le risque de poursuites criminelles pour les personnes impliquées dans la violence des événements du 6 janvier pourrait alors s’amplifier. »

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Il s’agit du nombre de personnes qui ont perdu la vie lors de l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021

Traumatisme pour les États-Unis, l’insurrection du Capitole a placé l’ex-président Donald Trump face à une seconde procédure en destitution, une semaine à peine après que ses partisans eurent pris d’assaut le siège du pouvoir législatif. La foule cherchait ainsi à maintenir illégalement le populiste, déchu par les urnes, en poste à la Maison-Blanche.

Trump a alors été accusé d’avoir orchestré cette émeute antidémocratique et mortelle — 7 personnes y ont perdu la vie — en organisant un rassemblement politique aux abords du dôme de la démocratie, cette journée-là, et en appelant la foule à « combattre sans relâche » pour faire annuler les élections en prétendant à tort depuis des mois qu’elles ont été frauduleuses. La majorité républicaine du Sénat a toutefois préféré l’acquitter.

Depuis, la commission parlementaire a réussi à mettre en évidence un effort concerté des proches de Donald Trump pour faire annuler le résultat des urnes. Le plan, piloté par l’ancien stratège du populiste, Steve Bannon et un de ses conseillers à la sécurité nationale, Peter Navarro, portait même un nom, « Green Bay Sweep », le balayage de la baie Verte, et visait à trouver des mécanismes et des procédures pour faire annuler le vote de novembre 2020.

Tout comme Bannon, Navarro a refusé obstinément de collaborer avec la commission. Vendredi, il a été officiellement inculpé d’outrage au Congrès, pour avoir refusé d’y comparaître et arrêté en après-midi par le FBI.

Manipulation et coup de force

 

Des échanges de textos entre Mark Meadows, ex-chef de cabinet de Donald Trump, et plusieurs figures politiques et médiatiques, obtenus par les parlementaires, ont également permis de mettre en lumière le sérieux de l’attaque contre la démocratie américaine. Une de ces communications, impliquant l’ex-gouverneur du Texas Rick Perry, a montré par exemple que ce dernier avait élaboré un plan pour remplacer le vote démocrate exprimé dans les États dont la législature était sous contrôle républicain, comme la Géorgie ou l’Arizona, pour en faire un vote en faveur de Donald Trump.

Enfin, sur le terrain, le 6 janvier, cette insurrection comptait également sur la coopération de groupes d’extrême droite pour entraver par la violence les procédures de certification du vote par le pouvoir législatif américain. L’ex-chef d’un de ces groupes, les Proud Boys, Henry « Enrique » Tarrio, a d’ailleurs été arrêté dans la foulée des émeutes. Il est en attente de son procès et fait face à des accusations de « conspiration ».

Durant tout le mois de juin, la diffusion des travaux de la commission d’enquête sur le 6 janvier, qui s’amorcera jeudi, à 20 h, pourrait faire apparaître plus encore, comme cela avait été le cas lors du Watergate, cette tentative d’espionnage du comité national démocrate orchestrée par le président Nixon en 1972.

On s’en souvient : le témoignage, devant l’Amérique, de John Dean, ancien conseiller juridique de la Maison-Blanche, avait permis de comprendre que l’effraction dans les bureaux des démocrates avait été autorisée personnellement par l’ex-procureur général John Mitchell et que les conseillers de la Maison-Blanche étaient au fait de l’entreprise. Dean a également confirmé que Richard Nixon avait été impliqué dans la dissimulation des événements qui s’en est suivie.

« C’est l’inconnu à la veille de ces audiences publiques : on ignore jusqu’à quel point la commission va attribuer une responsabilité directe à Donald Trump en tant qu’instigateur de l’insurrection et accuser d’autres individus et groupes », laisse tomber Michael Traugott spécialiste de la communication politique à la University of Michigan.

« Le comité va essayer de tirer parti des projecteurs journalistiques tournés vers lui pour maximiser l’impact de ses conclusions, ajoute Steven Webster, professeur de science politique à l’Indiana University. Les deux parties jouent gros avec ces audiences, car les démocrates veulent éviter d’être perçus comme étant trop revanchards et agressifs, et les républicains, eux, ont peur de la révélation choc préjudiciable pour Trump, ses alliés ou pour le parti dans son ensemble. »

Sur les traces de Richard Nixon, trahi en partie par les enregistrements des discussions sur le crime planifié au sommet de l’État, dont les bandes ont été révélées lors des audiences publiques de la commission d’enquête, Donald Trump, semble lui aussi vouloir dissimuler des preuves accablantes. C’est du moins ce qu’illustre la découverte par la commission d’enquête d’un « trou » de 7 heures et 37 minutes dans le registre officiel des appels téléphoniques du bureau de la présidence américaine le 6 janvier 2021. Pile pendant le déroulement de l’attaque du Capitole.

Les preuves d’un crime

« Si suffisamment de preuves incriminantes sont accumulées contre lui, il pourrait faire face à des accusations criminelles, dit John Mohr, même si cela serait sans précédent pour un ancien président de faire face à des accusations criminelles pour des infractions commises pendant son mandat. Il n’y a rien dans la Constitution qui l’empêche, mais, politiquement, cela risque d’être explosif, et ce, dans un pays beaucoup plus polarisé qu’il ne l’était lors des audiences de Nixon. »

Si les audiences publiques ont le potentiel de ramener les projecteurs sur les dérives autoritaires et antidémocratiques de l’ex-président américain, elles demeurent toutefois un exercice risqué pour les démocrates, estime le politicologue et professeur de droit James Gardner, de la University of Buffalo, joint par Le Devoir dans l’État de New York. « De nouvelles révélations sur des crimes commis par Donald Trump durant sa présidence risquent d’être perçues par sa base comme des preuves de plus d’un acharnement, sans fondement selon ses partisans, contre lui, dit-il. Et cela ne fera que les mobiliser davantage, et ce, alors qu’ils sont déjà grandement mobilisés. »

De passage au Wyoming il a quelques jours pour soutenir la candidature de Harriet Hageman, face à Liz Cheney, critique de Trump et rare républicaine à siéger au comité chargé d’enquêter sur le 6 janvier, le populiste a d’ailleurs donné du carburant à cette critique, en qualifiant à nouveau l’insurrection du Capitole de « canular » et a dénoncé un « récit partisan, grotesque, faux, fabriqué et hystérique ».

« Les partisans de Donald Trump l’ont porté au pouvoir en connaissant ses défauts, et ils ont à nouveau voté pour lui en 2020, sans avoir été dissuadés par ses quatre ans au pouvoir et son mépris ouvert pour l’État de droit, ajoute M. Gardner. Les audiences et le rapport de la commission [attendu plus tard cette année] ne feront pas changer les esprits. Si Trump se présente en 2024 et qu’il est vaincu, ce ne sera pas parce que ses partisans se seront détachés de lui, mais plutôt parce que ceux qui s’opposent déjà à lui vont continuer à le faire et se présenter aux urnes en grand nombre pour s’exprimer. »

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