Les espoirs déçus du président Joe Biden

Un an après le scrutin présidentiel américain, le démocrate Joe Biden peine à livrer ses grandes promesses et se retrouve désormais face à des vents contraires.
Photo: Win McNamee / Getty Images / Agence France-Presse Un an après le scrutin présidentiel américain, le démocrate Joe Biden peine à livrer ses grandes promesses et se retrouve désormais face à des vents contraires.

Gigi Holmes était au bon endroit, au bon moment, le jour de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre l’an dernier, lorsque Joe Biden, alors candidat démocrate, est venu chercher une ultime source d’inspiration dans la maison de son enfance. C’était à Scranton, au nord de Philadelphie.

Sur un des murs du salon, en présence de quelques intimes et des nouveaux propriétaires des lieux, le politicien a alors écrit au crayon noir : « De cette maison à la Maison-Blanche, avec la grâce de Dieu. » Puis, il a signé.

Gigi Holmes, une voisine immédiate, était là avec son appareil photo. Elle a immortalisé l’instant qui désormais fait partie de l’Histoire.

« Le geste lui a porté chance », raconte la photographe professionnelle, rencontrée dans son studio de cette petite ville de Pennsylvanie la semaine dernière. « Dans les jours qui ont suivi, il était élu président », empêchant ainsi Donald Trump de décrocher un deuxième mandat et promettant à des millions d’Américains le retour d’une politique plus calme, raisonnée, plus inclusive et surtout moins haineuse à Washington.

Une perspective qui, un an plus tard, est désormais envisagée avec un espoir de plus en plus déçu, mais aussi bien des doutes.

 

« C’est encore le merdier ici », laisse tomber en souriant Don Griffin, un retraité du monde de la finance croisé dans le quartier du Chase Center on the Riverfront, le centre de conférence de Wilmington, dans le Delaware, fief de Joe Biden, d’où le président a fait son discours de la victoire il y a un an. « Les attentes étaient élevées, mais le pays reste toujours profondément divisé. Notre politique suit toujours des lignes de fraction idéologique qui ne permettent plus de voir ce qui est bon pour le pays. C’est une honte. Et Joe Biden, désormais président, en paie le prix. »

Ce texte fait partie de notre section Perspectives.

 

Depuis août dernier, la tendance se mesure presque hebdomadairement dans les sondages d’opinion, qui montrent un niveau d’approbation du travail du président par les Américains en chute libre. Entre 50 et 55 % des personnes sondées lui apposent désormais un pouce à l’envers, soit, après presque 10 mois de pouvoir effectif à la Maison-Blanche, un des niveaux d’insatisfaction les plus élevés pour un président à ce stade d’une présidence depuis 1945, soulignait Gallup fin octobre.

Le déclin s’est amorcé en août dernier, alimenté en partie par la reprise de la pandémie, amplifiée, oui, par la gestion fantaisiste de la crise sanitaire par le gouvernement précédent, mais que l’équipe du démocrate n’a pas été en mesure de remettre dans un cadre moins délétère. Malgré ses promesses.

Le nombre de décès s’approche désormais de la barre des 750 000 Américains, dans un pays où 20 % de la population refuse toujours la vaccination. L’opposition est également vive à l’égard des mesures sanitaires visant à réduire la prolifération de la COVID-19, principalement dans les États dirigés par les républicains.

La crise migratoire à la frontière sud du pays tout comme le retrait chaotique des forces armées américaines de l’Afghanistan, sous le retour triomphant des talibans, ont également renforcé les sentiments négatifs à l’endroit du président, qui est remis en question dans son rôle de commandant en chef des armées par 58 % des Américains, selon un récent sondage de la Quinnipiac University. À peine 42 % des personnes interrogées jugent désormais son gouvernement compétent, avec, pour couronner la brutalité du tout, une baisse rapide de ses appuis au sein de l’électorat dit indépendant. C’est lui qui décide des résultats dans les États comme la Géorgie, l’Arizona, le Wisconsin, le Michigan, la Pennsylvanie ou le Nevada, des États qui ont ouvert les portes de la Maison-Blanche à Biden l’an dernier. Désormais, moins de 32 % disent être avec lui.

Mardi soir, le président a d’ailleurs eu un avant-goût des effets de ces vents contraires, qui ont soufflé sur la Virginie où, pour la première fois en 10 ans, les électeurs ont redonné les clefs de l’État à un gouverneur républicain : Glenn Youngkin. Il était soutenu et adoubé par l’ex-président Donald Trump.

Joe Biden a remporté le « Commonwealth » virginien en 2020 avec une avance de 10 points sur le populiste.

