Un procès historique visant Trump est sur le point de s’ouvrir à Washington

Un flou persiste quant à savoir qui défendra Donald Trump.
Photo: Brendan Smialowski Agence France-Presse Un flou persiste quant à savoir qui défendra Donald Trump.

À trois semaines du coup d’envoi des primaires démocrates — et à moins d’un an de la présidentielle —, Washington est sur le point de se prononcer sur la destitution (ou non) de Donald Trump. Survol des plus récents développements dans cette affaire aux nombreuses inconnues.

La leader démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, doit envoyer cette semaine au Sénat l’acte d’accusation contre le président Trump. « Nous pensons qu’il y a assez de preuves pour [le] destituer », a-t-elle insisté vendredi sur la chaîne ABC.

Elle entend sonder dès mardi la majorité démocrate de la Chambre sur la manière de procéder. Elle soumettra ensuite aux représentants une liste d’élus qui agiront à titre de procureurs (« managers »), chargés de présenter la preuve aux sénateurs. Cette liste sera soumise au vote.

Nancy Pelosi n’a jusqu’ici soufflé mot sur l’identité des « managers » qu’elle a en tête. « Il y a de fortes chances qu’ils soient tous démocrates », pense néanmoins le politologue et chercheur au CERIUM, Pierre Martin.

Les représentants Jerry Nadler et Adam Schiff sont pressentis pour le poste, ayant fortement contribué à l’enquête sur laquelle repose la procédure de mise en accusation de M. Trump. L’un est président de la commission judiciaire de la Chambre, et l’autre, à la tête de celle du renseignement.

« Même si Mme Pelosi a plutôt tendance à privilégier le contrôle, elle pourrait toujours choisir Justin Amash », ajoute Pierre Martin. Des démocrates travaillent effectivement en coulisses pour faire nommer ce représentant ayant claqué la porte aux républicains. D'abord, il est constitutionnaliste, mais surtout un fervent partisan de la destitution du président.

Ces « managers » auront très peu de temps pour se préparer si l’on en croit le calendrier dévoilé par Mme Pelosi. Le procès pourrait débuter dès cette semaine, voire mercredi.

En décembre, Donald Trump est devenu le troisième président de l’histoire mis en accusation, après Andrew Johnson (1868) et Bill Clinton (1998). Richard Nixon y a échappé en préférant démissionner en 1974. Cette fois-ci, le locataire de la Maison-Blanche risque la destitution pour « abus de pouvoir » et « entrave au travail du Congrès ». Pour le principal intéressé, toute cette procédure relève de la « chasse aux sorcières ».

Pour rappel, c’est un coup de fil qu’il a passé en juillet au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui sous-tend le procès actuel. Le républicain est soupçonné d’avoir demandé à son homologue d’enquêter sur le fils de Joe Biden, le démocrate pressenti pour l’affronter à la présidentielle de novembre.

Pour parvenir à ses fins, M. Trump aurait suspendu une aide militaire de près de 400 millions de dollars à l’Ukraine et fait miroiter une invitation officielle à Washington au président Zelensky.

Témoins

 

La forme que prendra le procès n’est pas encore fixée. Il fait toujours l’objet de tractations entre le Sénat, la Chambre des représentants et la Maison-Blanche. Mais tout porte à croire qu’il se collera aux volontés de Mitch McConnell, le leader de la majorité républicaine au Sénat.

Pour le moment, il n’a pas précisé ses intentions. Mais les règles devraient être les mêmes que lors du procès de Bill Clinton il y a plus de vingt ans, a-t-il fait savoir.

M. McConnell a également promis de collaborer avec la Maison-Blanche pour obtenir un acquittement rapide du président. Un procès donc joué d’avance, qui n’a pas plu à tous. « Quand j’ai appris ça, j’étais perturbée », a confié la sénatrice républicaine de l’Alaska, Lisa Murkowski. « Nous devons éviter d’être main dans la main avec la défense », a ajouté celle qui défend l’impartialité d’un tel exercice somme toute éminemment politique.

