Consternation autour de l’intervention policière à Uvalde

Deux ex-policiers montréalais critiquent sévèrement la lenteur des policiers à agir pour « neutraliser » le tireur à l’origine de la mort de 21 personnes dans une école primaire d’Uvalde, au Texas. Les forces de l’ordre texanes ont reconnu vendredi avoir pris une « mauvaise décision » en attendant plus d’une heure avant d’entrer dans la salle de classe où était terré le meurtrier mardi.
« Avec le recul, où je me trouve maintenant, bien sûr, ce n’était pas la bonne décision. C’était la mauvaise décision, point final. Il n’y a aucune excuse pour cela », a reconnu dans une conférence de presse courue vendredi le directeur du département de la Sécurité publique du Texas, Steven McCraw. « Je n’étais pas là, mais de ce que nous savons maintenant, nous croyons que nous aurions dû rentrer le plus tôt possible » dans la salle de classe où se trouvait le tireur de 18 ans, a ajouté le haut responsable.
Ce dernier a fait point par point le récit le plus détaillé à ce jour de la fusillade survenue mardi dans une école primaire d’Uvalde, une petite municipalité d’un peu plus de 15 000 habitants qui était sans histoire avant qu’un tireur y tue 19 enfants et deux enseignantes. Il s’agit de la pire fusillade en milieu scolaire des États-Unis depuis celle de Sandy Hook, à Newtown, le 14 décembre 2012, lors de laquelle 26 personnes ont été tuées.
Une menace sous-évaluée
À 11 h 30, mardi, des enseignants appellent le 911 pour signaler la présence d’un jeune homme portant une arme à feu. Quelques minutes plus tard, Salvador Ramos commence à tirer à l’intérieur d’une classe. « On sait, par la preuve vidéo dont nous disposons, qu’il a tiré au moins 100 balles », a indiqué le colonel McCraw, en précisant que le jeune homme avait 1657 cartouches de munitions destinées à alimenter son fusil d’assaut semi-automatique.
Progressivement, le nombre de policiers à l’intérieur de l’école grimpe. Vers midi, on en compte 19 dans le couloir de l’établissement. Entre-temps, plusieurs personnes, dont des enfants coincés dans des classes, appellent le 911 pour supplier la police d’intervenir. Les forces de l’ordre, qui croyaient avoir affaire à un « sujet barricadé » qui ne menaçait pas la sécurité des enfants, ne pénètrent finalement dans la classe où se trouvait le tueur que vers 12 h 50, après s’être procuré la clé pour déverrouiller la serrure auprès du concierge de l’établissement, a révélé McCraw. Le meurtrier se fait ensuite abattre.
« Évidemment, selon l’information dont nous disposons, il y avait des enfants à risque à l’intérieur et un tireur actif, et non pas un sujet barricadé », a soulevé le colonel avec le recul. Or, quand la police a affaire à un tireur actif, « les règles changent ». « N’importe quel policier doit pouvoir y aller et tirer jusqu’à ce que le suspect soit mort, un point c’est tout », a poursuivi M. McCraw pendant sa conférence de presse d’une quarantaine de minutes.
Ce dernier a indiqué que la décision initiale de ne pas entrer dans la salle de classe où se trouvait le meurtrier avait été prise par le chef de la police du district scolaire d’Uvalde, Pedro « Pete » Arredondo. L’enquête policière, qui se poursuit, a d’ailleurs montré qu’une équipe tactique lourdement équipée qui s’était déplacée devant l’école mardi avait alors reçu l’ordre de ne pas y entrer parce « qu’elle avait le temps et qu’aucun enfant était à risque », a déclaré M. McCraw.
« Un manque de formation »
Les détails fournis vendredi concernant cette intervention policière, qui ont ébranlé les proches des victimes, soulèvent des questions jusqu’au Québec. Joints par Le Devoir, deux ex-policiers montréalais ont fait part de leur désarroi devant la lenteur des forces de l’ordre à agir mardi à Uvalde. Un drame qui se retrouve maintenant au cœur d’un débat national sur le contrôle des armes à feu.
« Ce qui semble sortir des nouvelles du Texas, c’est que les policiers n’ont pas l’air d’être formés en déploiement rapide, ils semblent être encore formés comme nous on l’était dans le temps de Polytechnique. Ça ressemble vraiment à ça », lâche avec étonnement l’ex-policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Stéphane Wall, qui a entraîné durant 13 ans des policiers sur l’usage judicieux de la force.
À la suite de la fusillade du 6 décembre 1989 à l’École polytechnique de Montréal, lors de laquelle Marc Lépine a tué 14 femmes et blessé 13 autres personnes avant de se suicider, la lenteur des policiers à agir le jour de la tragédie avait soulevé des questions. La façon de procéder à l’époque dans les cas de fusillade, expliquent M. Wall et l’ancien sergent-détective André Gélinas, à la retraite du SPVM, était d’attendre l’arrivée du groupe tactique d’intervention avant de procéder.
Dans les années qui ont suivi cette tuerie — et en particulier depuis la fusillade survenue au collège Dawson en 2006 —, la formation des policiers dans la province a été revue afin que les interventions soient plus rapides et efficaces dans des situations où des vies sont menacées par un tueur. « On va tenter de l’isoler et de tirer vers lui de différents angles pour l’inciter à s’isoler […] il faut neutraliser la menace. C’est ça, l’objectif », explique M. Wall. À Montréal, les policiers seraient donc « entrés dans la classe » où se trouvait le tireur beaucoup plus rapidement que ce qui s’est fait à Uvalde, croit-il.
« On a appris des erreurs passées », ajoute M. Gélinas. « La rapidité, le temps, c’est notre principal ennemi », poursuit le sergent-détective à la retraite, qui rappelle que le but d’un « tueur actif », « c’est de tuer le plus de personnes possible avant d’être arrêté ».
Mais comment se fait-il qu’aux États-Unis, où des dizaines de fusillades ont eu lieu dans des écoles depuis le début de l’année, on ait pu assister mardi à une intervention policière déficiente à Uvalde ? « C’est difficile à comprendre, mais c’est vraiment un manque de formation », conclut M. Wall.