Climat de violence dans la campagne présidentielle

Des policiers retiennent un manifestant qui était aux côtés de celui qui a été atteint par balle samedi à Portland.
Photo: Nathan Howard Getty Images via Agence France-Presse Des policiers retiennent un manifestant qui était aux côtés de celui qui a été atteint par balle samedi à Portland.

L’étincelle fera-t-elle éclater la poudrière ? Samedi soir, une personne a trouvé la mort à l’issue d’une série d’escarmouches entre des manifestants pro-Trump et des contre-manifestants à Portland, en Oregon. Dimanche, les circonstances entourant le décès étaient toujours nébuleuses.

« Qui que vous soyez et quelles que soient vos convictions politiques, nous devons tous arrêter la violence, a imploré dimanche après-midi le maire de la ville, Ted Wheeler. À ceux qui disent sur Twitter que vous viendrez à Portland pour chercher vengeance, je vous demande de rester loin d’ici. » À ses côtés, le chef de police n’avait aucune information fraîche à donner sur l’identité de la victime ni sur de potentiels suspects.

Samedi, des centaines de véhicules décorés de drapeaux américains ont traversé un pont menant au cœur de la cité, où des manifestations nocturnes ont lieu chaque soir depuis le mois de mai, moment où le quadragénaire George Floyd est mort sous le genou d’un policier. Des manifestants qu’on associe au mouvement antiraciste ont tenté de leur bloquer la voie. « Hier [samedi] était l’une des journées les plus chaotiques que j’aie vues », raconte Cory Elia, le rédacteur en chef du média local Village Portland, en entrevue téléphonique au Devoir. Des partisans de Donald Trump ont tiré des projectiles de paintball, dit-il, d’autres ont chargé leur canon avec des balles de caoutchouc.

Sur les vidéos, on voit des camions partir en trombe alors que des militants à pied s’interposent.

Les coups de feu mortels ont été tirés en soirée alors qu’une bonne partie du convoi avait quitté le centre-ville. Selon des photographies, l’homme décédé portait une casquette Patriot Prayer, un groupe local d’extrême droite. Le dirigeant de ce groupe, Joey Gibson, a confirmé aux médias que la victime était un « bon ami » de l’organisation.

Shirley Jackson, une sociologue de la Portland State University, estime que le mouvement antiraciste de Portland, non violent à l’origine, est dorénavant perverti. « Les manifestations ne sont plus nécessairement liées à Black Lives Matter, explique-t-elle. Et c’est le cas depuis un bout de temps, maintenant. Et en tant que quelqu’un qui s’intéresse aux mouvements sociaux, je dois dire que je m’y attendais. »

« Malheureusement, les membres de la communauté noire sont inquiets de leur sécurité parce qu’ils ne savent pas si des individus impliqués dans des manifestations pro-Trump pourraient chercher des gens sur lesquels se défouler en raison de ce qui s’est déroulé samedi », ajoute Mme Jackson. Le décès de samedi concluait une semaine sanglante aux États-Unis. Le 23 août, la police a tiré à plusieurs reprises à bout portant sur Jacob Blake, un homme noir, lors d’une interpellation à Kenosha, au Wisconsin. La partie inférieure de son corps est dorénavant paralysée.

Quelques jours plus tard, toujours à Kenosha, deux personnes mouraient par balle et une troisième était grièvement blessée lors d’une soirée d’affrontements impliquant des manifestants, des contre-manifestants et la police. Kyle Rittenhouse, un jeune homme de 17 ans, s’improvisant justicier, a été accusé le lendemain d’homicide.

L’implication de miliciens, comme l’on pourrait qualifier M. Rittenhouse, est une autre facette du spectre large et mouvant de l’extrême droite américaine, note Samuel Tanner, un spécialiste de l’extrémisme violent à l’Université de Montréal et au Centre d’études et de recherches internationales.

« On sait assez peu de choses en fait sur ces milices, pour vous dire la vérité. Ce qu’on observe, c’est [que leurs membres] viennent particulièrement perturber l’équilibre négocié entre les manifestants de Black Lives Matter ou de type Social Justice Warriors [défendant radicalement des causes progressistes] et les forces policières. »

Pour revenir à Portland, M. Tanner se dit « extrêmement inquiété » par la « démonstration de force » des partisans trumpistes qui se sont rendus au centre de la ville samedi. « Ces personnes montrent qu’elles peuvent agir à leur guise et avoir les coudées franches, même [quand il s’agit] de semer la terreur au sein de la population. Et ce qui m’a aussi préoccupé, c’est la réaction du président. »

Je pense que Donald Trump va devenir de plus en plus violent dans ses propos

 

Dimanche matin, le président américain, Donald Trump, y allait d’une série de gazouillis déplorant la tournure des événements de la veille dans la ville de la côte ouest. « Le gros backlash qui se déroule en ce moment à Portland n’est pas imprévisible après 95 jours à voir le maire incompétent regarder sans avoir la moindre idée de ce qu’il fait », a-t-il écrit.

M. Trump a repris le même refrain de « la loi et l’ordre » qu’il avait entonné jeudi soir dernier lors de son discours d’investiture à la convention républicaine, fait remarquer Ginette Chenard, déléguée du Québec à Atlanta de 2006 à 2011 et présentement coprésidente de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

« Je pense qu’il va devenir de plus en plus violent dans ses propos, dit-elle. C’est la poignée de sa campagne, maintenant qu’il a perdu les deux autres : l’économie est en débandade et sa gestion de la pandémie est catastrophique. »

Quant à savoir si M. Trump saura transformer cette stratégie en victoire, la question reste entière. Chose certaine, son rival démocrate compte le prendre à son propre jeu. « Je condamne la violence de tout type et de n’importe qui, à gauche comme à droite, a écrit Joe Biden sur Twitter dimanche. Et je défie Donald Trump de faire de même. »

Le président aura certainement l’occasion de s’exprimer sur le sujet à Kenosha, où il doit se rendre mardi. Le gouverneur du Wisconsin, Tony Evers, a néanmoins envoyé une lettre au président Trump dimanche, lui demandant de reconsidérer sa visite. « Je suis inquiet que votre présence ne fasse qu’entraver notre guérison », lui a-t-il écrit.

Avec l’Agence France-Presse

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