Les démocrates ont évité le même affront au New Jersey, où le gouverneur démocrate, Phil Murphy, a réussi son pari d’être réélu, non sans avoir été mis en danger, plus que d’ordinaire dans cet État plutôt bleu, par le républicain Jack Ciattarelli.

Des promesses difficiles à tenir

Les premiers mois de l’ère Biden semblent donc laborieux, et ce, sans surprise d’ailleurs pour le politicologue Daniel Chomsky de l’University of Texas Rio Grande Valley. « Toutes ses promesses dépendaient finalement d’une seule : celle qu’il allait ramener la coopération entre les partis à Washington, dit-il. Or cela tient du fantasme qui ne s’est pas réalisé. »

Les discussions tendues en cours depuis des semaines sur la colline du Capitole, pour faire adopter par les députés et sénateurs américains le programme ambitieux du président visant à améliorer les infrastructures du pays, à combattre les changements climatiques et à poser les bases d’un filet social presque inexistant dans ce pays, donnent la pleine mesure de l’impasse. D’un côté, un bloc d’élus républicains est déterminé à faire barrage à ses projets, sans même vouloir en discuter. Et dans le camp démocrate, deux élus — Joe Manchin de la Virginie-Occidentale et Krysten Sinema de l’Arizona — jouent les trouble-fêtes depuis des semaines, profitant de la minuscule majorité du Parti démocrate portée par le vote de la vice-présidente dans une Chambre haute divisée à 50/50 pour s’arroger du pouvoir. Ils cherchent à imposer une vision plus conservatrice en appelant à réduire la taille du train des mesures planifiées.

« Le processus électoral repose sur la bonne volonté des élus », a résumé Marty, 79 ans, rencontré mercredi matin devant la Maison-Blanche, sur Pennsylvania Avenue, où il vient chaque semaine exprimer, pancarte à la main, son point de vue sur le présent : Hate won’t make America great. La haine ne fera pas la grandeur de l’Amérique. « Or, la coopération est impossible sans communication et surtout avec une idéologie conservatrice qui est défendue désormais avec entêtement et dans la violence. »

Des succès oubliés

 

Le terrain est miné, mais il n’a pas empêché Joe Biden de décrocher quelques victoires, rappelle toutefois David Redlawsk, fin observateur de la psychologie politique américaine à l’University of Delaware. « Neuf mois, c’est court, mais cela a été assez pour lui permettre de faire adopter un projet de loi visant à stimuler la reprise économique du pays », dit-il. Le plan budgétaire, voté en mars, était de 1900 milliards de dollars américains et comprenait un important crédit d’impôt pour les enfants. « Mais, oui, il a encore des défis importants à relever. »

« Un plan de sauvetage adopté en mars, deux plans de 1200 milliards et de 1800 milliards sur les rails pour les infrastructures et pour reconstruire le pays en mieux, moi, j’appelle ça un succès, dit John K. White, spécialiste de la politique américaine à la Catholic University of America, à Washington. C’est plus que ce que Roosevelt et Johnson réunis ont proposé lors de la première année de leur présidence. Mais Biden doit avancer avec une majorité bien différente de celle que Roosevelt et Johnson avaient au Congrès. Ce qui complique effectivement un peu les choses. »

Une complexité qui n’est d’ailleurs pas toujours saisie par les citoyens américains, peu au fait de la mécanique des pouvoirs et de la tectonique des influences à Washington et qui alimente désormais les désillusions. Après les nombreuses promesses qui ont été faites, l’électorat veut concrètement voir plus de réalisations.

« Pour le moment, je constate que ma vie aujourd’hui est moins bonne que celle d’avant, sous l’autre présidence », dit Gigi Holmes en parlant de l’augmentation du prix de l’essence, de la rupture dans les chaînes d’approvisionnement et de l’inflation dont elle dit prendre la mesure chaque jour dans son commerce et dans sa vie quotidienne.

« Biden et les démocrates font face à un risque élevé de voir leurs actions jugées insuffisantes, dit Daniel Chomsky. Le président doit désormais agir avec audace pour éviter que ses programmes deviennent plus petits, moins progressifs et moins engagés dans une protection efficace de l’environnement. D’autant plus que les dépenses sociales dans la législation actuelle sont encore relativement maigres, représentant environ un cinquième des dépenses militaires américaines actuelles sur une base annuelle », ajoute-t-il. Et de conclure : « Ce gouvernement doit apporter rapidement des avantages sociaux réels et significatifs. Sinon, il va en subir les conséquences. »

Ces reportages ont été en partie financés grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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