Après les incendies en Californie: rebâtir ou partir?

C’est dans les régions vinicoles de Sonoma et de Napa, mais aussi du comté de Solano (sur la photo), qu’a sévi le quatrième incendie en importance de l’histoire de la Californie et qu’on a essuyé les plus lourdes pertes humaines et matérielles.
Photo: Éric Desrosiers Le Devoir C’est dans les régions vinicoles de Sonoma et de Napa, mais aussi du comté de Solano (sur la photo), qu’a sévi le quatrième incendie en importance de l’histoire de la Californie et qu’on a essuyé les plus lourdes pertes humaines et matérielles.

Même après ce qui est arrivé, on voit que le site était magnifique. Ouvrant sur une route étroite qui serpente entre des collines où du noir s’est posé un peu partout sur le paysage d’herbes dorées et d’arbres d’un vert profond, les grandes grilles de fer forgé arborent encore une immense couronne de fleurs séchées. Calé au pied d’une colline où passe un ruisseau, le terrain sur deux niveaux est entouré d’arbres où chantent encore des oiseaux. La maison en surplomb et son garage en contrebas ne devaient pas être si grands, mais probablement assez coquets à en juger par les sentiers aménagés et les nombreux pots de fleurs en céramique. C’est difficile à dire parce qu’il n’en reste plus que des cendres, des morceaux de métal tordus et les carcasses de deux voitures incinérées.

Un peu plus loin, le propriétaire d’un immense verger semble avoir vu le feu s’arrêter de l’autre côté de la route et s’en est tiré avec seulement quelques arbres brûlés. Le barbu baraqué n’est pas très causant, peut-être lassé du voyeurisme des journalistes. « On a été chanceux. C’est tout », grommelle-t-il depuis sa camionnette.

La côte ouest américaine est ravagée depuis des semaines par des feux de forêt d’une ampleur sans précédent. Autour de San Francisco seulement, trois « complexes » d’incendie, comptant chacun plusieurs dizaines de foyers, ont détruit près de 840 000 acres, rasé plus de 2800 maisons et bâtiments et causé le décès d’au moins six personnes. C’est au sud de la ville, dans les montagnes de Santa Cruz, qu’a frappé le troisième feu de forêt en importance de l’histoire de la Californie, mais c’est à environ une heure au nord, dans les régions vinicoles de Sonoma et de Napa, mais aussi du comté de Solano, qu’a sévi le quatrième incendie en importance historique et qu’on a essuyé les plus lourdes pertes humaines (cinq morts et cinq blessés) et matérielles (1500 bâtiments détruits).

Retrouvailles

 

Heureusement, ces feux sont désormais presque tous éteints et les populations sont autorisées à revenir dans les zones sinistrées. Dans les collines du comté de Solano, les pompiers ont été remplacés par des ouvriers qui ont commencé à réparer la route et les lignes électriques.

À quelques minutes de là, le bout de trottoir qui sert de terrasse à l’Heritage House Cafe, dans le quartier historique de Vacaville, a rapidement donné lieu, jeudi matin, à toutes sortes de retrouvailles. Un mois à se protéger comme on peut du feu et de la fumée, c’est long.

« Je dirais qu’environ la moitié des gens vont reconstruire leurs maisons au même endroit et que les autres vendront ce qu’il en reste et en profiteront pour aller s’installer ailleurs », estime Ralph, un habitué du café et un résident de la région depuis soixante ans. « On y est tellement bien… lorsqu’il n’y a pas les feux. »

Le petit bureau d’un courtier d’assurances se trouve juste la porte d’à côté. Son propriétaire nous accueille entre deux clients qui viennent faire le point sur leur situation. « Je dirais que ceux qui font affaire avec nous seront bien traités. Malheureusement, les gens ne jugent pas toujours nécessaire de prendre leurs précautions, même de nos jours. Ils voient, depuis quelques années, des maisons brûlées dans la région et pensent que ça ne peut pas leur arriver parce qu’ils vivent ici depuis longtemps et qu’ils n’ont jamais eu de problème. »

La question des assurances

 

Cette question des assurances est devenue un sujet de débat important en Californie. Devant l’augmentation de la fréquence et de la violence des catastrophes naturelles, de plus en plus de compagnies d’assurances aux États-Unis ont augmenté considérablement leurs primes ou refusent carrément d’assurer les maisons situées dans des zones à risque. Y voyant un obstacle majeur à la reconstruction des communautés touchées, de plus en plus de gouvernements locaux cherchent à forcer la main aux compagnies en les menaçant d’exclusion de leur marché. D’autres ont même commencé à offrir eux-mêmes une forme d’assurance publique aux propriétaires qui ne parviendraient pas à trouver la protection nécessaire auprès de compagnies privées.

Mercredi, le gouvernement de la Californie a annoncé son intention d’établir des normes de sécurité en matière de construction et d’aménagement qui, si elles sont respectées par les propriétaires, devraient leur valoir le droit de se faire assurer à moindre coût. La mesure s’accompagnerait d’une menace de sanction contre les compagnies privées qui ne comprendraient pas leur intérêt d’y collaborer. L’idée est reçue avec beaucoup de méfiance et de scepticisme de la part de ces dernières, mais aussi des experts, a rapporté le New York Times cette semaine.

Rebâtir ou partir

 

Kim Cohee a choisi de ne pas rebâtir. En octobre 2017, cette professionnelle du secteur pharmaceutique habitait la ville de Santa Rosa lorsqu’un autre feu de forêt ravageait le comté de Sonoma. Au moment de se mettre au lit, le danger lui apparaît très loin, mais elle est réveillée en sursaut à 2 heures du matin par l’appel d’un robot téléphonique qui lui ordonne d’évacuer les lieux immédiatement. « Le spectacle à ma fenêtre était surréel, infernal. » Elle n’a que le temps de se passer quelque chose sur le dos, d’attraper sous le bras son ordinateur et ses deux chats, Scooby et Dooby, et de sauter dans sa voiture. Heureusement, son fils de 11 ans dort, cette nuit-là, chez son père.

Sa maison sera complètement rasée par les flammes, comme 5000 autres maisons dans la ville. Vingt-deux personnes allaient aussi y perdre la vie.

 

« Avant cela, je n’avais jamais eu peur des feux de forêt. Dans la Californie où j’ai grandi, les feux de forêt se produisaient dans la campagne et brûlaient parfois des chalets, mais pas les maisons des gens. C’est du tremblement de terre qu’on avait peur, pas des feux. Mais tout est en train de changer depuis quelques années. »

Si elle n’a pas rebâti la maison qu’elle a perdue cette nuit d’octobre là, Kim Cohee en a néanmoins racheté une dans un autre quartier de Santa Rosa avec son nouveau conjoint. Celle-là vient avec tous les matériaux de protection nécessaires, la génératrice électrique et même un plan d’eau pouvant à la fois servir de barrière et de moyen de lutter contre les flammes. Mais rien n’y fait. À chaque saison des feux de forêt, Kim revit son traumatisme.

Aussi ne rêve-t-elle que de pouvoir plier bagage et d’aller vivre dans un endroit à l’abri de cette menace. Mais comme elle veut rester à proximité de son ado dont elle a la garde partagée et qu’il y a aussi sa mère âgée dont elle doit s’occuper, elle attendra encore un peu.

« Ce n’est pas vrai que notre qualité de vie en Californie compense cette saison des feux. Lorsqu’on tient compte de ce qu’elle nous inflige pendant maintenant des mois en danger d’incendie, en air irrespirable, en panne d’électricité, en journées de travail perdues… ça ne vaut pas la peine. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.

 

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