L'ex-maire de La Nouvelle-Orléans et les statues de confédérés

Le socle du monument dédié à la mémoire de Jefferson Davis, à La Nouvelle-Orléans. La statue a été retirée en mai 2017, à la demande du maire de l’époque Mitch Landrieu, au même moment que plusieurs autres statues controversées de la ville. D’autres sculptures y sont depuis apparues, comme ce croissant de lune.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le socle du monument dédié à la mémoire de Jefferson Davis, à La Nouvelle-Orléans. La statue a été retirée en mai 2017, à la demande du maire de l’époque Mitch Landrieu, au même moment que plusieurs autres statues controversées de la ville. D’autres sculptures y sont depuis apparues, comme ce croissant de lune.

Le « Grand Sud » américain, celui des voyelles traînantes, de l’hospitalité, de la bonne bouffe et de la foi. Mais aussi un Sud amer, une ceinture afro-américaine d’inégalités marquée par l’histoire et le racisme, où les relations tendues entre communautés mobilisent la base électorale de Donald Trump. Le Devoir est sur la route pour comprendre ces divisions et apporter un éclairage sur les changements en cours. Aujourd’hui, une entrevue avec Mitch Landrieu, ex-maire de La Nouvelle-Orléans qui cherche à se présenter comme un leader unificateur de la région.

Le cœur historique de la ville a rarement été aussi tranquille, avec ses restaurants placardés ou fermés pour de bon, ses cafés plutôt vides et ce jeune homme endormi devant le French Market dans une odeur âcre. Contrairement au reste de la Louisiane, les restrictions les plus sévères n’ont pas encore été levées ici et les bars demeurent fermés. Brusquement dépouillée de ses enjolivures, de ses touristes et de sa joie, La Nouvelle-Orléans est grise comme un lendemain de veille.

Si vous vous étiez promené en 2015 dans ces mêmes rues, vous auriez pu apercevoir le maire d’alors, Mitch Landrieu, en train de photographier des grues sur les chantiers de construction. Pas qu’il ait une passion particulière pour ce type de machinerie ; il cherchait désespérément une compagnie qui accepterait de retirer quatre monuments confédérés des lieux centraux où ils trônaient jusqu’alors.

Malgré le boom immobilier, aucune compagnie ne s’était portée volontaire pour exécuter le contrat, l’une des promesses du maire Landrieu au lendemain de la tuerie raciste dans une église de la communauté noire de Charleston. Un entrepreneur en construction accepte enfin, mais il se rétracte peu de temps après avoir retrouvé sa Lamborghini incendiée dans un stationnement derrière son entreprise.

« Ce genre de haine » était déjà familière à Mitch Landrieu, puisque son père en avait lui-même fait l’objet durant ses années comme maire de La Nouvelle-Orléans. Mais cette fois, « le moment était venu de confronter cet héritage », raconte-t-il en entrevue au Devoir.

Après plusieurs batailles juridiques, le 18 mai 2017, la statue de Robert E. Lee est retirée à la faveur de la nuit, sur conseil du personnel de sécurité : « Il est plus rare de se faire tirer dessus par un tireur embusqué, à cause de l’obscurité », explique l’ancien maire.

La ville qu’il a dirigée pendant huit ans est peut-être perpétuellement en crise ou en fête, en renaissance ou en dépression, mais elle a en tout cas souvent été à l’avant-garde des avancées sociales. C’est La Nouvelle-Orléans qui regroupait la plus grande concentration d’Afro-Américains libres avant l’abolition de l’esclavage, et c’est ici aussi que des poursuites contre la ségrégation ont été lancées à la fin du XIXe siècle.

L’endroit est ainsi devenu un modèle à suivre, et l’est encore aujourd’hui, alors que plusieurs villes de la région sont gouvernées par des Afro-Américains qui viennent de renouveler cette promesse d’assainir le paysage.

C’est le contexte de reconstruction après l’ouragan Katrina qui avaitcommandé une « grande plongée d’introspection sur ce que nous sommes, ce que nous voulons être et ce que nous voulons reconstruire », affirme l’ex-maire, qui a eu 60 ans le mois passé.

Fallait-il une destruction de l’ampleur de Katrina pour passer à l’action ? Il marque une pause. « Quand des événements majeurs choquent notre conscience, au moins, ils nous mettent en action », dit-il, citant en exemple l’assassinat de George Floyd, le 25 mai dernier.

Le fossé

 

Pas question de s’arrêter seulement aux signes visibles « du mauvais côté de l’histoire », souligne le politicien. En 2018, après deux mandats à la mairie, il fonde l’organisation E Pluribus Unum, dont la mission ouvertement énoncée est « d’unir le Sud ». « J’ai un amour profond pour le Sud. Je suis né, j’ai été élevé et je vis toujours dans le Deep South », dit Mitch Landrieu, dans la bouche de qui les mots « Sud profond » ne résonnent plus tout à fait comme un reproche, mais plutôt comme un compliment.

Après une grande tournée de 28 villes dans 13 États, une conclusion s’estimposée à lui : malgré un fort sentiment d’appartenance démontré par la plupart de ses interlocuteurs, force est de constater que la vie dans la région demeure « profondément ségréguée ».

Que ce soit dans des quartiers séparés physiquement, dans des lieux de travail différenciés ou même dans les écoles, les 1800 résidents rencontréspar l’organisation décrivent presque tous une division raciale brodée dans leur vie quotidienne. Sans parler de l’écart de revenus, alors qu’un homme noir gagne 22 % de moins qu’un Blanc de la même région avec un niveau d’éducation et d’expérience égal, et une femme noire, 34 %, selon l’Economic Policy Institute, une organisation non partisane de recherche.

L’Amérique « post-raciale » n’est pour l’instant qu’une chimère, tombée dans l’abîme qui sépare les perspectives des Blancs et des Noirs. Un fossé de la taille d’un « golfe » existe entre les Blancs qui décrivent le racisme comme un acte individuel négatif et les Afro-Américains, qui insistent sur le fait que le racisme est institutionnel. Cette conclusion devait-elle venir d’un homme blanc pour être entendue ?

La question ne semble pas ébranler Mitch Landrieu, qui invite ses compatriotes à investir ces espaces inconfortables pour mieux se comprendre les uns les autres. « Je ne peux pas me rappeler un seul moment où les questions raciales n’ont pas été une partie de ma vie ou de celle de ma famille. C’est comme une chanson que vous n’arrivez pas à vous sortir de la tête. »

Son organisme a entamé une série de conversations sur la vérité et la réconciliation, dans un vocabulaire qui rappelle les commissions mises sur pied après de lourds conflits armés dans certains pays. Le racisme étant « cuit » à même la tarte des institutions, comme le veut l’expression en anglais, ou dans leur conception même, selon une traduction plus libre, les réformes à entreprendre sont vastes. Que ce soit en matière de justice criminelle, d’éducation publique, de droit de vote des populations marginalisées et même d’enseignement de l’histoire, de meilleures façons de faire doivent bien exister.

Mais cette fois, cette vaste entreprise commande une ampleur qui dépasse La Nouvelle-Orléans. Mitch Landrieu pourrait-il devenir le premier président américain à venir de la Louisiane ? Il s’esclaffe et ne répond pas à la question.

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Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.