La tuerie d'Uvalde bouleverse les enfants de l’école

Devant l’école primaire Robb, des croix ont été installées pour les victimes de la tuerie. Des lieux de recueillement sont apparus à quelques endroits jeudi dans la petite ville sans histoire. À la radio, les lecteurs de nouvelles égrènent le nom des élèves tués.
Photo: Jae C. Hong Associated Press Devant l’école primaire Robb, des croix ont été installées pour les victimes de la tuerie. Des lieux de recueillement sont apparus à quelques endroits jeudi dans la petite ville sans histoire. À la radio, les lecteurs de nouvelles égrènent le nom des élèves tués.

Adam Pennington, 8 ans, en fait des cauchemars la nuit. L’élève de l’école primaire Robb à Uvalde était dans un bureau avec le directeur et un conseiller pour évaluer son potentiel trouble de déficit de l’attention quand le tireur a fait irruption dans l’établissement mardi, tuant dix-neuf élèves et deux enseignantes.

Le garçon a entendu des coups de feu. S’enfuyant d’une salle à l’autre par un couloir, pour ensuite se cacher derrière les rideaux de la cafétéria, il a finalement pu sortir de l’école avec l’aide de policiers. « J’étais désorienté », raconte-t-il au Devoir. Il prend soin d’ajouter qu’il n’a pas pleuré. Sa mère, rongée d’inquiétude, est venue le récupérer vers 13 h 30 au Centre municipal de la petite ville du Texas, deux heures après que le tireur est entré dans l’école.

« Il a dormi avec nous cette nuit-là », glisse Laura Pennington, 37 ans. Le garçon, d’humeur naturellement joyeuse et vive, a été ébranlé par les événements. « Nous voulons en parler ouvertement avec lui. S’il veut parler, il parle. Il m’a dit des choses qui me font penser qu’il aurait besoin d’une séance avec un conseiller, pour l’aider », dit-elle. Des services psychosociaux sont offerts au Centre municipal d’Uvalde, et la mère jonglait avec l’idée de l’emmener lorsque Le Devoir lui a parlé, jeudi.

Le garçon coupe la parole à sa mère. « J’ai rêvé qu’un chauffeur Uber accélérait et heurtait volontairement un homme avec sa voiture, et le tuait, dit-il. Et c’est comme ça que je me sens. »

Le drame a choqué la petite ville, auparavant sans histoire, d’un peu plus de 15 000 habitants, qui se trouve maintenant au centre de l’attention médiatique et de la relance d’un débat national tendu sur les armes à feu. Plusieurs parents doivent soudainement avoir des discussions avec leurs enfants qu’ils n’ont jamais eues auparavant.

« Ils posent des questions comme “pourquoi c’est arrivé ?” et “pourquoi ici ?”. Les mêmes questions que les adultes se posent », raconte Jody Gatto, père de sept enfants âgés de 5 à 16 ans. « Nous leur en parlons comme s’ils étaient des adultes, c’est le genre de chose que nous n’avions jamais imaginé vivre. »

Photo: Chandan Khanna Agence France-Presse Jeudi, des personnes se recueillaient devant le mémorial installé à l’extérieur de l’école primaire Robb, où, mardi, la communauté latino-américaine très unie d’Uvalde est devenue le théâtre de la pire fusillade en milieu scolaire depuis dix ans.

L’homme de 42 ans tondait le gazon avec son fils devant son imposante maison de deux étages lorsque Le Devoir l’a approché. Une des rares personnes à l’extérieur, dans une ville où les habitants, habituellement sur leur terrain en train de socialiser, sont maintenant cloîtrés dans leur maison.

« Nous répondons à nos enfants que nous ne savons pas vraiment pourquoi ça s’est produit, que certaines personnes ont le mal dans leur cœur », dit-il. Ses yeux se remplissent soudainement de larmes, et il poursuit, la voix brisée. « Il y a des choses que nous ne pouvons pas contrôler. Nous devons rester ensemble et nous devons nous battre pour passer au travers », dit-il. Sa fille de 10 ans jouait à la balle molle avec une des victimes, ajoute-t-il. « Elle est bouleversée, mais elle est intelligente. Et nous avons mis beaucoup de foi en Dieu à ce sujet », glisse-t-il.

La saison de baseball, que plusieurs attendaient avec impatience, a été mise sur pause le temps que la poussière retombe, ajoute-t-il, et il se sent coupable de profiter de la vie alors que d’autres sont morts.

Retour à l’école difficile à prévoir

L’année scolaire est terminée, mais Laura Pennington n’aurait pas laissé son fils retourner à l’école de toute façon. Même si la rentrée est l’automne prochain, elle pense déjà à comment elle abordera à nouveau le sujet des tireurs dans les écoles avec lui, ce qu’elle n’avait pas vraiment fait encore avant mardi.

« Je vais lui dire de toujours faire attention : “Tu le dis immédiatement à quelqu’un si tu sens que quelqu’un n’a rien à faire dans l’école ou que tu ne le reconnais pas. Si tu vois n’importe quoi qui ne semble pas correct, tu le dis immédiatement à un adulte. Ou si tu vois quelque chose qui ressemble à une arme”, énumère-t-elle. Il s’agit d’observer les choses hors de l’ordinaire, et les enfants sont très bons pour faire ça. »

Adam est de son côté craintif à l’idée de retourner à l’école. « J’ai peur, confesse-t-il. Je crains que si on me tire dessus, je vais paniquer et être pétrifié sans être capable de bouger. »

Photo: Jae C. Hong Associated Press Un homme brandissait une pancarte pour les victimes de la fusillade à Uvalde, jeudi.

« Je ne lui ai jamais parlé de sécurité à l’école de cette façon, ajoute sa mère. Nous parlons d’autres choses, comme “ne laisse pas les gens faire de l’intimidation ou faire certains gestes”, mais pas ça. »

La femme a de son côté beaucoup réfléchi à la chose, comme elle est elle-même enseignante suppléante dans des écoles du district scolaire d’Uvalde. Elle a participé à une simulation pour fermer et barricader une classe en cas de présence d’un tireur actif. « S’il y a un tireur, ton travail est d’être un bouclier humain. Ça ne me semble pas efficace. Mais je le ferais, parce que personne ne va mourir sous ma supervision », dit-elle, l’air convaincu.

Une communauté bouleversée

 

Dans la municipalité considérée comme tranquille et avec peu de criminalité, les habitants sont encore sonnés par le drame. Des lieux de recueillement sont apparus à quelques endroits, et, à la radio, les lecteurs de nouvelles égrènent le nom des élèves tués et leur âge. Ils ont presque tous entre 9 et 10 ans. Devant l’école, 21 croix blanches avec le nom des victimes ont été plantées sur le gazon. Lors du passage du Devoir, deux hommes étaient effondrés en prière devant l’une des croix.

Des bénévoles se promènent avec des chiens de réconfort dans les lieux publics d’Uvalde, qui se collent sur les enfants et les adultes quand on les approche. « Nous en avons sept avec nous aujourd’hui, et nous sommes venus de partout au Texas », mentionne au Devoir Eddie Carlton, qui tient en laisse un golden retriever.

Le centre municipal de la ville continue de son côté d’offrir des séances avec des conseillers psychosociaux. Patrick Johnson, 58 ans, croisé sur les lieux, a conduit pendant sept heures en provenance de l’est de l’État du Texas pour offrir du soutien. « Je donne des conseils, nous apportons des jouets et des peluches. Quand les enfants perdent quelque chose qui leur est précieux, ils ont besoin de serrer quelque chose », dit-il.

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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