Une grève de la faim pour sauver la démocratie américaine

À l’autre bout du fil, le ton est ferme, mais la voix est un peu fatiguée. « C’est inconfortable, oui. C’est douloureux aussi. Mais c’est ce qu’il faut faire pour protéger notre démocratie, laisse tomber Joseline Garcia, 27 ans, qui a pris part cette semaine à Washington à une grève de la faim pour réclamer l’adoption rapide d’une loi pour protéger le processus électoral américain des interférences politiques.
« Le geste est radical, convient-elle en entrevue au Devoir, mais pas autant que les entraves des élus pour ne pas faire passer cette loi. »
Depuis le début du mois, un groupe de 20 étudiants de l’Arizona a décidé de se priver d’alimentation afin de protester contre l’incapacité du gouvernement Biden à faire adopter au Sénat le Freedom to Vote Act. La loi fédérale d’envergure vise à uniformiser les pratiques électorales au pays, à combattre le redécoupage partisan des cartes électorales ou l’adoption de lois par les États cherchant à entraver l’accès au vote des minorités. Elle promet aussi de s’attaquer au financement occulte des partis politiques. Entre autres.
Lundi, le mouvement s’est déplacé à Washington, devant la Maison-Blanche, où ces étudiants, âgés de 18 à 27 ans, ont été rejoints par d’autres de la Floride, du Texas, de la Virginie, de l’Utah ou de la Californie. La jeunesse, là-bas aussi, ne cesse d’exprimer son mécontentement face à une promesse de loi sur les élections non tenue par les démocrates, et ce, dans un pays où la démocratie est désormais considérée comme en recul.
« Nous avons décidé de mettre notre corps sur la ligne de front, parce que c’est notre avenir qui est en jeu, poursuit Mme Garcia, cofondatrice de l’organisation Un-PAC, à l’origine de ce mouvement de revendication par la grève de la faim. Il faut agir rapidement, cette année, pour réparer notre démocratie dysfonctionnelle. L’an prochain, il sera trop tard. »
À moins d’un an des élections de mi-mandat, qui pourraient faire revenir en force les républicains dans l’appareil législatif des États-Unis, les membres de ce parti ne semblent en effet pas très empressés de faire adopter le Freedom to Vote Act. Cette loi pourrait bénéficier principalement au vote des minorités, d’ordinaire plus démocrate, que plusieurs États républicains tentent constamment de diluer ou faire disparaître des listes électorales.
Obstruction républicaine
Depuis le début de l’année, le projet de loi a été bloqué à quatre reprises par l’obstruction des élus républicains au Sénat qui lui préfèrent, dans plusieurs États sous leur domination, les lois votées à la pièce depuis le scrutin présidentiel de 2020. Dix-neuf d’entre eux ont adopté 33 lois qui vont rendre l’accès aux urnes plus compliqué ou faciliter l’annulation de résultats qui ne conviendrait pas au parti au pouvoir localement, résume un rapport du Brennan Institute for Justice, organisme de défense de la démocratie américaine.
Nous avons décidé de mettre notre corps sur la ligne de front, parce que c’est notre avenir qui est en jeu
La semaine dernière, le département de la Justice des États-Unis a décidé d’ailleurs de traîner le Texas devant les tribunaux pour contester le nouveau découpage de la carte électorale adopté dans les dernières semaines par la majorité républicaine de cet État.
Selon la poursuite, le Texas tente, avec cette nouvelle carte, de réduire l’influence du vote des Afro-Américains, des Latino-Américains et des Asiatiques — à l’origine pourtant de la croissance démographique de l’État depuis plusieurs années —, leur refusant ainsi le droit démocratique de se choisir des représentants.
Le mouvement de grève de la faim cible également la sénatrice démocrate de l’Arizona, Krysten Sinema, qui s’oppose au Freedom to Vote Act. Sans se montrer très claire sur ses intentions, l’ex-environnementaliste entrave l’avancement des projets de loi démocrates au Sénat en embrassant depuis le début de l’ère Biden une posture plutôt républicaine.
Lundi, 17 gouverneurs d’État démocrates, dont la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer, ont appelé les sénateurs à adopter rapidement cette loi pour sauver la démocratie américaine, désormais menacée.
« Nos appels aux élus, nos chaînes de courriels, nos manifestations n’ont rien donné, dit Joseline Garcia. Mais l’urgence d’adopter cette loi, elle, reste. » Et le groupe d’étudiants, qui depuis le début du mois mène son combat par la faim sous supervision médicale, affirme vouloir aller très loin pour se faire entendre : « La grève de la faim, jusqu’à ce que la loi soit adoptée, dit-elle. Avant la fin de l’année 2021, on espère. »