Une commission d’enquête pour pallier l’échec d’une destitution?

Après l’acquittement, une commission d’enquête sur l’insurrection du Capitole ? Au lendemain du procès en destitution de Donald Trump, plusieurs élus, autant démocrates que républicains, appellent désormais à la création d’une commission indépendante afin de faire la lumière sur l’attaque du dôme de la démocratie par les partisans de l’ex-président, le 6 janvier dernier.
Le projet s’inspire fortement de la commission sur les attentats du 11 septembre 2001 et vise à disséquer la mécanique de l’émeute pour aider le pays à s’en remettre, tout en s’assurant que de tels événements ne se reproduisent pas à l’avenir, selon les élus qui ont été, pour la plupart, témoins et victimes de cette insurrection.
« Le procès en destitution qui vient de se terminer a laissé un grand nombre de questions sans réponse », estime W. Joseph Campbell, professeur de communication et spécialiste de la politique américaine à l’American University, joint lundi à Washington. « Une commission bipartite contribuerait effectivement à éclairer ces zones d’ombre », selon lui.
« C’est un événement trop important pour tourner la page dessus, dit en entrevue Ann Murphy, qui enseigne le droit à la Gonzaga University de Spokane, dans l’État de Washington. Dans l’histoire du pays, cette insurrection se classe au même niveau que l’assassinat de John F. Kennedy et les attentats du 11 Septembre. Il faut étudier cette attaque directe contre le résultat d’une élection pour éviter une autre tragédie du même genre. »
Samedi, la Chambre haute n’a pas reconnu la culpabilité de Donald Trump, accusé d’avoir incité ses troupes à l’insurrection, et ce, malgré un vote majoritaire de 57 pour sa destitution, contre 43. L’appui des deux tiers du Sénat était nécessaire pour obtenir une condamnation.
« Une enquête complète est nécessaire sur ce qui s’est passé », a déclaré dimanche le sénateur républicain de la Louisiane, Bill Cassidy, un des sept à avoir rompu les rangs et voté pour la destitution de Donald Trump. Selon lui, une commission permettrait de révéler « ce qui était connu, qui le savait, quand ils le savaient », et ce, pour empêcher une nouvelle insurrection, a-t-il plaidé sur les ondes d’ABC.
Le sénateur démocrate du Delaware, Chris Coons, a également appuyé l’idée d’une telle commission pour comprendre les failles et renforcer la sécurité du Capitole pour l’avenir. L’instance serait également chargée de « dévoiler à quel point Trump a violé son serment constitutionnel » en appelant ses fidèles à entraver le vote certifiant la victoire de Joe Biden le 6 janvier dernier, a-t-il dit en entrevue sur le même réseau.
11 septembre 2001
Comme pour les attentats du 11 septembre 2001, un projet de loi devra être adopté par le Congrès pour mettre en place cette commission indépendante. Exercice complexe et potentiellement source de tension, les élus des deux camps devront s’entendre sur les personnes invitées à y siéger.
« Les démocrates cherchent à revenir à la charge contre Trump et le trumpisme par l’entremise de cette commission, mais est-ce que cela va fonctionner ? » se demande Brian Frye, professeur de droit à l’University of Kentucky. « Ils n’ont pas réussi à obtenir une condamnation lors du procès en destitution. Je ne vois pas ce qu’une commission d’enquête pourrait permettre d’accomplir de plus », a-t-il ajouté en entrevue.
Pour l’historien Philip Zelikow, ex-directeur général de la commission sur les attentats du 11 Septembre, une instance similaire sur l’insurrection du Capitole est certainement vouée à l’échec en raison de la difficulté « d’enquêter et de parler avec les personnes ayant pris part à l’attaque et qui font face désormais à des enquêtes et à des poursuites judiciaires », a-t-il dit lundi au Devoir. « De même, il va être difficile de parler avec l’ex-président et son entourage, qui font l’objet d’une enquête pour leur tentative de renverser les résultats du vote et pour leur implication dans les émeutes du 6 janvier. »
La Géorgie a en effet ouvert une enquête judiciaire la semaine dernière contre Donald Trump après les révélations sur les pressions exercées par l’ex-occupant de la Maison-Blanche sur les autorités électorales et le gouverneur de l’État pour s’approprier la victoire de Joe Biden à cet endroit. Cette invitation à la fraude électorale lancée par le milliardaire n’a pas été accueillie favorablement par la Géorgie.
Dimanche, le New York Times a révélé que six membres du service de protection de Roger Stone, un proche de Donald Trump, présent à Washington les 5 et 6 janvier derniers, ont pris part à l’insurrection et à l’attaque contre le Capitole. Tous sont membres des Oath Keepers, une milice d’extrême droite radicalisée et ouvertement antigouvernementale. Trois d’entre eux devront répondre à des accusations de complot dans l’attaque du Capitole, selon le département de la Justice.
L’étau se resserre également autour des Proud Boys, un groupe de suprémacistes blancs mobilisé publiquement par Donald Trump durant la campagne électorale. Ironiquement, deux membres de cette milice, arrêtés après l’insurrection, ont plaidé non coupables devant les tribunaux, et ce, malgré plusieurs vidéos incriminantes les montrant à l’intérieur du bâtiment et déterminés à y faire des dégâts.
Chercher la vérité
L’idée d’une commission d’enquête sur l’insurrection continue de faire son chemin, alors que 60 % des Américains estiment que l’ex-président aurait dû être condamné par le Sénat lors de son procès en destitution, indique un sondage ABC News/Ipsos mené dans les heures qui ont suivi l’acquittement et dévoilé lundi.
Lundi, la présidente de la Chambre, la démocrate Nancy Pelosi, a annoncé son intention d’œuvrer à la mise en place de cette commission, dans une lettre adressée aux élus démocrates. Elle y rappelle l’importance « d’aller chercher la vérité sur ce qui s’est passé ».
La création de cette commission est appuyée également par le sénateur républicain de la Caroline du Sud, Lindsey Graham, un fervent défenseur de Donald Trump qui souhaite que « l’empreinte des événements du Capitole » soit bien comprise pour éviter qu’une telle attaque ne se reproduise. Après avoir défendu Donald Trump samedi en votant contre sa destitution, il a admis dimanche que le « comportement » de l’ex-président au lendemain des élections avait « dépassé les bornes ».
« Permettez-moi d’être sceptique sur cette commission, dit Brian Frye, joint à Lexington, au Kentucky. Très peu vont y prêter attention, à part la petite faction de citoyens obsédés par la politique. » Et d’ajouter : « La commission sur le 11 Septembre n’a pas donné grand-chose, si ce n’est un rapport ennuyeux que personne n’a lu. »