À ce procès, il n’est pas dit non plus que de nouveaux témoins seront entendus, ou que des documents inédits soient révélés. Mitch McConnell s’y oppose, contrairement aux démocrates qui tentent de rallier des républicains plus modérés à leur « soif de vérité ».

« De nouveaux éléments de preuve pourraient mettre le président à risque, analyse Pierre Martin du CERIUM. Mais d’un autre côté, si le processus a des apparences de procès juste, l’acquittement auquel on peut s’attendre [le sénat est majoritairement républicain] aura plus de chances d’être considéré comme une forme d’exonération pour M. Trump. »

« Chez les démocrates, on s’intéresse surtout à John Bolton », indique pour sa part Jason Opal, professeur d’histoire à l’Université McGill. Il rappelle que l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump était en poste lors du fameux coup de fil à l’Ukraine. « Il dispose certainement d’informations sensibles et pertinentes », résume-t-il.

Et d’ajouter : « Bien que John Bolton soit un républicain ultraconservateur, il n’approuve pas les agissements de Trump par rapport à l’Ukraine, et il déteste cordialement Rudy Giuliani [l’avocat personnel du magnat de l’immobilier]. »

M. Bolton s’est déjà dit prêt à témoigner, à condition d’être formellement convoqué par le Sénat. Cette fois, c’est Donald Trump lui-même qui s’y est opposé. Selon lui, son « privilège exécutif » lui permet de forcer au silence un ancien bras droit.

Défense

 

Un flou persiste aussi quant à savoir qui défendra Donald Trump. Lundi, son équipe juridique était toujours à attacher les ficelles de sa défense. Le nom de Pat Cipollone, son avocat de la Maison-Blanche, a circulé dans les médias. Tout comme celui de Jay Sekulow, l’un de ses avocats personnels.

Il est « fort probable » que M. Sekulow et les autres membres de cette équipe de juristes emmenée par Rudy Giuliani représentent le milliardaire républicain, estime le professeur Jason Opal. « Trump pourrait aussi demander à l’un de ses alliés à la Chambre des représentants — par exemple Jim Jordan de l’Ohio — de parler en son nom, ajoute le spécialiste de la constitution américaine.

« Il y a peu d’appétit dans les rangs républicains à ce que le président Trump témoigne lui-même, renchérit le politologue Pierre Martin. Il n’est pas particulièrement efficace lorsqu’il témoigne sous serment. »

Si à travers ces inconnues une chose semble acquise, c’est la popularité dont jouit Donald Trump. « C’est tellement stable que ça en est pratiquement exaspérant », commente à nouveau le chercheur au CERIUM. Selon le site-référence FiveThirtyEight, le taux d’approbation au président varie très peu depuis un an, avoisinant les 42 %.

Il y a peu d'appétit dans les rangs républicains pour que le président Trump témoigne lui-même. Il n'est pas particulièrement efficace lorsqu'il témoigne sous serment.

« La base partisane de M. Trump est relativement solide autour de lui. Et on ne risque pas de voir de baisse significative, à moins de troubles économiques », mentionne M. Martin.

Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, ne croit pas lui non plus que le procès pour destitution risque de faire plonger les appuis au président Trump. « Les opinions restent très campées au sein de l’électorat », dit-il.

M. Gagnon estime toutefois que ce procès pourrait désavantager les sénateurs démocrates qui font actuellement campagne pour les primaires. Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Pete Buttigieg et Amy Klobuchar seront davantage retenus à Washington, les privant d’un temps précieux sur le terrain.

Mais Joe Biden pourrait lui aussi perdre des plumes, reprend le chercheur. « J'ai l’impression qu’aux débats devant le Sénat, on va essayer de l'écorcher. » Après tout, il est au coeur de l’affaire ukrainienne.
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait que le taux d’approbation au président avoisine les 53 %, a été modifiée.

 

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