Le trumpisme mis à l’épreuve en Ohio

Des affiches de campagne en faveur du candidat au Sénat américain Josh Mandel sont posées sur des chaises pour les partisans avant un événement électoral à Mapleside Farms, en Ohio.
Photo: Dustin Franz Getty Images via Agence France-Presse Des affiches de campagne en faveur du candidat au Sénat américain Josh Mandel sont posées sur des chaises pour les partisans avant un événement électoral à Mapleside Farms, en Ohio.

Un vote local à la portée nationale. Le 3 mai prochain, le trumpisme sera exposé à l’une de ses plus importantes épreuves des urnes depuis la défaite de l’ex-président Donald Trump en 2020 : la primaire républicaine de l’Ohio.

La course vise à déterminer le candidat au poste de sénateur de l’État en vue des élections de mi-mandat de novembre prochain. Or, l’exercice demeure plus que délicat pour le populiste, qui s’est invité dans la course en adoubant la semaine dernière un candidat dans la marge, le romancier J. D. Vance, ex-détracteur du milliardaire devenu désormais porte-voix de ses théories fallacieuses sur la fraude électorale.

Une défaite de ce « poulain » — tout comme une possible victoire, d’ailleurs — pourrait définir la suite des choses pour l’ex-président en donnant la réelle mesure de son emprise sur un Parti républicain qui peine toujours à tourner la page sur sa présidence difficile et sa sortie cahoteuse.

« Un rejet du candidat soutenu par Trump à la primaire républicaine pour le siège de l’Ohio au Sénat américain — l’opportuniste J. D. Vance — pourrait porter atteinte à l’influence de Trump sur la politique américaine et compromettre sa troisième tentative de prendre la Maison-Blanche, en 2024 », a écrit cette semaine le chroniqueur politique du Cincinnati Enquirer, Jason William, dans un billet dénonçant l’intervention du populiste dans la démarche et l’appui accordé « au candidat le moins qualifié de la course », selon lui.

La partie est loin d’être jouée d’avance pour Donald Trump, dont l’appui accordé à l’auteur du roman populaire Hillbilly Elegy, une réflexion sur la crise du rêve américain vue par les yeux de la classe moyenne rurale de l’Ohio, a créé cette semaine un schisme au sein de la formation politique dans cet État du Midwest.

Mercredi, plus de la moitié des délégués du comité national républicain ont en effet réclamé dans une lettre adressée à l’ex-président le retrait de son appui à un candidat qu’ils qualifient de « charlatan », en évoquant une trahison envers les républicains qui ont soutenu la candidature du populiste lors des deux dernières présidentielles.

« Nous sommes les trumpistes originaux et fiers qui ont été vos délégués dans l’Ohio lorsque tout le monde était contre vous ou soutenait d’autres candidats », écrivent-ils dans une lettre dévoilée par le réseau Fox News. « Nous vous demandons respectueusement de reconsidérer votre appui accordé à J. D. Vance pour soutenir dans le grand État de l’Ohio ceux qui, comme nous, ont cru en vous la première fois en 2016. »

Un coup de dé

 

L’ex-président américain doit participer samedi soir à un rassemblement au nord de Columbus en compagnie de son candidat, qui, selon le stratège républicain Mark Weaver, devrait profiter de cette visibilité pour continuer à progresser dans la course. « Cela va être très utile pour J. D. Vance de partager la scène avec Donald Trump, dit-il en entrevue au Devoir. Donald Trump est encore très populaire en Ohio, un État qu’il a remporté à deux reprises, la dernière fois avec une avance de huit points sur Joe Biden. Mais ce qui se passe ici n’est pas le meilleur indicateur de sa popularité à l’échelle nationale. »

Un avis pas totalement partagé par son collègue Matt Dole, consultant en politique pour les républicains de l’État, qui croit que si le romancier n’arrive pas à se qualifier le 3 mai prochain pour les élections générales de novembre, « cela signalerait que Trump n’aura plus la porte ouverte pour une nomination » en vue de la présidentielle de 2024, explique-t-il dans les pages numériques du quotidien spécialisé The Hill.

Sept républicains, dont plusieurs partisans affichés de Donald Trump, sont actuellement dans la course pour représenter le parti lors de l’élection sénatoriale de novembre prochain. Parmi eux, l’ex-trésorier de l’État Josh Mandel, qui, selon un sondage du Trafalgar Group diffusé la semaine dernière, menait par six points (à 28 % des intentions de vote) sur le choix de l’ex-président, J. D. Vance (22 %).

Jeudi, le groupe politique Protect Ohio Values, qui a d’abord promu la candidature du romancier, affirmait toutefois que l’appui de Donald Trump avait fait grimper les intentions de vote en faveur de J. D. Vance, jusqu’à le placer désormais en tête, à 25 %, selon une enquête réalisée par le groupe cette semaine. Contre 18 % pour Mandel.

« Il est peu probable que l’appui de Trump change quelque chose à cette campagne, explique le politicologue Justin Buchler, professeur à l’Université Case Western Reserve, joint par Le Devoir à Cleveland. Malgré sa notoriété, le bilan de ses appuis n’est pas très fort, et beaucoup de ceux et celles qu’il soutient ne font pas très bien dans leur campagne. »

Perspective incertaine

 

En 2018, 36 candidats soutenus par Donald Trump ont échoué dans leur course électorale lors des élections de mi-mandat, contre 47 qui ont décroché le siège convoité, selon un décompte réalisé par le réseau public NPR. En 2022, l’ex-président se tient debout derrière 130 aspirants à un poste au Congrès, mais leur offre toutefois une perspective plus incertaine en raison de sa défaite ou encore de la tache laissée par l’insurrection du 6 janvier sur la fin de son mandat.

À noter que 70 % des candidats appuyés par Trump appuient pour leur part le « grand mensonge » de l’ex-président sur le vol des élections de 2020 par les démocrates, a calculé le site d’analyse politique FiveThirtyEight. Des accusations qui sont en contradiction constante avec les enquêtes, les poursuites, les seconds dépouillements et les faits, y compris dans les États sous contrôle des républicains.

D’ailleurs, les personnes soutenues par Donald Trump en vue des élections de novembre ont connu plusieurs échecs, comme en Pennsylvanie, où son candidat Sean Parnell a dû se retirer de la course en raison d’accusations de violence conjugale, et en Alabama, où il a retiré son appui à Mo Brooks, dont la candidature au poste de sénateur était loin de faire sensation dans les sondages.

En Alaska, le populiste a jeté son dévolu sur Kelly Tshibaka pour déloger la sénatrice Lisa Murkowski, critique de l’ex-président qui ne semble guère s’en inquiéter. Avec six fois plus d’argent dans sa caisse électorale que sa rivale, elle n’a pas manqué de bomber le torse face à son détracteur il y a quelques semaines en votant pour la nomination de la juge Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême, proposée par Joe Biden, et ce, contre la ligne de son parti et l’appel au rejet de cette candidature lancé par Donald Trump.

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