Le spectre d’un autre 11 Septembre plane toujours sur les États-Unis

Le mémorial des attentats du 11 septembre 2001, à New York
Photo: Angela Weiss Agence France-Presse Le mémorial des attentats du 11 septembre 2001, à New York

Ed Monahan est arrivé avec son fils, un bouquet de roses rouges à la main, en cherchant des noms familiers inscrits sur le mémorial des attentats du 11 septembre 2001. « C’est la première fois que je viens ici depuis 20 ans », a laissé tomber le pompier de New York aujourd’hui à la retraite, tout en mentionnant qu’une trentaine de ses collègues font partie des 343 pompiers de la mégapole emportés par les attentats à l’avion de ligne contre les tours du World Trade Center.

En passant la main sur les plaques commémoratives bordant les gigantesques fontaines d’eau qui remplacent désormais les tours jumelles, au sud de Manhattan, il en a nommé quelques-uns : « Ray Downey… Chief Downey. C’était le patriarche. Responsable des opérations spéciales. Joe Angelini. Le dernier gars à qui j’ai parlé cette journée-là, avant de quitter la caserne après mon service de nuit, quelques minutes avant l’impact du premier avion. Son fils John, pompier aussi, est mort également. Moi, j’ai fait partie des gars chanceux cette journée-là. »

Chanceux, mais troublé et torturé, comme bien des New-Yorkais depuis 20 ans, par cette double tragédie qu’il commence à peine à apprivoiser. « Quand les souvenirs sont mauvais, il est mieux de s’en tenir à l’écart. Les 11 septembre, je restais chez moi pour vivre ça tout seul. Après deux décennies, c’est le temps pour moi de revenir ici. Pour célébrer la vie et souligner la grandeur du travail de mes collègues disparus. »

Le spectre de nouvelles attaques

 

Se souvenir pour honorer la mémoire des autres, dans la crainte toutefois, pour l’homme venu de Long Island mercredi matin marcher sur les traces de son passé, qu’une telle horreur puisse frapper à nouveau le pays.

« Depuis le 11 Septembre, je ne crois plus que l’on puisse vivre en sécurité ici. Les gouvernements ont bien fait les choses jusqu’à maintenant, mais avec l’actuelle administration, j’en suis moins sûr. C’est un peu effrayant même, ce qui s’en vient. Des attentats comme ceux du 11 Septembre peuvent se produire à nouveau, je crois. »

Vingt ans après — et quelques semaines à peine après la chute de Kaboul aux mains des talibans et le retrait humiliant des troupes américaines d’Afghanistan —, le département de la Sécurité intérieure et le Federal Bureau of Investigation (FBI) le pensent eux aussi.

La semaine dernière, ils ont en effet mis en garde les agences chargées de la sécurité nationale et les forces de police du pays qu’un tel anniversaire pourrait en effet être utilisé par des terroristes pour justifier de nouvelles attaques, sans avoir toutefois en main des informations sur l’imminence d’une menace, ni même sur son origine possible.

Une origine qui, deux décennies après le 11 Septembre, pourrait d’ailleurs s’abreuver désormais à l’intérieur même d’un pays de plus en plus divisé — et radicalisé — le long de ses failles politiques.

« Oui, le 11 septembre est le genre de date emblématique pour des groupes terroristes, comme ceux liés à al-Qaïda, qui pourraient tenter une attaque tout aussi horrible contre des adversaires occidentaux ciblés, que ce soit l’Amérique ou d’autres pays », résume en entrevue au Devoir, James Forest, spécialiste du contre-terrorisme et de la sécurité intérieure des États-Unis à l’Université du Massachusetts. « Mais depuis ce même 11 Septembre, les États-Unis ont subi davantage d’attaques terroristes venant de l’intérieur (principalement de groupes extrémistes de droite, racistes et nationalistes) que de l’étranger. Et cela devrait probablement rester le cas dans un avenir prévisible. »

Il y a quelques jours, la police du Capitole a d’ailleurs confirmé cette lecture du présent, en alertant les parlementaires américains d’une possible nouvelle attaque du dôme de la démocratie américaine le 18 septembre prochain par les partisans de Donald Trump. À l’appel d’un ex-organisateur de campagne du milliardaire, des centaines d’Américains se préparent en effet à marcher sur Washington pour appeler à la libération des émeutiers du 6 janvier dernier arrêtés et poursuivis par la justice, qu’ils estiment être des « prisonniers politiques ».

Ce 6 janvier, l’ex-vedette de la téléréalité a appelé ses troupes à entraver la certification du vote confirmant la victoire de Joe Biden par le pouvoir législatif. La manifestation a tourné à la violence, faisant cinq morts et entraînant l’arrestation de 600 personnes, dont plusieurs dizaines sont liées à des groupes radicaux d’extrême droite, de citoyens se disant « souverains » et de suprémacistes blancs.

Extrême droite et armes

 

« Ces dernières années ont vu une augmentation marquée des fusillades de masse, dont plusieurs ont été commises par des individus épousant une idéologie d’extrême droite », dit Wadie Said, professeur de droit à l’Université de la Caroline du Sud. « Il est difficile de dire si cela va conduire, ou pas, à une attaque de masse comme celle du 11 Septembre. Mais la prévalence des armes à feu aux États-Unis fait de cette possibilité d’un drame entraînant de nombreuses victimes une sorte de menace permanente. »

« Depuis le 11 Septembre, bien plus de policiers aux États-Unis ont été tués par des extrémistes de droite que par des djihadistes », ajoute James Forest.

Pour le spécialiste du contre-terrorisme Joshua Sinai, qui enseigne à la Capitol Technology University, au Maryland, de nouvelles émeutes à Washington, même si elles semblent être prises au sérieux par la police du Capitole, restent très improbables dans le nouveau paysage politique américain. « Ce sont des circonstances anormales qui ont permis ces émeutes le 6 janvier, celles d’un président [Donald Trump] qui a délibérément évité que les forces de l’ordre fédérales et locales et les agences de renseignement appréhendent ensemble cette manifestation comme une question de “sécurité nationale”. Les manifestations du 18 septembre ne seront pas aussi bien tolérées », ce qui ne fait pas disparaître la menace terroriste dans les prochains jours ou semaines pour autant, ajoute-t-il.

Depuis le 11 Septembre, bien plus de policiers aux États-Unis ont été tués par des extrémistes de droite que par des djihadistes

 

« La facilité avec laquelle les talibans ont repris le contrôle de l’Afghanistan, tout comme les attentats menés à Kaboul contre les Américains lors de l’évacuation, vient redonner du carburant à des groupes comme al-Qaïda et le groupe État Islamique, dit M. Sinai. Mais si des attaques se produisent, ce ne sera pas sur le territoire américain, en raison des mesures de sécurité mises en place depuis le 11 Septembre. Ce sera probablement en Asie ou en Europe, où il est plus facile pour ces groupes de mener à bien des attaques d’envergure. »

Mercredi matin, Tracy Porter, Virginienne dans la jeune trentaine, de passage à New York pour quelques jours de tourisme, était elle aussi là pour la première fois au mémorial des victimes du 11 Septembre. « C’est très joli et très apaisant ce qu’ils ont fait », a-t-elle dit tout en philosophant sur la répétition possible d’un tel drame. « Ce jour-là, c’est l’impossible qui s’est réalisé. Et à partir de là, on ne peut plus savoir à quoi la haine peut désormais nous exposer. »

Ce reportage a été en partie financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

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