D’importantes lignes de fracture au congrès de la NRA, trois jours après la tuerie d’Uvalde

Près de 55 000 personnes sont attendues cette fin de semaine au congrès du puissant lobby pro-armes à feu. 
Photo: Anne-Marie Provost Près de 55 000 personnes sont attendues cette fin de semaine au congrès du puissant lobby pro-armes à feu. 

L’avenida de las Americas à Houston, au Texas, cristallisait bien vendredi le débat qui déchire présentement les États-Unis autour des armes à feu. D’un côté de la rue, des milliers de participants affluaient pour le congrès annuel de la National Rifle Association (NRA). De l’autre, des centaines de manifestants protestaient contre la tenue de l’événement, ayant lieu quelques jours seulement après le drame qui a secoué la petite ville d’Uvalde dans cet État du sud des États-Unis.

« De voir que ça se tient tout de suite après, ce n’est pas croyable. C’est comme un coup de poing dans le ventre », laisse tomber Nicole Delarosa, 22 ans.

La jeune femme, native d’Uvalde, avait encore les yeux rougis par l’émotion lorsque Le Devoir s’est entretenu avec elle, après qu’elle eut prononcé un discours dans le parc en face du palais des congrès George R. Brown. Elle connaissait l’une des victimes. « Le dénominateur commun de toutes les fusillades de masse, ce sont les fusils », lance-t-elle.

Dix-neuf enfants et deux enseignantes sont morts sous les balles d’un tireur mardi à l’école primaire Robb. Depuis, les appels se multiplient pour mieux réguler les armes à feu, et la discussion sur la sécurité dans les salles de classe est à l’avant-plan.

Jaylan Ramirez, 18 ans, est de son côté venue protester avec une pancarte sur laquelle elle avait écrit « J’ai peur d’aller à l’école ». « Il y a eu une menace de violence contre mon école hier et cela m’a fait paniquer, j’avais très peur à cause de ce qui s’est passé », a raconté la jeune fille en 11e année, qui étudie à l’école secondaire Lamar à Houston. Tous les effets personnels des élèves ont été confisqués, le temps de les inspecter, et elle est rentrée chez elle plus tôt. « Cela ne devrait pas être si facile d’obtenir une arme », pense-t-elle.

Les manifestants étaient rassemblés sous surveillance policière le long d’une clôture de l’autre côté de la rue du palais des congrès, pour être visibles et invectiver les membres de la NRA qui s’engouffraient dans l’immeuble imposant. « Armer les professeurs, êtes-vous fous ? » pouvait-on lire sur une pancarte. « Protégez la vie, pas les fusils », était-il écrit sur une autre. « Honte à vous », ont à un moment scandé des dizaines de personnes.

De l’autre côté de la rue, ceux qui étaient visés par les cris regardaient les protestataires avec un air un peu déconcerté. Accoudé sur la clôture, devant une ligne de policiers de l’État du Texas en uniforme vert équipés de vestes pare-balles, Cliff Lee, 60 ans, filmait la scène avec une petite caméra noire.

« Lorsqu’Uvalde est arrivé, je savais que les gens blâmeraient les fusils. Un fusil en soi ne tue personne, c’est la personne derrière », insiste celui qui est membre de la NRA depuis 40 ans et qui possède un nombre élevé d’armes. « Les manifestants devraient se concentrer sur les problèmes de santé mentale et le manque de soutien plutôt que sur les fusils », pense-t-il. « Si tous les enseignants étaient armés, il n’y aurait pas d’incidents comme ça », ajoute-t-il.

À côté de lui, Shari Thurnbull, qui tient un stand de vente d’armes de poing à l’intérieur, est d’accord. « Ils ne comprennent rien, lance-t-elle, en parlant des manifestants. La NRA veut principalement éduquer et n’est pas pour la violence avec les fusils. » La femme dans la soixantaine passe ses vacances chaque été à proximité d’Uvalde avec son mari, et elle connaît plusieurs résidents de la municipalité. Elle a été choquée par le drame, mais comme plusieurs personnes avec qui Le Devoir s’est entretenu, elle pense qu’il est possible d’avoir une culture des fusils qui soit sécuritaire.

Lors de notre passage à l’intérieur du palais des congrès, plusieurs stands dans le hall d’entrée mettaient en valeur des armes de poing et des fusils semi-automatiques, d’autres tables faisaient la promotion de vétérans de l’armée ou de stands de tir.

Haute teneur politique

 

À l’extérieur, dans la rue, un camion où flottait un grand drapeau américain à l’arrière et qui affichait une photo de Donald Trump sur une porte circulait lentement, comme pour narguer les manifestants. Peu de temps après, une femme dans la quarantaine au volant d’une fourgonnette, avec sur la tête un joli chapeau blanc, ralentissait et envoyait des doigts d’honneur énergiques en direction des membres de la NRA.

Cela fait rire Tyler Juarez, 20 ans, membre de la NRA depuis deux ans, et ses amis, tous venus assister au congrès. L’étudiant universitaire originaire d’une petite ville à proximité de Houston reprend lui aussi l’argument selon lequel « les fusils ne tuent pas les gens, ce sont les gens qui tuent les gens ».

Quand on lui fait remarquer qu’un accès simplifié aux armes pourrait faciliter la concrétisation de pulsions meurtrières chez certaines personnes, il n’hésite pas à acquiescer. « Oui, c’est sûr, mais les manifestants veulent bannir les fusils. Je suis favorable à des lois plus strictes, mais pas ça, dit-il. Je suis d’accord avec une vérification des antécédents plus approfondie. »

« Si nous n’avons pas de fusils, comment allons-nous nous protéger ? » insiste celui qui a grandi dans une famille où tout le monde possède une arme, et qui compte un jour enseigner à ses futurs enfants comment adéquatement manier une arme.

Le rassemblement des opposants à la NRA, organisé par une multitude de groupes, avait une saveur politique, alors que des élections doivent se tenir en novembre à la tête de l’État. L’actuel gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, devait assister au congrès, mais il a finalement fait marche arrière, préférant s’exprimer devant les membres de la NRA dans une vidéo pré-enregistrée.

Plusieurs militants de son opposant démocrate, Beto O’Rourke, étaient sur place, et les appels à remplacer Greg Abbott se sont multipliés dans les discours vendredi après-midi. « Nous avons une grande décision à prendre en novembre. Quel genre d’État voulez-vous que le Texas soit dans les prochaines années ? » a notamment lancé Joshua Martin, président de l’association étudiante de l’Université de Houston, pour ensuite critiquer le gouverneur actuel pour ses positions sur les armes à feu.

L’ancien président Donald Trump a de son côté participé au congrès, et il a appelé dans un discours à armer les citoyens, a rapporté l’AFP.

« L’existence du mal dans notre société n’est pas une raison pour désarmer des citoyens respectueux de la loi, a-t-il dit. L’existence du mal est la raison pour laquelle il faut armer les citoyens respectueux de la loi. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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