La fin d’une présidence aux antipodes de la prochaine

L’un d’eux a passé la journée terré chez lui, tandis que l’autre l’a passée dans la sphère publique pour remercier ses commettants et commémorer les victimes de la pandémie. Le dernier jour de la présidence de Donald Trump n’aurait pas pu être plus différent que la veille de l’ascension au pouvoir de Joe Biden. Un emploi du temps qui résume les priorités divergentes des deux hommes.
Le président sortant est demeuré enfermé à la Maison-Blanche mardi, comme il l’a été presque tous les jours depuis des semaines. À son agenda public figuraient encore une fois, vaguement, « de nombreux appels et de nombreuses rencontres ».
Joe Biden, quant à lui, a entamé la journée en quittant sa ville de Wilmington, au Delaware, pour prendre la route vers Washington en vue de la cérémonie de mercredi.
Visiblement ému, le président désigné peinait à retenir ses larmes en exprimant sa gratitude à l’endroit de la communauté qui l’a élu sénateur de 1973 à 2009. « C’est émouvant », a-t-il confié, la voix étreinte. « Vous m’avez soutenu tout au long de ma carrière, dans les bons moments comme dans les moins bons. Je veux vous remercier pour tout », a-t-il lancé à une petite foule venue le saluer au quartier général de la Garde nationale portant le nom de son fils Beau, décédé d’un cancer du cerveau en 2015. « Je n’ai qu’un seul regret », a laissé tomber le président désigné. « Qu’il ne soit pas parmi nous. Car c’est lui que l’on devrait être en train de présenter comme le prochain président. »
Les réseaux télévisés du pays semblaient avoir déjà tourné la page mardi. Alors que le président Trump partageait un message d’adieu préenregistré vers 16 h, c’est plutôt l’arrivée de Joe Biden en avion à Washington qui était sur toutes les chaînes.
En début de soirée, le 46e président des États-Unis a pris la parole une seconde fois devant le Mémorial Lincoln dans le cadre d’une cérémonie en l’honneur des plus de 400 000 Américains morts de la COVID-19. Les États-Unis ont franchi ce triste cap mardi. À ce jour, plus de 24 millions d’Américains ont attrapé le coronavirus.
Le parterre de l’esplanade nationale (le National Mall) a été recouvert de 191 500 drapeaux américains, afin de représenter les citoyens qui n’auront pas pu assister à l’assermentation du président en raison de la pandémie.
Au coucher du soleil, 400 lumières ont été allumées le long du miroir d’eau devant le mémorial, afin de symboliser les 400 000 victimes américaines de la COVID-19. De New York à Detroit, ainsi que dans d’autres villes, d’importants édifices ont aussi été illuminés.
Joe Biden a fait campagne en promettant de s’attaquer dès le premier jour à la pandémie. Et son équipe compte tenir parole. Le président désigné a l’intention d’adopter dès cette semaine une série de décrets pour venir en aide aux familles, aux étudiants et aux travailleurs durement touchés par la crise financière, pour accélérer la vaccination de la population et lancer un « défi 100 jours masqué » afin d’encourager le port du masque au pays.
Le président désigné a appelé les Américains à ne pas oublier les nombreux disparus. « Il est parfois difficile de se souvenir, mais c’est ainsi que l’on se remet. Il est important de le faire, en tant que nation », a-t-il fait valoir au terme d’une courte et sobre cérémonie.
Rassemblements pour Trump
Le président sortant, en revanche, refuse de se priver de grands rassemblements en son honneur malgré la pandémie.
Donald Trump a réclamé une cérémonie militaire en grande pompe mercredi matin, pour souligner son départ de Washington vers sa résidence de Floride. Un grand nombre d’invités y ont été conviés, le président ayant réclamé une foule importante pour ce dernier rassemblement de sa présidence.
Le président sortant compte quitter Washington en matinée mercredi, notamment pour éviter de devoir réclamer à son successeur d’utiliser l’avion présidentiel. Donald Trump n’assistera pas à l’intronisation de Joe Biden — une première en 150 ans. Son vice-président Mike Pence y sera cependant, ce qui l’empêchera d’être de la cérémonie de départ de Donald Trump.
Ce dernier a été de plus en plus ostracisé, aux derniers jours de sa présidence. Le leader républicain au Sénat, Mitch McConnell, a même semblé couper les ponts pour de bon, mardi, en l’accusant d’avoir incité à l’insurrection au Capitole il y a deux semaines. « La foule a été abreuvée de mensonges. Elle a été entraînée par le président et d’autres personnes influentes », a accusé le sénateur McConnell, qui n’aurait pas exclu selon les médias américains d’appuyer au Sénat la procédure de destitution contre le président (voir autre texte en page B 5).
Donald Trump n’a pris la parole publiquement qu’une seule fois depuis l’émeute du 6 janvier. Ses autres discours ont tous été préenregistrés en privé.
La stratégie a été la même pour son message d’adieu à la nation. M. Trump n’a pas prononcé de discours en direct, à heure de grande écoute, comme l’ont fait ses prédécesseurs. La Maison-Blanche a plutôt publié une vidéo d’une vingtaine de minutes sur sa chaîne YouTube en après-midi. Le président sortant y a souligné son travail des quatre dernières années : renégociation d’accords commerciaux, création d’emploi, retrait de l’Accord de Paris sur le climat, nominations à la Cour suprême, resserrement de la frontière avec le Mexique, reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, rapatriement de soldats déployés en Irak et en Afghanistan.
Donald Trump a souhaité bonne chance au prochain gouvernement — sans nommer Joe Biden — et dit « prier pour sa réussite ». Il a appelé les Américains à s’unir et à « s’élever au-dessus de la rancœur partisane ». Mais il a aussi une fois de plus promis aux « patriotes » que son mouvement politique « n’en est qu’à ses débuts ».
Le président sortant compte par ailleurs profiter des dernières heures de sa présidence pour octroyer une centaine de pardons, dont plusieurs à ses alliés et à ses amis. Donald Trump aurait cependant renoncé à l’idée de s’offrir un pardon à lui-même, de même qu’à ses enfants ou à son avocat personnel Rudolph Giuliani.
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat — Le Devoir.