Erdogan exclut toute trêve avec les Kurdes

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a sommé mercredi les forces kurdes de déposer les armes et de se retirer du nord de la Syrie, rejetant l’appel au cessez-le-feu de Donald Trump qui a dépêché en Turquie son vice-président pour arracher un accord.
Une semaine après son déclenchement, l’offensive turque contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) a déjà rebattu les cartes dans le nord de la Syrie, nouvel épicentre du conflit qui déchire ce pays depuis 2011.
À la faveur d’un accord avec les forces kurdes, le régime est en effet revenu dans des régions qui lui échappaient depuis des années et Moscou a commencé à remplir le vide laissé par le retrait des forces américaines, alliées ces dernières années aux forces kurdes dans leur combat contre le groupe djihadiste État islamique (EI).
Le président américain, Donald Trump, a nié mercredi avoir donné son feu vert à l’offensive turque, ce qui avait été interprété ainsi avec le retrait des troupes dans le Nord syrien. Il a martelé que son approche était « brillante d’un point de vue stratégique ».
« Nous n’avons pas besoin d’être engagés dans des guerres sans fin, nous ramenons nos soldats, a-t-il martelé. Je suis prêt à parier — c’est mon instinct politique qui me le dit — que c’est ce que l’Amérique veut. »
Il a par ailleurs estimé que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène une sanglante guérilla contre la Turquie et qui est considéré comme proche des YPG, était « probablement » une plus grande « menace terroriste » que le groupe EI.
Critique bipartisane à Washington
Aux États-Unis, la Chambre des représentants a adopté à une très vaste majorité une résolution non contraignante condamnant la décision de M. Trump de retirer les troupes américaines du nord de la Syrie. Présentée par des élus démocrates et républicains, elle a été adoptée par 354 voix contre 60, avec l’approbation de 129 républicains sur les 197 siégeant à la Chambre basse.
Le texte appelle en outre le président Erdogan à « cesser immédiatement » ses opérations dans le nord de la Syrie et à « respecter les accords existants ». Il exhorte « les États-Unis à maintenir le soutien aux communautés kurdes syriennes à travers un soutien humanitaire », à « s’assurer que l’armée turque agisse avec retenue » et la « Maison-Blanche à présenter un plan clair et précis pour vaincre durablement » le groupe État islamique (EI).
« Le président a déchaîné une escalade vers le chaos et l’insécurité en Syrie […] », a affirmé la présidente de la Chambre, la démocrate Nancy Pelosi.
M. Trump a par la suite traité Mme Pelosi de « politicienne de bas étage », selon les dirigeants de l’opposition, qui ont de ce fait coupé court à une réunion sur la Syrie à la Maison-Blanche.
« Nous avons vu le président craquer, c’est triste à dire », a déclaré la présidente Nancy Pelosi en quittant la réunion. « Il a été insultant, particulièrement envers » Mme Pelosi, a affirmé Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat.
Pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu, M. Trump a décidé d’envoyer en Turquie son vice-président, Mike Pence, et son secrétaire d’État, Mike Pompeo. M. Erdogan doit les rencontrer jeudi, selon la présidence turque.
Le milliardaire américain a néanmoins brouillé les signaux en déclarant mercredi que, « si la Turquie va en Syrie, c’est une affaire entre la Turquie et la Syrie, ce n’est pas notre problème ». « Les Kurdes ne sont pas des anges », a-t-il ajouté.
En ce qui concerne une trêve, M. Erdogan a d’ores et déjà exclu de « s’asseoir à la table des terroristes », expression désignant les YPG.
Colonnes de fumée
Sur le terrain, les combats font rage, en particulier aux abords de Ras al-Aïn, ville située à la frontière turque où les combattants kurdes tentent de repousser l’assaut des forces d’Ankara.
Un reporter de l’AFP près de Ras al-Aïn a vu des colonnes de fumée s’élever de la ville pendant que le tonnerre de l’artillerie turque emplissait l’air. Afin d’aveugler les avions d’Ankara, les combattants kurdes brûlaient des pneus.
En sept jours, 72 civils, 185 combattants des FDS, 164 combattants proturcs et 3 soldats syriens ont été tués, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Ankara a fait état de la mort de 6 soldats en Syrie ainsi que de 20 civils par des tirs de roquettes des combattants kurdes sur des villes turques.
L’offensive a provoqué l’exode de 160 000 personnes dans le nord de la Syrie, d’après l’ONU.
L’objectif affiché de l’opération turque est la création d’une « zone de sécurité » de 32 kilomètres de profondeur le long de la frontière du côté syrien, qui permettrait de séparer celle-ci des zones YPG et de rapatrier une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens installés en Turquie.
Accusant Washington de « trahison » après le retrait de ses troupes, les forces kurdes ont appelé à la rescousse Damas, qui a déployé des hommes dans le nord du pays.
Afin d’éviter un affrontement d’envergure entre les forces de Damas soutenues par Moscou et les militaires turcs appuyés par leurs supplétifs syriens, la police militaire russe mène « des patrouilles le long de la ligne de contact » à Minbej, selon Moscou.
La Turquie a prévenu mercredi qu’elle n’accepterait pas que les forces kurdes restent à Minbej sous la protection des Russes. Elle a par ailleurs annoncé une visite de M. Erdogan le 22 octobre en Russie, où il rencontrera son homologue Vladimir Poutine.