Une peine exemplaire de 23 ans pour Weinstein

C’est une sentence qui s’accompagne d’un message. En envoyant Harvey Weinstein derrière les barreaux pour les 23 prochaines années, le juge James Burke envoie aux femmes le signal « qu’il vaut la peine de dénoncer et de chercher la justice », s’est réjouie mercredi une des dénonciatrices du producteur déchu.
« Pour moi, c’est la justice et ça fait du bien », a confié au Devoir l’actrice québécoise Erika Rosenbaum, qui fait partie de la centaine de femmes ayant affirmé avoir été victimes d’agressions ou de harcèlement sexuels de la part de celui qui fut longtemps l’un des plus puissants protagonistes de Hollywood.
Un peu plus de deux semaines après qu’un jury a reconnu Weinstein coupable de viol contre une femme et d’agression sexuelle contre une autre, le juge Burke a ainsi décidé mercredi d’imposer une peine très lourde à l’ancien producteur âgé de 67 ans. Ce dernier risquait entre 5 et 29 ans de prison : la sentence de 23 ans a donc valeur de symbole au terme d’un procès emblématique pour le mouvement #MeToo de dénonciation des inconduites sexuelles.
« Pour une fois dans ce genre de cas, le système a marché, estime Erika Rosenbaum. Même un homme riche et connu comme lui a été reconnu coupable et s’en va en prison. Il y a vraiment un sentiment de justice et d’espoir aujourd’hui. »

Pour la directrice générale de la clinique Juripop, Sophie Gagnon, « il y a assurément un message » dans la décision du juge de Manhattan. « On peut avoir tendance à croire que les peines en matière criminelle sont données simplement à la lumière des faits de chaque cas, dit-elle en entretien. Mais ces peines servent aussi des objectifs qui dépassent le cas individuel dont le juge est saisi : elles servent à envoyer un message à ensemble de la société. »
L’objectif ? « Décourager des comportements similaires », répond Mme Gagnon. « Si le seul critère avait été de protéger la société, une telle durée n’aurait pas été nécessaire [Harvey Weinstein se dit malade et se déplace avec difficultés ; il aurait 90 ans à sa sortie de prison]. Mais on vient illustrer par la peine la gravité des crimes commis », ajoute-t-elle.
Et si les systèmes judiciaires canadien et américain ont leurs propres caractéristiques, l’avocate relève qu’il « fait partie ici aussi des principes de détermination de la peine de décourager des crimes ».
Pas trop lourde
Dès l’annonce de la décision du juge Burke, les Silence Breakers — un groupe de quelque 25 dénonciatrices du producteur, dont les actrices Rose McGowan et Rosanna Arquette — ont souligné par communiqué qu’il ne pouvait y avoir de peine trop lourde dans le cas de Weinstein.
« Pour toujours, l’héritage de Harvey Weinstein sera que c’est un violeur reconnu coupable par la justice, ont-elles rappelé. Il s’en va en prison — mais aucune sentence ne pourra réparer les vies qu’il a brisées, les carrières qu’il a détruites, ou les dommages qu’il a causés. »
La principale avocate de Harvey Weinstein, Donna Rotunno, avait plus tôt tenté de faire valoir au juge que, compte tenu de l’âge du coupable, « toute peine supérieure au minimum [cinq ans] équivaudrait à une condamnation à perpétuité ». À la sortie de l’audience, elle a qualifié d’« indécente » la peine prononcée, et mis en cause une fois de plus l’impartialité du juge.
Le clan Weinstein prévoit de déposer un appel au cours de l’été prochain. Il devra aussi préparer un autre procès, puisque l’ancien producteur doit encore répondre d’une autre inculpation pour deux agressions sexuelles qui auraient été commises à Los Angeles en 2013.
Weinstein parle
Mercredi, Harvey Weinstein a pris la parole pour la première fois dans la salle d’audience — cela, devant les six femmes qui ont témoigné à son procès et qui se tenaient, ensemble, dans la première rangée.
Son allocution, qualifiée de « décousue » par le New York Times, lui a permis d’exprimer pour la première fois certains regrets — il ne s’est toutefois excusé de rien. « Tant que l’appel n’a pas été tranché, il ne va pas changer sa position sur ces sujets », a plus tard justifié son avocate.
« Nous avons peut-être des vérités différentes, mais j’éprouve des remords pour chacune d’entre vous et pour tous les hommes qui doivent passer à travers cette crise », a affirmé Weinstein devant la cour, selon le compte-rendu du New YorkTimes. « Je ressens vraiment du remords. Je le sens profondément dans mon coeur. J’essaie vraiment d’être une meilleure personne. »
Les deux victimes dont les dossiers ont mené à la condamnation de Weinstein se sont aussi adressées au juge avant qu’il n’annonce sa décision.
« L’incident avec Harvey Weinstein a changé le cours de ma vie », a soutenu l’ancienne assistante de production Mimi Haleyi, qui a dû s’interrompre, en pleurs, avant de reprendre son allocution. « Il a détruit une partie de moi. » « J’espère que [la peine] sera suffisamment longue pour qu’il prenne conscience de ce qu’il a fait, à moi et à d’autres, et se repente vraiment. »
« Je serai contrainte de porter le poids de cette expérience jusqu’à ma mort », a ensuite évoqué Jessica Mann, une ancienne aspirante actrice.
La procureure Joan Illuzzi-Orbon a pour sa part rendu hommage aux victimes qui ont témoigné lors du procès. Sans elles, Harvey Weinstein « n’aurait jamais pu être arrêté », a-t-elle rappelé.
Avec l’Agence France-Presse