San Francisco respire un peu mieux

Un pompier observe les flammes lécher les flancs des collines près du parc Monrovia, non loin de Los Angeles. Si à San Francisco les habitants ont pu profiter de la journée d’hier pour ouvrir les fenêtres et aérer leurs maisons, cela ne signifie pas pour autant que la situation est maîtrisée partout: les incendies continuent de faire rage.
Photo: Ringo Chiu Agence France-Presse Un pompier observe les flammes lécher les flancs des collines près du parc Monrovia, non loin de Los Angeles. Si à San Francisco les habitants ont pu profiter de la journée d’hier pour ouvrir les fenêtres et aérer leurs maisons, cela ne signifie pas pour autant que la situation est maîtrisée partout: les incendies continuent de faire rage.

Un ciel bleu. Un chaud soleil d’été. Les habitants de la baie de San Francisco ont eu droit à une précieuse journée de répit mercredi après des jours dans un monde aux allures d’apocalypse qui risque fort cependant de revenir bientôt les hanter.

Le fond de la gorge chatouille quand même un peu, et c’est à peine si une petite odeur de brûlé flotte encore dans l’air. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Les feux de forêt qui dévastent la côte ouest américaine depuis le mois dernier ne sont pas tous éteints. Ceux qui brûlent actuellement se trouvent seulement un peu plus loin et les vents se sont mis à pousser la fumée ailleurs.

Sur les nombreuses plateformes numériques indiquant la qualité de l’air et que les habitants de la région consultent désormais plusieurs fois par jour comme ailleurs on consulte les sites de prévisions météorologiques, la baie de San Francisco apparaît soudainement dans une bulle verte en dehors de laquelle l’échelle de dangerosité de l’air passe rapidement du jaune à l’orangé, puis au mauve, et même au rouge cramoisi.

Dans le petit marché en plein air de Famous Market aménagé juste à côté de l’hôtel de ville de San Francisco et de son imposant dôme, des clients retrouvaient le plaisir simple de regarder sans se presser les étals où débordaient toutes sortes de produits frais offerts par des producteurs de la région. « Quelle magnifique journée, n’est-ce pas ? », s’est exclamé un vendeur de fruits à l’étranger qui venait de lui acheter trois pêches grosses comme des pamplemousses.

« Je crois n’avoir jamais été aussi heureuse de pouvoir sortir de chez moi », a dit ce matin-là Marie-Joëlle Parent qui en profitait de son côté pour offrir une balade en poussette à son nouveau-né de trois mois, Henri, après près de trois semaines enfermés dans leur appartement de San Francisco. J’ai arrêté les purificateurs d’air. J’ai ouvert toutes grandes les fenêtres pour aérer la maison. Dans le quartier, tout le monde semble être sorti pour promener le chien, faire jouer les enfants… »

Ancienne journaliste longtemps basée à New York, la Québécoise a répondu à l’appel de la côte ouest il y a environ trois ans. Gestionnaire responsable du contenu pour le réseau social Pinterest, elle a aussi lancé une collection de guides de voyage dont l’un de ses plus populaires s’intitule justement 300 raisons d’aimer San Francisco.

Je crois n’avoir jamais été aussi heureuse de pouvoir sortir de chez moi

Durement frappée par la pandémie de coronavirus, la Californie a pris sa bataille contre la COVID-19 très au sérieux, mettant rapidement en place des règles de confinement et de distanciation sociale et résistant beaucoup mieux que plusieurs autres États américains à la tentation de les assouplir à la première occasion.

À San Francisco, non seulement il est obligatoire, comme au Québec, de porter un masque de protection à l’intérieur des commerces et autres bâtiments publics, mais il est aussi largement porté à l’extérieur par les travailleurs et les simples promeneurs qui déambulent sur les trottoirs. Si des joueurs s’activaient sur les terrains de tennis du très populaire Dolores Park au centre-ville, ses modules de jeux pour les enfants étaient toujours fermés et ses pelouses toujours marquées de larges cercles blancs visant à forcer la distanciation physique de ceux qui voudraient s’y prélasser.

Triste record

 

C’est dans ce contexte qu’un été particulièrement chaud et des vents secs ont déclenché le long de la côte américaine du Pacifique une saison des feux de forêt plus hâtive et, à plusieurs endroits, plus violente qu’elle ne l’avait été même lors de périodes records comme les dernières années. On rapporte au moins 27 morts et des douzaines de disparus. On ne compte plus les personnes déplacées, ni les résidences détruites par des incendies qui ont l’habitude de sévir jusqu’en novembre. En Californie seulement, au moins 1,2 million d’hectares sont déjà partis en fumée.

Tout cela n’a pas manqué de charger l’air de fumée dont les vents n’ont pas tardé à répandre l’odeur et les particules fines parfois jusqu’au Québec et même plus loin. Mais dans la baie de San Francisco, cela a pris des proportions autrement plus spectaculaires avec des jours, notamment la semaine dernière, où l’air a été jugé dangereux même pour les gens bien portants et où même l’atmosphère a pris la couleur du célèbre Golden Gate.

« Le jour ne s’est tout simplement pas levé cette fois-là, témoigne Marie-Joëlle Parent. C’était apocalyptique. La pandémie devient rapidement alors un problème secondaire. Tu es rendu à juste vouloir avoir de l’air pur à respirer. Il ne manquerait plus que le tremblement de terre arrive ! »

L’apocalypse

« C’était apocalyptique », confirme Jeremy, un habitant de San Francisco depuis plus de vingt ans qui en a vu d’autres. Le quinquagénaire occupé à faire le ménage de son bout de terrain sur la magnifique rue bordée de maisons victoriennes et de palmiers qui mène au Dolores Park n’a pas envie de discuter davantage. Le sans-abri occupe l’une des tentes plantées sur le terre-plein au milieu de la rue et que les cendres des dernières semaines ont rendues crasseuses. Les nuits peuvent être longues quand la seule protection dont on dispose contre la fumée est de la toile, confirme-t-il. « Mais c’est pire le matin. On peut avoir du mal à respirer. »

Jeremy n’a toutefois pas envie de parler de cela. « On a une belle journée aujourd’hui. Il faut en profiter. Les feux ne sont pas finis. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.


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